Le lycée impérial de Metz en 1870
Notes prises au jour le jour par Arthur Joseph POLINE élève au lycée impérial de Metz en 1870.
présentées et annotées par François BELIN
En classant des archives de famille, j’ai trouvé un petit cahier recouvert de papier bleu avec l’inscription “1870”. En vingt pages d’un papier de qualité médiocre, format écolier, couvert de sa fine écriture au crayon, mon grand-père maternel, Arthur Poline, élève au lycée impérial de Metz, relate, au jour le jour, ce qu’il intitule : “Campagne de Prusse - 1870”.
Arthur Poline est né le 16 août 1852 à Metz, où son père, natif d’Ancerville (canton de Pange), était concierge au Lycée de Metz. Au moment des événements de 1870, il passe son baccalauréat ès sciences et envisage de préparer Saint-Cyr, où il est admis à la rentrée 1872 après avoir opté pour la nationalité française. Il mènera ensuite une brillante carrière militaire. Voici reproduits ici, parfois précisés par des annotations en italiques, quelques extraits de ce document exceptionnel rédigé par un lycéen de 18 ans, entre le début de la guerre et la capitulation de Metz.
L’entrée en guerre et le temps des illusions
Uniforme lycéen sous le Second Empire
7 - 8 juillet - Affaire Hohenzollern.
11 juillet - L’Espagne se retire. Le roi de Prusse ne retire pas son consentement donné au prince. Renvoi de l’ambassadeur Benedetti. L’ambassadeur prussien se retire.
• Le lycéen Poline se tient au courant de l’affaire Hohenzollern. Rappelons que le gouvernement provisoire espagnol, après la destitution de la reine Isabelle II en 1868, avait offert la couronne d’Espagne au prince Léopold de Hohenzollern d’où réaction du gouvernement français craignant l’encerclement, discussion avec la Prusse et manipulation par Bismarck de la fameuse dépêche d’Ems le 13 juillet au soir. L’indication du renvoi de l’ambassadeur Benedetti est donc erronée à la date du 11.
15 - 16 juillet - Déclaration de l’Empereur. Mobilisation des troupes de la garde mobile. Espions déguisés en curés arrêtés à Sierck et aux forts.
17 juillet - Les régiments quittent la ville (promenade militaire) à 4h du matin et 9h. Les communications avec Thionville sont interceptées. Les St-Cyriens sont renvoyés. Les régiments passent toute la journée en chemin de fer pour se diriger sur Saint-Avold. Le 51e, 81e arrivant du camp de Saint-Maur et le 95e de ligne campent dans la plaine ainsi que le 18e bataillon de chasseurs. Les dragons sont à la porte Serpenoise.
• Commence la description de tous les corps de troupes qui vont passer à Metz. On sent bien dans cet inventaire précis l’intérêt du jeune Poline pour les choses militaires. Quant à l’interception des communications avec Thionville, c’est un faux bruit.
18 juillet - Le 55e, 29e, 7e de ligne, le 7e de chasseurs, de l’artillerie et du génie campent au polygone d’artillerie. Les Jésuites distribuent des médailles aux soldats.
20 - 21 juillet - Baccalauréat.
22 juillet - Déclaration de guerre portée en Prusse par M. de Wimpfen.
• En fait, la déclaration de guerre à la Prusse fut portée à Berlin le 19 juillet.
26 juillet - La garde arrive. Les quatre régiments de voltigeurs et un bataillon de chasseurs arrivent à pied de Pont-à-Mousson. Il y en a une dizaine qui meurent de chaleur et de fatigue. Un régiment d’artillerie de la garde arrive dans la plaine.
• Il s’agit de la garde impériale commandée par le général Bourbaki.
27 juillet - Les trois régiments de grenadiers arrivent au polygone. Un grenadier se brûle la cervelle dans les fossés de la porte Serpenoise. Un régiment de guides, une partie du régiment des dragons de l’Impératrice. Deux régiments d’artillerie de la garde avec huit mitrailleuses. Le régiment des zouaves de la garde. On dit qu’il y a déjà un engagement entre les chasseurs et les Bavarois. On envoie des voitures d’ambulances à Saint-Avold et Sarreguemines.
