Au premier plan : état actuel de l’ancienne église Saints-Pierre-et-Paul
Les anciens cimetières de Saint-Avold
Extraits de l’article de Marie-France JACOPS et Yvette MARTAN paru dans le “Cahier Naborien” n° 2
Les Naboriens habitués à se rendre au cimetière du Felsberg savent-ils encore aujourd’hui que, pendant presque une centaine d’années, leur cimetière s’étendait devant la chapelle Sainte-Croix et que jusqu’au XVIIle siècle, il entourait la vieille église paroissiale Saints-Pierre-et-Paul élevée au coeur de la cité ? Sans doute ont-ils bien du mal à imaginer, aujourd’hui alors que l’avenue Clémenceau est devenue l’une des artères résidentielles de la ville, que le cimetière du Felsberg, au moment de son ouverture était tout à fait isolé, situé au milieu des jardins, à 200 mètres des dernières maisons de la ville et bien au-delà de la Rosselle. S’il est intéressant de retracer l’histoire des cimetières de Saint-Avold, il est tout aussi passionnant de la replacer dans le contexte général de l’évolution des lieux de la mort depuis le XVIIIe siècle, cette époque marquant la rupture avec des traditions multiséculaires d’inhumation autour et dans les églises.
Le cimetière paroissial
Nous ne sommes pas très bien renseignés sur le vieux cimetière qui entourait l’église. Tout juste, dans les visites pastorales, quelques indications concernant l’état des murs et, dans les comptes, la mention de leur rétablissement. En revanche, le plan d’alignement de 1810 nous en donne la configuration, alors qu’il était déjà abandonné depuis près de cinquante ans.
Emplacement du cimetière paroissial autour de l’église Saints-Pierre-et-Paul d’après le plan de 1810
Située en plein coeur de la ville, l’église donnait directement au Nord et à l’Ouest sur la place du Sal, au Sud sur la place Saint-Nabor, seul l’espace compris entre la tour-clocher et le chevet étant occupé par une partie du cimetière. A l’Est, au contraire, elle attenait aux maisons de la place du Sal et de la rue de Hombourg, le cimetière s’étendant au milieu des jardins jusqu’au ruisseau de la Mertzelle. Son tracé irrégulier s’explique sans doute par des empiétements successifs sur les terres cultivées, au fur et à mesure des besoins liés à l’augmentation de la population.
Comme tous les cimetières, espace sacré prolongeant l’église, il était entouré de murs destinés à le séparer de la place publique, à interdire les animaux, à empêcher les réunions profanes et à ce qu’il ne serve de passage ou que les enfants n’y entrent “pour en faire un lieu de jeu et de badinerie”. C’est dans cette partie orientale du cimetière, tout près du ruisseau de la Mertzelle, que se dressait un ossuaire “très ancien et dans le goût gothique” qui aurait porté la date 1413. Destiné à recueillir les ossements retrouvés dans la terre, lorsqu’on y creusait de nouvelles fosses, et les enfants décédés en très bas âge, il rappelait aussi aux vivants l’égalité de tous devant la mort par l’inscription figurant au-dessus de l’entrée: “Hie ist Gericht und Recht, hie lidt der Herr bey dem Knecht, nu tredet hie bei und louet ii, wer der best sii - 1413”. (“Ici est le jugement et la justice, ici le maître git près du valet, avancez donc ici près et voyez y quel est le meilleur – 1413”).
De l’autre côté de l’église, la partie à laquelle on accédait par la tour-porche, était, en quelque sorte, la fosse commune, celle où les inhumations se succédaient à un rythme très rapide, les cadavres y étant entassés les uns sur les autres. Une croix se dressait devant le pan Sud du choeur.
Ce sont là les seuls renseignements dont nous disposons sur les lieux. Nous ne savons rien sur les monuments eux-mêmes et il faut faire appel à ceux qui subsistent encore dans les cimetières voisins, par exemple dans le cimetière de Hombourg-Haut, pour les imaginer. Sans doute y avait-il là aussi quelques stèles en grès amorties par une croix, représentant en bas relief la Crucifixion ou les saints patrons des défunts, mais surtout beaucoup de croix en bois fichées en terre pour marquer le lieu des sépultures. En revanche, grâce aux registres paroissiaux, nous savons qu’un certain nombre d’inhumations se faisaient dans l’église, “in ecclesia”, selon une ancienne coutume, et nous sommes particulièrement bien documentés à leur sujet.
