Saint-Avold pendant l’annexion 1871 - 1918
Extraits de l’article d’André Podsiadlo paru dans le « Cahier Naborien » numéro 9
Notre propos est d’examiner différents aspects de la ville de Saint-Avold pendant la période du rattachement de l’Alsace-Lorraine à l’Empire allemand.
Evolution de la population
De 1871 à 1890, la population de Saint-Avold diminue, allant de 2 843 habitants à 2 152 habitants, soit 24,30 % de moins en 20 ans . Pendant la même période, la population lorraine augmentait en moyenne de 7,01 %. On peut, sans hésitation, désigner ces années comme une période de déclin puisqu’en moyenne la ville perdait par an 1,2 % de sa population. Quelles sont les raisons de ce phénomène ? Une des principales semble être l’emploi. Des villes environnantes offraient de meilleures conditions et les ouvriers allaient chercher “fortune” ailleurs. En 1866, le préfet écrivait au sujet de Saint-Avold que “l’établissement d’industries permettrait de retirer la classe ouvrière de la profonde misère où elle se trouve “. D’autre part, l’émigration doit également avoir joué un rôle, surtout au cours des toutes premières années du rattachement à l’Empire allemand. Des Naboriens, ne voulant pas être sujets de l’empereur Guillaume 1er, choisissent d’aller vivre en France.
Le recensement de 1895 surprend car il indique un accroissement de 443 habitants par rapport à 1890 (+20,58 %). La période quinquennale suivante - 1895/1900 - voit cette progression se continuer avec 526 Naboriens supplémentaires (+20,34 %). Ce mouvement durera jusqu’à la veille de la guerre. En 1910, Saint-Avold devient la seconde ville de l’arrondissement de Forbach. A quoi pouvons-nous attribuer cette forte croissance démographique ? Différents éléments se sont conjugués pour atteindre ce résultat. Citons d’abord la présence permanente de nombreux militaires à partir de 1895 (1336 en 1895, 2 482 en 1910). Il est incontestable que ces soldats-consommateurs stimulèrent le commerce local dans de nombreux domaines. D’autre part, la construction des casernes attira de la main-d’oeuvre venue de l’extérieur. Un autre élément, plus durable, fut, à partir de 1895, l’exploitation du charbon. Selon un commentateur de l’époque, “l’exploitation des veines de charbon de Forbach eut une extension jamais soupçonnée”. Cette exploitation augmenta le nombre d’habitants du bassin houiller mais le recensement de 1895 souligne que ni Forbach, ni Saint-Avold n’attiraient le mineur. Les prix élevés des denrées alimentaires et des logements incitaient ces ouvriers à s’installer dans les petites localités. Indirectement, ces villes profitèrent de la proximité des mineurs aux salaires élevés car elles étaient des centres de commerce et de services.
L’église protestante (Garnisonkirche) en 1904
Les métiers des Naboriens
La lecture des documents et des recensements successifs, surtout après 1890, donne l’impression d’une ville active aux occupations multiples s’étendant à tous les domaines, mais c’est, bien sûr, la présence militaire qui sert de moteur à la vie économique locale. Il suffit, pour s’en convaincre, de se reporter aux voeux du Conseil Municipal de 1896 pour une “augmentation des effectifs militaires qui est pour la ville une question de vie ou de mort…”
Pour les exploitants agricoles, la présence de plus de deux mille soldats et environ huit cents chevaux constituait un marché intéressant, autant pour la vente de légumes, de viande que la fourniture d’avoine, de foin, de paille. Le “Proviantamt” (l’intendance) était bon client.
D’autres métiers étaient étroitement liés à la présence de ces soldats-consommateurs. Nous pensons aux nombreux établissements de restauration. On en compte 34 de nature et de catégories fort différentes en commençant par des Hôtels-Restaurants fort luxueux, en terminant par la modeste “Kleine Gartenwirtschaft” située au n°2 de la Saarlouiserstrasse et en passant par de nombreux cafés et bistrots. Ajoutons cinq cantines et quatre dépôts de bière dont deux servaient à boire sur place.
D’autres commerçants ou prestataires de services vivaient également en grande partie de l’armée. Nous trouvons au n°6 de la Place du Marché un tailleur d’uniformes et d’effets militaires occupant six employés. Citons encore trois photographes, six blanchisseries, cinq boutiques de repasseuses, neuf ateliers de tailleurs. Les seuls à ne pas profiter des troupes de garnison furent les cinq maréchaux-ferrants et les deux vétérinaires car l’armée avait son propre personnel dans ces domaines.
Outre les activités commerciales, les Naboriens trouvaient des emplois dans d’autres secteurs. Deux fabriques fonctionnaient à Saint-Avold à cette époque. L’une d’elles, créée en 1834, agrandie en 1866, produisait du bleu de Prusse. Filiale de la “S.A. von Appold und Eichacker” de Boulay, elle ferma ses portes en 1881. Elle avait employé à un certain moment une cinquantaine d’ouvriers. Par contre, une fabrique qui se maintint longtemps à Saint-Avold fut la “Fabrick Chemischer Produkte von À.Hertz und Cie”. Fondée en 1861, elle produisait de la colle, de la gélatine, de l’huile d’os et du “Phosphorsaurem Kalk” (phosphate de calcium naturel). Elle eut jusqu’à 110 ouvriers et ouvrières.