Napoléon III
28 juillet - Les dragons de l’Impératrice. Les lanciers. Le reste des guides guides de l’artillerie. Les hussards sont campés au polygone du génie. L’Empereur arrive à 7h du soir en calèche découverte avec le prince impérial. Ils logent à la préfecture et ils vont dans le jardin en face du Lycée. Les chasseurs de la garde montent la garde au poste.
• Le lycéen Poline voit arriver l’Empereur qui vient prendre le commandement en chef de l’armée. Les jardins de la préfecture où résidera la souverain avec le prince impérial pendant tout son séjour à Metz ne sont séparés du lycée que par le petit bras de la Moselle et la rive côté lycée n’était pas encore bâtie. Arthur Poline vit donc de très près l’Empereur.
29 juillet - Le prince impérial va visiter le camp du polygone et celui du Ban-Saint-Martin à 9h avec le maréchal Lebœuf, ministre de la Guerre, et le général Bourbaki. L’Empereur sort à midi, il va à Saint-Avold… On dit que Sarrebruck est occupé par les Français et que les Prussiens se retirent sur Coblence et Mayence pour attirer l’armée française dans le pays montagneux qui est entre Sarrelouis et le Rhin dans la vallée de la Moselle.
• En fait, le premier engagement important sur Sarrebruck eut lieu le 2 août.
30 juillet - L’Empereur sort à 2h par la porte de France. Je le rencontre à 4h quand il revenait. La ville est pleine de chevaux et de voitures de réquisition. Mon cousin d’Ancerville est à la porte de France avec sa voiture et deux chevaux. On lui donne dix francs par jour et par cheval.
1er août - La garde mobile est convoquée à Metz… La ville est pleine de voitures de la campagne qui vont prendre à la gare de l’avoine et de la paille ou di foin qui ont été serrés dans des presses hydrauliques et qui sont comme des ballots.
2 août - L’Empereur est parti ce matin à 8 heures et demi par la grande gare. On dit que le choléra règne dans l’armée prussienne. Les réserves du 95e et du 54e arrivent. On construit un chemin de fer dans les fortifications près de Montigny. L’Empereur revient l’après-midi avec le prince et deux généraux… Les Français ont passé la frontière et Sarrebruck est en flammes. Les Prussiens ont été délogés des hauteurs où ils s’étaient postés et l’élan des Français a été tel que leurs pertes sont peu nombreuses
Les défaites de la frontière et l’encerclement
5 août - Les Français ont été repoussés à Wissembourg. L’Empereur ne s’est pas montré de toute la journée, il travaille constamment à la préfecture. On attend l’Impératrice.
6 août - On dit que les zouaves ont été écrasés à Wissembourg mais que le maréchal Mac Mahon a pris sa revanche. L’Empereur travaille toute la journée. Bataille de Froeschviller : 33 000 hommes du corps de Mac Mahon luttent contre 14 000 Allemands.
• Ce jour là les nouvelles sont venues très vite. Les batailles d’Alsace ont lieu effectivement le 6. Par contre, aucune indication sur les combats sanglants de Spicheren.
7 août - L’empereur part. Désespoir général. On attend les Prussiens autour de Metz. On arrête à chaque instant des espions prussiens en ville…On dit que le corps de Mac Mahon a repris Forbach… Les corps d’armée n’ont pas encore donné. On attend une bataille.
• La rumeur de la reprise de Forbach est fausse. C’est à cette date que Metz a été déclarée en état de siège et que le général du génie Coffinières de Nordeck a été nommé gouverneur militaire.
8 août - Les régiments de Saint-Avold et de Forbach arrivent en débris. Le corps de Bazaine effectue sa retraite. Les Prussiens ont passé le Rhin sur plusieurs ponts. De 30 à 40 ans les hommes sont appelés. On détruit toutes les maisons autour de la ville.
9 août - 7h du matin. L’Empereur va prendre le commandement de l’armée concentrée autour de Saint-Avold et qui se compose de cinq corps. Le corps de Bazine n’a pas encore donné ni la garde. 9h. L’armée s’est concentrée en avant de Metz. L’Empereur vient de se rendre au quartier général de Bazaine qui a le commandement des troupes. La garde nationale comprend des hommes valides de 30 à 50 ans. Les campagnards arrivent de tous côtés en ville pour mettre leurs denrées à l’abri… 14h. L’armée continue à se concentrer. La garde nationale reçoit des fusils et des cartouches. 20 h. Les chasseurs à cheval ont été en reconnaissance jusqu’à Boulay où l’on disait que les Prussiens s’étaient annoncés, ils n’ont trouvé qu’un Prussien…
• En fait, l’Empereur ira jusqu’à Faulquemont puis rentrera épuisé par la maladie et les souffrances. Ce même jour où l’annonce des défaites du 6 suscite des troubles, le gouvernement Émile Ollivier démissionne. L’Impératrice régente le remplace par le vieux général Cousin-Montauban conte de Palikao.