Les inhumations dans l’église paroissiale
Comme en bien des lieux (et cela en dépit des interdictions des conciles), cette pratique était très répandue à Saint-Avold. On enterrait directement en pleine terre, sans que des caveaux y soient aménagés, et les dalles funéraires, non cimentées, s’inséraient entre les pavés du sol. Aussi imagine-t-on aisément cette sorte de nécropole souterraine que constituait le sous-sol des églises et l’espèce de familiarité qui s’établissait entre les morts et les vivants, quotidiennement au milieu de leurs défunts, marchant sur les tombes ou assistant aux ouvertures répétées des fosses d’où l’on retirait la terre contenant pêle-mêle les os et les crânes des plus anciennes sépultures, avant de procéder à une nouvelle inhumation. Mais l’on comprend mieux aussi les pavés mal joints ou les enfoncements du sol dont les visiteurs canoniques se plaignent si souvent et la nécessité de repaver les églises dont les comptes font état.
Quelques chiffres
Le relevé systématique des actes de décès entre 1694 et 1764 montre qu’il y a une pratique généralisée de l’inhumation “in ecclesia” à Saint-Avold tout au long du XVIIIe siècle.
Entre 1694 et 1724, il y a eu 366 décès dont 168 inhumations “in ecclesia” soit 46 % des décès. Entre 1731 et 1764, il y a eu 2406 décès dont 287 inhumations “in ecclesia” soit seulement 12 % des décès.
Des lieux d’inhumation privilégiés
C’est grâce à la lecture attentive des registres paroissiaux que nous sommes particulièrement bien renseignés sur les emplacements plus volontiers retenus pour se faire enterrer car les curés successifs de Saint-Avold ont très souvent signalé avec précision les lieux d’inhumation, même s’il s’agit d’un “voisinage” plutôt que de l’endroit exact de la sépulture. Ainsi, sur les 455 inhumations “in ecclesia” entre 1694 et 1764, 243 sont précisément localisées. En regroupant les différents emplacements pour un même lieu on peut constater que les Naboriens ne se distinguaient pas beaucoup de leurs contemporains puisque, après la nef (mentionnée 53 fois), le lieu qui revient le plus souvent est le choeur de l’église (44 fois) suivi de très près par la chapelle de la Vierge (40 fois) et l’espace sous la tribune (32 fois), enfin par la chapelle Saint-Nicolas (30 fois). D’autres lieux, plus exceptionnels, sont à proximité du sépulcre (9 fois), près de l’autel Sainte-Anne (8 fois), près des fonts (6 fois), près de l’autel Sainte-Catherine (6 fois), l’autel Saint-Antoine (5 fois), l’autel Saint-Sébastien (5 fois), l’autel Sainte-Barbe (3 fois), ou encore près de la chaire à prêcher (2 fois).
Il apparaît aussi, à la lecture des actes, que, même si dans le sous-sol, il n’y avait pas de caveau maçonné, les familles avaient des emplacements réservés en pleine terre et que l’on n’inhumait pas n’importe où. Nous ne citerons comme exemple que le cas des époux Hemmerlez décèdes lui en 1699, elle en 1708, dont les actes de décès précisent qu’ils gisent l’un et l’autre “sous le marchepied de l’autel Saint-Antoine”.
L’église, lieu des sépultures bourgeoises
S’il est intéressant de connaître les lieux d’inhumation privilégiés à l’intérieur de l’église, il l’est tout autant de savoir qui se faisait enterrer à l’église. Certains noms de famille reviennent fréquemment comme les Knoeppfler, les Becker, les Margo, les Dour (ou les Dourbecker), les Delesse et les Nurembourger mais aussi les Metzinger, les Lauer, les Glad ou les Houllé. Les uns sont des marchands et des artisans enrichis (ils sont négociants en tissus, merciers, tanneurs, cordonniers, bouchers, boulangers, cabaretiers ou hôteliers), les autres des officiers municipaux ou ducaux (maires et anciens maires, échevins et conseillers de l’hôtel de ville, sergents de ville, chefs de police, lieutenants et greffiers de la prévôté, procureurs et substituts, maîtres des postes, prévôts-gruyers ). Il y a aussi quelques officiers et, bien sûr, des membres de la vieille noblesse terrienne (les Hennin, les Royer de Montclot et leurs alliés les Vyart, les Royer de Langlois, les Ficquelmont), toutes ces familles choisissant de se faire enterrer dans l’église, bien sûr en raison de leur importance sociale, mais plus encore peut-être de leur fortune car elles ont les moyens de payer les droits de sépulture perçus par le curé.
Une autre catégorie est constituée par les personnes ayant participé activement à la vie de la paroisse : les échevins d’église (qui, souvent, ont en même temps une occupation professionnelle), le chantre et régent d’école, les curés de la paroisse décédés à Saint-Avold, inhumés dans le choeur de l’église, à proximité de l’autel.