Des ateliers de moindre envergure employaient également de la main-d’oeuvre. Les cinq forges de la ville totalisaient 18 employés; les trois charrons avaient 6 ouvriers. Un nommé J.Holzinger exploitait un atelier fabriquant des “articles de protection pour arbres et autres outils agricoles” avec 18 ouvriers. Un atelier de serrurerie occupait 8 ouvriers. Près de la gare, une brasserie employait 20 personnes.
Marktplatz - Place du Marché (aujourd’hui Place de la Victoire) Au centre de la place : la fontaine Saint-Nabor et le bâtiment de l’octroi. Les Naboriennes tournent-elles volontairement le dos aux Uhlans ?
l’Octroi
Cet impôt, frappant toutes les marchandises introduites en ville, était une institution fort ancienne. La réglementation de cette taxe date de 1847. Il faut savoir que lors de la constitution de l’Empire allemand, les différents Etats (Länder) gardèrent l’essentiel de leur législation particulière. Ainsi, les villes d’Alsace-Lorraine payaient l’octroi selon une loi signée par “Louis-Philippe, Roi des Français”. Jusqu’en 1874, la comptabilité de l’octroi pour la ville se faisait en français et en francs. Inutile de préciser que les “taxables” essayaient d’échapper au paiement, utilisant mille et une ruses. Le dossier des fraudes et litiges est épais et témoigne parfois de beaucoup d’imagination. La ville, pour sa part, était fort vigilante car l’octroi constituait environ 50% des recettes.
Comment se percevait cette taxe ? Dans le cas le plus simple, on demandait aux gens introduisant des marchandises en ville de les déclarer au bureau de l’octroi et d’acquitter la taxe. Six employés étaient chargés de ce travail. Dans le cas d’entreprises de transport, c’est le transporteur qui faisait la déclaration en indiquant le destinataire auquel on facturait la taxe. Par ailleurs, les employés avaient le droit de contrôler tout véhicule, tout colis et d’exiger la preuve du paiement de l’octroi.
Les cas de fraudes étaient courants et les procès le pain quotidien des employés de l’octroi. Pourtant ce n’est pas avec les civils que la ville avait le plus de difficultés mais avec l’autorité militaire. Les officiers ignoraient l’existence de cette taxe étant donné qu’elle n’avait pas cours dans les Etats allemands dont ils étaient originaires. Régulièrement, le Maire écrivait aux Commandants des Régiments, attirant leur attention sur le fait que Saint-Avold était une commune percevant l’octroi ((eine Oktroi erhebende Gemeinde). L’attitude des militaires fut rarement compréhensive et les incidents nombreux.
Voyons les mésaventures du “Oberleutnant” Greiling et de son automobile de marque “Benz et Cie”. Dès son arrivée, il fut taxé pour une somme de 440 Mark. Or la loi de 1847 n’avait aucune rubrique pour ce genre d’objet et on appliqua le tarif “ferraille à usage non industriel”. Après consultation du service fiscal principal de Sarreguemines, l’octroi fut réduit à 220 Mark car l’automobile n’était pas neuve. Dans une lettre au Maire 1’ “Oberleutnant” explique qu’il paiera pour éviter la saisie de sa voiture mais fera un procès à la ville afin de récupérer son argent. En fait, le procès de Saint-Avold n’était pas un cas isolé. Depuis quelques temps le tribunal de Colmar enregistrait de nombreuses plaintes de propriétaires d’automobiles de toutes les villes d’Alsace-Lorraine. D’autres plaintes affluaient également au sujet de l’octroi : objets soumis à la taxe, taux appliqués, gênes occasionnées par la perception, complexité de certaines taxations. Ce qui ressortait de toutes ces plaintes était l’inadaptation des textes de loi de 1847 à la réalité de 1900. En 60 ans, le monde économique avait changé et les règlements sur l’octroi n’avaient guère évolué. Après plusieurs années d’étude, le tribunal de Colmar rendit ses jugements en novembre 1911. L’ensemble de ces jugements, largement diffusés en Alsace-Lorraine, fut la nouvelle charte de l’octroi. L’officier Greiling se vit rembourser ses 220 Mark mais fit un deuxième procès à la ville. Il exigeait des intérêts pour cette somme immobilisée pendant des années. Le tribunal le débouta.