10 août - Tous les dépôts de tous les régiments, toutes les réserves sont à Metz. On arme les remparts… Les Prussiens sont avancés en plaine où certainement on va les prendre… On attend une bataille pour demain ou après-demain. La ville est pleine de cultivateurs qui se sauvent avec leurs meubles.
11 août - La pluie tombe depuis hier soir. La retraite continue.
• Le roi de Prusse Guillaume 1er dort à Saint-Avold.
13 août - J’ai été au camp français qui est à Montigny et à Magny, les ennemis sont à deux lieues plus loin. On attend toujours une bataille…
14 août - L’Empereur part à trois jeunes. Il y a eu des enfantements toute la journée. À 3h l’après-midi, l’ennemi a attaqué du côté de Saint-Julien, Borny, Colombey et Ars-Laquenexy; à 7h après une canonnade terrible il a été repoussé. Du grenier du Lycée, je voyais les bombes et les soldats sur le fort Bellecroix.
• L’ensemble de ces combats constitue la bataille de Borny. L’Empereur est parti en direction de Verdun.
15 août - Les Prussiens sont à Montigny, on voit encore la poussière dans les bois qui indique la route que suivent les troupes françaises. Il y a très peu de troupes en ville. On ne comprend rien au mouvement des troupes. L’armée française est aujourd’hui tout entière sur la rive gauche de la Moselle.
• En fait l’armée française se remet en marche en direction de Châlons suivant les directives de l’Empereur, mais Bazaine, opposé à cette manoeuvre, freine le mouvement.
16 août - Aujourd’hui j’ai 18 ans. Une grande bataille s’est engagée à 9 heures du matin auprès de Gravelotte. Les Prussiens ont surpris le 67e de ligne quand il faisait le déjeuner, ils ont été repoussés à 7 ou 8 h du soir.
17 août - On amène 212 blessés français au Lycée. À 6h du soir il y a eu une légère attaque contre le fort de Saint-Julien qui a tiré une vingtaine de coups de canon. Tous les bourgeois prennent des blessés chez eux…
18 août - La bataille s’est encore engagée vers le même endroit que l’autre jour. L’action a commencé vers 9h du matin. On ne connaît pas encore le résultat. Le soir à 7h je voyais encore les obus éclater vers Gravelotte et Lorry en même temps qu’une fumée épaisse s’élevait au-dessus de Lorry. On s’est battu à Châtel-Saint-Germain, les troupes manquant de munitions (souligné par Arthur Poline), on a dû battre en retraite.
• Il s’agit de la bataille de Saint-Privat. En soulignant “manque de munitions”, Arthur Poline marque bien son indignation devant l’impéritie des responsables militaires. La retraite a eu lieu à Saint-Privat le val de Metz et non à Châtel où les troupes du général prussien Moltke ont été tenues en échec.
19 août - On amène toujours des blessés. On se bat entre Lorry et Saulny.
20 août - On voit les tentes des soldats qui sont campés sur la côte Saint-Quentin. Metz n’est en communication avec aucune ville, tous les chemins de fer sont coupés. Les Prussiens ont rétabli pour eux le chemin de fer entre Courcelles et Forbach.
Le blocus
23 août - Les jardins qui sont autour de Metz sont démolis, les soldats campent entre les forts et la ville. La Seille est débordée. L’Esplanade est pleine de blessés. On a fait venir des wagons de marchandises dans l’avenue Serpenoise, pour y mettre des blessés…
L’esplanade de Metz transformée en hôpital militaire.
26 août - L’armée a fait un mouvement, elle a repassé dans la nuit et toute la matinée sur la rive droite de la Moselle. Il n’y a plus de troupes sur la côte ou au Ban-Saint-Martin. On attend toujours impatiemment des nouvelles de Mac Mahon qui était allé au camp de Châlons rallier une armée.