Parfois enfin, au milieu de ces riches bourgeois et de ces “gens d’église”, on rencontre le nom d’un tailleur de pierre, d’un tourneur ou d’un paveur ayant sans doute travaillé à l’église et qui, un peu à la manière des architectes des cathédrales choisissant le parvis pour se faire enterrer, y ont élu sépulture.
Le cimetière de la Belle-Croix
Le 17 janvier 1763, le procureur-syndic comparut au greffe de l’hôtel de ville, déclarant “que, dès l’année 1742, on avoit reconnu qu’il étoit dangereux d’inhumer dans l’église paroissiale de cette ville par le mauvais air que ces enterremens y occasionnent et que le danger étoit le même dans le cimetière qui d’abort est trop étroit et d’ailleurs étant scitué sur la place, au centre de la ville, ne peut que répandre la contagion par les vapeurs malignes qui s’en élèvent nécessairement, de sorte qu’il avoit été résolu de transférer le cimetière, avec l’agréement de Monseigneur l’Evêque, à la Belle-Croix, à cent cinquante pas de la ville. Le devis en avoit déjà été dressé” et seul le remplacement du curé Turc par le curé Traize avait empêché la chose de se faire. “Les maladies qui régnent actuellement et qui ont occasionné la mort de quantité de personnes depuis un mois exigent que cette affaire soit renouvelée avec d’autant plus de raison qu’outre que, suivant la Loi de Moyse et celle de tous les peuples, les cimetières doivent toujours être éloignés des habitations, on a été obligé d’enterrer dans des tombes ou fosses où on a trouvé des cadavres non encore consumés, ce qui ne peut aboutir qu’à une contagion générale, qu’il est de l’intérêt public d’éviter”.
La remontrance du procureur-syndic fut approuvée par le maire et les élus qui expédièrent le même jour la supplique à l’évêque. Malgré les réticences du curé Traize le cimetière fut transféré à l’Est de la ville au pied de la chapelle Sainte-Croix.
Emplacement du cimetière de la Belle-Croix et des casernes d’après le plan de 1810
Définitivement abandonné dans les derniers mois de 1764 au profit de la Belle-Croix, le cimetière paroissial continua à être entretenu. Au moment de la Révolution, il subit le même sort que l’ancienne église paroissiale. Le 20 octobre 1798, il fut vendu, avec l’église, à H. Watrin, de Metz, puis à nouveau revendu en 1825 à Jean-François Bertrand. Avec les matériaux récupérés de la démolition de la tour et du choeur, un immeuble fut construit sur la partie du cimetière attenant à l’ancien choeur; quant à la partie bordant la Mertzelle, elle fut transformée en jardin, l’église et le cimetière ayant définitivement disparu du coeur de la ville en 1830.
Le nouveau cimetière s’étendait en terrasses au pied de la chapelle Sainte-Croix, occupant l’angle formé par la chaussée qui conduit à la ville et l’ancien chemin de la Chinerkoul (l’actuel passage des Poilus). Sur la deuxième terrasse, au pied de 1 ‘escalier conduisant à la chapelle, se dressaient trois croix représentant le Christ entouré des deux larrons, malheureusement aujourd’hui disparues, mais dont l’on peut peut-être se faire une idée grâce aux calvaires de Ligier Richier conservés dans les églises de Briey et de Bar-le-Duc.
S’avérant rapidement trop petit, il fut agrandi vers l’Est, une première fois en 1779, grâce à l’achat de terrains pris sur des jardins. L’année suivante, la municipalité confia à Joseph Henn, entrepreneur des pavés de Saint-Avold, le soin de le paver puis, en 1808, elle fut à nouveau contrainte de l’agrandir, toujours vers l’Est, en acquérant un jardin de 7 ares 66 centiares appartenant au cordonnier Louis-Théodore Raimont. Les quatre murs de clôture étaient construits en pierre de taille, il y avait un mur de terrasse sous la chapelle et de chaque côté du grand escalier par lequel on y accédait:. Enfin, au Nord-Est de la chapelle s’élevait la maison du gardien.
Un peu plus de 80 ans après son ouverture, le cimetière de la Belle-Croix s’avéra beaucoup trop petit. La population avait considérablement augmenté, passant de près de 2 800 habitants au moment de la Révolution à 3 403 habitants en 1841 et, la ville s’étant agrandie vers l’Est, la Belle-Croix se trouvait maintenant à proximité des habitations. On décida alors de créer un nouveau cimetière au Felsberg qui existe toujours.
La chapelle Sainte-Croix en 1903