Examinons encore le “scandale de la bière” ou, pour être plus précis, de l’alcool. Inutile de préciser que les tarifs d’octroi étaient très élevés sur les alcools. Or, en ce printemps de 1909, le gouvernement décide d’encaisser la taxe sur la bière à son propre profit, laissant aux communes la portion congrue. Les villes touchaient 5 Mark par hectolitre de bière; les nouvelles dispositions fiscales leur laissaient 65 pfennigs par hectolitre; 4,35 Mark restaient à l’Etat. En 1908, Saint-Avold encaissa 31 263,69 Mark d’octroi sur la bière, ce qui représentait le tiers des recettes de la taxe. Forbach était dans la même situation et c’est le Maire de la ville d’arrondissement qui prit la tête de la fronde. Une longue lettre de doléances fut adressée à tous les députés alsaciens-lorrains siégeant à Berlin, lettre dans laquelle les Maires soulignaient l’impossibilité de faire face aux dépenses si le gouvernement diminuait leurs recettes. Les lettres affirmaient même que de telles mesures “ne favorisaient nullement l’attachement de l’Alsace-Lorraine à l’Empire allemand”. En fait, l’octroi disparut en Alsace-Lorraine après le retour à la France en 1918.
La Ketzerath-Kaserne dominait de toute sa masse les toits de la ville.
Les grandes réalisations
Ce qui vient de suite à l’esprit, ce sont les constructions des différents bâtiments militaires. Quelle était la situation de ce point de vue en 1871 ?
Il n’existait à Saint-Avold qu’une seule caserne construite en 1870, la caserne Fabert, nommée à partir de 1871 “caserne française”. Elle s’étendait de l’ancien cinéma Eden jusqu’à l’actuel Passage des Poilus. Dès 1871, deux escadrons du Régiment de Chevau-légers bavarois occupèrent ces bâtiments mais les quittèrent en 1878. Cette caserne servira surtout à héberger des unités en attente d’installation définitive. Après la première guerre mondiale, l’ensemble sera cédé au secteur civil.
La “Ketzerath-Kaserne” et la “Berg-Kaserne” (rebaptisées plus tard caserne Mahon et caserne Hamon) ont été construites en 1879-1882 et occupées par le “ 2e hannoversches Ulanen Régiment n°14”. Ces deux bâtiments furent les premières constructions militaires allemandes à Saint-Avold. A l’emplacement de la première se trouve aujourd’hui le lycée J.V. Poncelet et à l’emplacement de la seconde l’Institut Universitaire de Technologie.
La caserne d’artillerie (Lahitolle), construite en 1890-93, s’étendait le long de l’actuelle avenue Patton, Saarlouiserstrasse à l’époque. Elle était occupée par le 69e Régiment d’artillerie de campagne. Elle a été démolie il y a quelques années et son emplacement transformé en zone commerciale.
En 1896, construction de la caserne d’infanterie (plus tard quartier Ardant du Picq). Le coût de ces bâtiments était estimé à l’époque à 1 750 000 Mark. En juin 1897, sont arrivées de Metz deux compagnies du 173e Régiment d’Infanterie qui ont été logées dans des baraquements. Ce n’est qu’en 1900 que les bâtiments en dur pourront être occupés.
A la veille de la première guerre mondiale, le Ministère de la guerre envisage la construction d’une caserne destinée à un régiment de cavalerie (Jàger-Regiment) dont le coût s’élève à 1 700 000 Mark. Dès octobre 1913, le régiment viendra à Saint-Avold et logera dans des baraquements. En fait, ce régiment n’occupera jamais les bâtiments en dur (De Brack) situés au nord de la caserne d’artillerie. La guerre ayant éclaté entre-temps, le Jàger-Regiment se trouvera en campagne.
Citons encore d’autres bâtiments construits par et pour l’armée. La manutention militaire (Proviantamt) fut réalisée en plusieurs étapes et terminée en 1908. L’hôpital de garnison ou hôpital militaire devint par la suite et après de multiples agrandissements Hospitalor.
L’église protestante fut construite durant les années 1887-90. A première vue, cette réalisation n’a rien à voir avec la présence de l’armée. Pourtant, le fait que les soldats allemands étaient souvent de confession protestante joue un rôle déterminant. En 1877, la ville de Saint-Avold comptait 150 protestants. Brusquement, avec l’arrivée de deux escadrons, elle augmente de 634 “âmes”. Ce mouvement alla en s’amplifiant au cours des années suivantes car les régiments venaient d’Allemagne du Nord (Holstein, Hanovre), régions à dominante protestante. Les offices avaient lieu à la mairie, dans la grande salle mise à disposition du pasteur le dimanche matin. Elle pouvait contenir au maximum 80 personnes et on admettait un nombre limité de soldats. Ainsi, affirmait le pasteur Griinberg, il se passait 5 à 6 semaines avant que le même groupe de soldats puisse revenir à l’office. De longues négociations avec le Ministère de la guerre permirent d’envisager la construction de l’église. Le Ministère s’engagea à payer un montant de 25 560 Mark du coût estimatif de 50 800 Mark. D’autres subventions furent également promises et le 6 août 1887 à 13 heures fut posée la première pierre.
Signalons encore une réalisation dont nos grands-parents étaient très fiers, le tramway entre la ville et la gare. L’inauguration du 5 février 1910 fut un moment fort dans la vie de la municipalité. Le tramway donnait un air de modernité à la ville.
L’école Pierre Frisch, construite en 1908