31 août - De l’Esplanade, on voit les retranchements que les Prussiens ont fait du côté de Rozérieulles. Les troupes se dirigent du côté de Lorry. On voyait ce matin les régiments rangés en bataille au milieu des vignes de Lorry. À midi, du grenier, je vois les soldats en colonne qui vont traverser la Moselle auprès de la Grange aux Dames (entre Saint-Julien et la ferme de Saint-Eloy). Le fort de Saint-Julien tire quelques coups de canon. La bataille est engagée. Les Prussiens s’étaient retranchés à Savigny (Servigny-lès-Sainte-Barbe). Le fort de Saint-Julien a tiré tout le temps. La canonnade a été terrible, c’est un roulement perpétuel. L’ennemi a été obligé de reculer et les réserves françaises n’ont même pas donné… La bataille se continue vers Sainte-Barbe pendant toute la nuit.
1er septembre - La canonnade recommence ce matin à 5h encore plus forte que hier. Il fait beaucoup de brouillard… Les troupes font un mouvement vers Malroy. Les grosses pièces du fort de Saint-Julien tirent dans la direction de Malroy. Les Prussiens ont été refoulés après une canonnade terrible. L’armée française se dirige en grande partie sur la rive gauche de la Moselle qu’elle passe par trois ponts, elle va du côté de Moulins. Il fait une chaleur excessive toute la journée.
2 septembre - J’ai été à Scy, j’ai vu les Prussiens rangés en bataille en haut de Rozérieulles où ils font un grand fort. Les avant-postes ont échangé quelques coups de feu.
3 septembre - L’armée concentrée autour de Metz comprend les corps de Frossard, Ladmirault, de Failly, Canrobert et Bourbaki sous le commandement de Bazaine. On fait aujourd’hui l’enterrement du général Decaen (tué lors des combats de Borny).
5 septembre - Les Prussiens travaillent constamment sur la côte de Rozérieulles, on voit de nouvelles batteries qui ont été faites cette nuit devant les bois… L’Esplanade est remplie de blessés qui sont dans les tentes ou dans les wagons du chemin de fer. Le Saulcy est rempli aussi de tentes.
• Le prince Frédéric-Charles à qui Moltke a confié la mission de réduire Metz mène une stratégie prudente d’encerclement en se tenant hors de portée des canons des forts extérieurs de Metz. Cela explique la description que fait le lycéen Poline, juché dans un grenier, des positions respectives des adversaires.
6 septembre - On ne mange plus que du cheval en ville.
Boucherie chevaline à Metz-devant-les-ponts.
7 septembre - La pluie tombe à verse. Le bruit court que l’empereur est déchu. C’est aujourd’hui la fête à Saint-Cloud. Il fait un temps affreux, le vent souffle violemment et la pluie tombe toujours.
• Encore aucune indication sur la défaite de Sedan survenue le 1er septembre. Par contre court la rumeur de la déchéance de Napoléon III.
8 septembre - Il y a aujourd’hui quinze ans que les Français sont entrés en vainqueurs à Sébastopol. On parle d’un Comité de Salut Public.
9 septembre - On dit qu’il y a eu un engagement du côté de Sedan. Ce soir, à 6 heures et demi environ, on a entendu une canonnade du côté de Rozérieulles.
10 septembre - La pluie tombe toujours. Je suis allé voir le camp, les chevaux sont dans l’eau jusqu’au genou, les tentes et la terre sont pleines d’eau.
12 septembre - J’ai encore vu un ballon ce matin. On parle du renversement de l’Empire.
• De nombreux ballons mis en œuvre par le docteur Jeannel, pharmacien de la Garde, seront envoyés avec un sort très divers. Les Prussiens en récupèreront et renverront du courrier à Metz pour décourager encore plus les assiégés.
13 septembre - Une proclamation fait connaître qu’on a lu sur la Gazette de la Croix (journal conservateur prussien) que l’armée française s’est fait écraser sous les murs de Sedan et qu’on a établi un nouveau gouvernement. On dit que l’empereur est fait prisonnier.
15 septembre - Les Prussiens sont au château de Ladonchamps et à La Maxe ; je suis allé aux avant-postes français d’où j’ai vu les Prussiens en promenade militaire. On s’est fusillé pendant quelque temps. Les Français travaillent toute la journée à se fortifier, ils font des tranchées et établissent des batteries de tous les côtés…
16 septembre - J’ai vu aujourd’hui des pièces de 28, énormes, pesant 8 086 kg et se chargeant âr la culasse, qu’on s’apprêtait à porter sur le fort Saint-Quentin.
19 septembre - On connaît à Metz le nom de Jules Favre et du gouvernement provisoire. La République française a été reconnue par toutes les puissances… Le gouvernement s’est retiré à Tours. Trochu est resté à Paris pour organiser la défense.
• En fait le gouvernement est resté à Paris, il a envoyé une délégation de trois ministres, dont Gambetta, à Tours, pour disposer d’une antenne en dehors de Paris assiégé.
20 septembre - Les Français se fortifient à Woippy.
21 septembre - Les vivres diminuent toujours. Les soldats n’ont plus qu’une livre de pain par jour et il leur est défendu d’en acheter en ville.
22 septembre - Les forts de Saint-Quentin et Saint-Julien ont tiré toute la journée ainsi que les francs-tireurs pour protéger les fourrageurs qui ont pris 200 charrettes de fourrage et se sont emparés du château de Mercy.
25 septembre - Nous ne savons plus de nouvelles de Paris; on ne sait à quoi se résoudre. Le gouvernement provisoire s’étant retiré à Tours et ayant déclaré qu’il ne céderait rien à la Prusse, la guerre continuera certainement jusqu’à ce que la France ait le dessus. Il faut que la nation française montre à l’Europe que si elle a été vaincue par l’incapacité du chef de l’armée, elle est décidée à continuer la lutte jusqu’à la dernière extrémité. Il faut renouveler les mesures prises par la 1ère République et montrer que les Français n’ont pas dégénéré.
• Les réflexions d’Arthur Poline sont intéressantes car elles illustrent un état d’esprit où l’on retrouve le patriotisme républicain tels que l’expriment les romans nationaux d’Erkmann Chatrian avec la référence à la première République. Il ne faut pas oublier que Metz avait une vieille tradition républicaine et qu’elle avait voté en majorité contre le projet constitutionnel de Napoléon III lors du plébiscite du 8 mai 1870.
26 septembre - Le journal annonce que Laon a capitulé, que la citadelle a sauté et tué 500 Français sans causer de perte à l”ennemi. Strasbourg ne s’est pas encore rendu ni Sélestat, Toul, Soissons. Le quartier général du roi de Prusse est à Versailles. On dit que Jules Favre fait des propositions de paix. Ducrot est à Meudon avec 80 000 hommes. Tous les chemins de fer allant à Paris sont coupés.
• Il s’agit des entretiens de Ferrières, du 19 au 23 septembre, entre Bismarck et Jules Favre, au cours desquels le chancelier de Prusse fit part des conditions allemandes pour arrêter les combats : la cession de l’Alsace et de Metz.
27 septembre - Je voyais les Français qui étaient allés au fourrage dans les fermes de Thury et de La Maxe, et les batteries prussiennes entre Malroy et Argancy lançaient des obus qui éclataient derrière les fermes. À 3h de l’après-midi tout a été fini.
28 septembre - À Paris M. Mézières et d’autres Lorrains ont signé une protestation contre toute tentative de séparation de la Lorraine et de la France.
• Alfred Mézières, ancien professeur au Lycée de Metz, était depuis 1863 professeur à la Sorbonne. Ses parents vivaient encore à Metz. Il fut, après l’annexion, académicien, député de Briey et sénateur.
29 septembre - Encore aujourd’hui il est venu des blessés nous demander du pain et pendant ce temps les médecins du Lycée étaient à table où ils donnaient un dîner.
Metz : la place de la Comédie, le quartier du Lycée, l’église Saint-Vincent (archives familiales)
1er octobre - J’ai été aujourd’hui jusqu’à Moulins avec un convoi d’environ 200 prisonniers prussiens qu’on allait échanger. Un parlementaire, les yeux bandés, marchait en tête. On parle d’une défaite des Prussiens à Etampes.
2 octobre - Les Prussiens ont mis le feu à la ferme de Ladonchamps et à Sainte-Ruffine. On s’est battu dès le matin sur la route de Thionville.
3 octobre - Je suis allé à la Maison Rouge (Woippy) où les batteries françaises ont tiré tout l’après-midi contre les Prussiens. Les Français sont aussi à Ladonchamps où il y a une batterie. On a fait des tranchées plus loin que Saint-Rémy sur la route. Les chasseurs à cheval et d’Afrique qui sont à pied sont allés au feu. La garde est arrivée vers le soir et a bivouaqué derrière Woippy.
5 octobre - Le fort Saint-Quentin a encore tiré l’après-midi et le soir. Les Français se fortifient à Ladonchamps et dans les fermes.
6 octobre - Le camp prussien établi à Malroy a été évacué et l’armée ennemie a passé la Moselle, s’est dirigée du côté de Saulny, probablement pour prendre la route de Paris. Les Prussiens ont encore mis le feu à Olgy et à Charly.
9 octobre - Strasbourg s’est rendue après être arrivé à bout de ressources et de munitions. Les habitants de Metz sont taxés pour le pain. On fait le recensement de tous les blés et farines détenus chez les habitants et on les prend pour l’armée.
10 octobre - Le fort Saint-Quentin commence la canonnade ce matin vers 7h, elle dure toute la journée et toute la nuit. Le mauvais temps fait tomber les chevaux comme des mouches.
11 octobre - Il y a eu hier une manifestation sur la place d’Armes. On a crié “Vive la République !” et foulé l’aigle aux pieds. Un officier ayant crié “Vive l’Empereur !” a été battu.
• Les Messins commencent à murmurer contre Bazaine qui a refusé de se rallier à la République.
12 octobre - Il fait un froid de chien. On ne voit que des chevaux crevés de tous les côtés. On a fait courir le bruit d’une victoire près de Paris, le bruit a été démenti. Un communiqué du maréchal Bazaine dit que ce n’est pas certain et le maréchal espère que l’on a confiance dans sa loyauté.
La capitulation
14 octobre - La population de Metz n’a pas beaucoup confiance dans Bazaine, on croit qu’il trahit. La fièvre typhoïde règne en ville. Rassemblement de la garde nationale. On déclare que Bazaine n’a pas le droit de capituler. On veut forcer Bazaine à se démettre de ses pouvoirs et donner le commandement à Ladmirault.
• Arthur Poline rend compte aujourd’hui des événements qui se sont passés la veille au soir. Des Messins se sont regroupés devant l’Hôtel de Ville où se tenait le Conseil Municipal pour protester contre l’attitude de Bazaine. La garde nationale veut aller à Ban Saint-Martin où réside Bazaine pour réclamer la démission du chef de l’armée. Le maire, Félix Maréchal, s’interpose et va porter à Bazaine un message exprimant la détermination des Messins à ne pas capituler.
15 octobre - On distribue des cartes chez les habitants. On fait du pain avec la farine qui est obtenue en moulant le blé et en y laissant le son. Un homme a 400 gr. Un jeune homme 200 gr., un enfant 100 gr. On dit qu’on a entendu le canon toute la nuit du côté de Pont-à-Mousson.
16 octobre - Le fort Saint-Quentin a engagé la canonnade vers 5h. Les Prussiens ont répondu vigoureusement et ont bombardé Scy.
17 octobre - C’est aujourd’hui la rentrée des classes au Lycée. Il n’y a plus de vivres pour longtemps. Je crois que si nous ne sommes pas secourus, la ville capitulera pour le 1er novembre.
20 octobre - On fait des perquisitions dans toutes les maisons pour trouver du blé ou du lard. On dit que l’anarchie règne en France. Chaque ville se soulève. On appelle les Prussiens pour rétablir l’ordre. C’est ignoble si c’est vrai.
21 octobre -Le temps est toujours aussi mauvais. On diminue les rations: 300g. ration complète. On continue à parler de paix.
22 octobre - On dit que l’armée qui est autour de Metz va partir lundi pour Amiens et Lille rétablir l’Empereur ou l’Impératrice comme régente.
24 octobre - Le temps continue. C’est aujourd’hui que l’armée devait, disait-on, partir et rien n’a bougé. Le général déclare que l’armée ne peut plus fournir de chevaux à la ville. On prend tous les chevaux des paysans et des propriétaires qui en ont rentré en ville.
26 octobre - Il fait le soir un vent épouvantable. Les bruits de paix continuent à se répandre, ils sont plus ou moins ridicules. On rentre toujours des canons à l’arsenal.
27 octobre - On dit que la ville a capitulé et que les Prussiens viennent demain. Une proclamation fait connaître qu’il n’y a plus de blé que pour jusqu’au 28 et que l’armée et la ville se rendront pour le 30 s’il n’arrive pas de mieux dans la situation. Ainsi dans 3 jours les Prussiens, musique en tête, vont entrer dans Metz et s’emparer de tout le matériel, de toutes les munitions dont la ville est pleine. C’est une honte pour tout Français.
28 octobre - On met un drapeau noir à Fabert, on l’arrache et on le brise. Émeute. Des officiers d’infanterie, un capitaine de carabiniers de la garde, un général se mettent avec les citoyens ainsi que beaucoup de soldats. On sonne le tocsin après avoir cassé la porte. La garde nationale reçoit des chassepots (fusils). On va à l’hôtel de ville chez Coffinières. Le soir, un bataillon du 2e de ligne se range en bataille sur la place d’Armes. On sonne le tocsin de 7 à 8 h. On dit que les Prussiens sont en marche pour les forts.
• Les notes du lycéen Arthur Poline reflètent exactement ce que nous relatent les ouvrages sur le siège de Metz.
29 octobre - Le maire (Félix Maréchal) engage à supporter la situation. Une Convention relative aux habitants dit qu’on respectera leurs propriétés et qu’ils peuvent s’en aller. Tous les soldats rentrent les armes, les harnachements, les munitions en ville. Les Prussiens sont en ville depuis midi. Un dérachement d’infanterie et de hussards est à la porte Mazelle. Les Prussiens sont entrés sur la place d’Armes musique en tête. Aujourd’hui Metz a été violée par l’ennemi le plus acharné et le plus odieux. Il pleut toute la journée.
• Évoquant l’entrée des troupes prussiennes dans Metz, Arthur Poline, 62 ans plus tard, écrivait à sa fille Marie : “ Et j’ai toujours dans les oreilles le glas de la mort qu’elle (la Mutte, la grosse cloche du beffroi de Metz) dispersait au vent le jour où les Allemands entraient en ville”.
30 octobre - Les Prussiens se promènent par toute la ville. On dit que Paris est pris. Ordre du général Kummer commandant aux soldats français de se rendre à 4h à la caserne Chambières. 500 officiers français partent prisonniers en Prusse par le train de 5h.
• Le nom du gouverneur militaire prussien de Metz était von Kummern.
1er novembre - Toussaint. 180 Prussiens viennent camper au lycée.
9 novembre - D’après un journal belge que j’ai lu, il paraît qu’à Metz il y avait 500 canons de campagne, 800 pièces de siège, 300 000 fusils, plus de 500 fourgons. D’après une lettre de Bazaine avérée dans ce journal, l’armée ne montait pas à plus de 65 000 combattants. Les Prussiens disent qu’il y avait 173 000 Français à Metz.
• Les effectifs français font l’objet de contestations, ils comprenaient outre l’armée du Rhin, divers corps de la place, des mobiles, etc. Le chiffre de 168 000 rationnaires dont tous n’étaient pas des combattants est cité par François Roth dans “La guerre de 70 en Lorraine”.
Le journal d’Arthur Poline se poursuit jusqu’au 14 mars 1871.
Admis à Saint-Cyr en 1872, major de sa promotion deux ans plus tard, il débute sa carrière militaire comme sous-lieutenant d’infanterie. Promu lieutenant au 11e régiment d’infanterie, il obtient le brevet d’état-major de l’École Supérieure de guerre avec la mention très bien. Arthur Poline est nommé capitaine au 2e régiment de tirailleurs algériens, puis au 104e régiment d’infanterie à Paris, et ensuite directeur de l’infanterie au Ministère de la Guerre.
En 1911 le général Poline prend le commandement de la 11e division à Nancy, en 1913 du 17e Corps d’armée à Toulouse, et termine sa carrière à la tête de la 9e Région militaire à Tours.
De son union avec Marie-Victoire Pêcheur sont nés quatre enfants. Arthur Poline est mort à Versailles le 26 août 1934, et son épouse le 26 septembre 1947.