FRANÇOIS II ET SA FAMILLE.

La Vierge de Miséricorde couvrant de son manteau le duc François II, ses deux fils, Charles IV au premier plan à gauche et Nicolas-François; ses deux filles, Henriette, femme de Louis de Lorraine, prince de Phalsbourg, et Marguerite, future épouse de Gaston d’Orléans, et deux religieuses appartenant à la Maison de Lorraine.

Le pays naborien dans le bailliage d’Allemagne 1581 - 1751.

par Bernard Becker

Ancienne possession des évêques de Metz, la ville de Sain-Avold est administrée par les comtes de Nassau leurs seigneurs sous-avoués, jusqu’au milieu du XVIe siècle. Le 16 mai 1572, Charles cardinal de Lorraine administrateur du Temporel de l’évêché de Metz, donne en fief et à perpétuité la seigneurie de Hombourg-Saint-Avold à Henri de Lorraine duc de Guise. Par contrat de vente en date du 24 novembre 1581 signé à Paris, le duc de Guise et Catherine de Clèves son épouse vendent au duc de Lorraine Charles III « les terres et seigneuries de Hombourg-Saint-Avold assises es confins du pays d’Allemagne … lesquelles terres nous cédons à notre sieur et cousin franches, quittes et déchargées de toutes debtes pour 288 000 livres tournois ». Le 27 octobre 1582, les habitants de la seigneurie prêtent serment de fidélité au duc de Lorraine et les officiers de ce dernier s’installent. Cet achat de la seigneurie s’inscrit dans une stratégie délibérée du Duché qui s’agrandit dans la partie centrale du bailliage d’Allemagne.

Ce bailliage d’Allemagne est situé au nord-est du duché de Lorraine, de part et d’autre de la Sarre, et comprend les possessions ducales de langue allemande, par opposition à celles de langue romane, formant les bailliages des Vosges et de Nancy et ceux, plus petits, de Vaudémont, de Châtel-sur-Moselle et d’Hattonchâtel. L’office de Sierck, le seul qui soit situé sur la Moselle, touche à l’électorat de Trèves, au duché de Luxembourg et au Pays messin. L’office de Siersberg et ceux de Saargau-Merzig, situés de part et d’autre de la Sarre inférieure, sont voisins de l’électorat de Trèves. À l’est de la Sarre, l’office de Schaumberg s’étire en une étroite bande de terre, entre l’électorat de Trèves au nord, le duché de Deux-Ponts à l’est et le comté de Nassau-Sarrebruck au sud, dans le Hunsrück, en direction des pays de Saint-Wendel et de la Nahe supérieure. Le comté de Boulay, le marquisat de Faulquemont, la seigneurie de Berus, les offices de Vaudrevange et, désormais, de Hombourg-Haut-Saint-Avold, la seigneurie de Forbach et l’office de Sarreguemines dominent les voies de communication de la Nied, la Nied romane et la Nied allemande, de la Rosselle, de la Sarre moyenne, de la Prims et de la Blies. Cette énumération qui ne concerne qu’une partie du bailliage a pour but de montrer qu’il s’agit d’un véritable enchevêtrement de territoires. Le siège de ce bailliage est situé, depuis le XIVe siècle à Vaudrevange (Wallerfangen). Après la cession de Vaudrevange à la France au XVIIe siècle, le siège du bailliage sera transféré en 1698 à Sarreguemines par le duc Léopold Ier de Lorraine.

Le bailliage d’Allemagne

Couvrant une superficie d’environ 4300 km2, le bailliage d’Allemagne se présente comme une région enclavée qui ne jouit donc pas d’une position confortable, située entre des États en pleine formation : le Royaume de France, désireux de l’incorporer afin d’atteindre la frontière naturelle que constitue le Rhin, et le Saint Empire Romain Germanique, soucieux de réaliser son unité. Aussi les ducs de Lorraine auront-ils à cœur de le renforcer par de nouvelles acquisitions afin de réduire le nombre exagéré des fiefs et des enclaves.

En 1581, après l’acquisition de la seigneurie de Hombourg-Saint-Avold, Charles III (portrait à droite) céde au comte de Nassau-Sarrebruck, Philippe III, l’avouerie du couvent de Wadgassen, mais reçoit en échange l’avouerie des couvents de Longeville et de Fraulautern. En 1583, il achète pour 400 000 florins la seigneurie de Phalsbourg au comte Jean-Georges 1er de Veldenz-La-PetitePierre et, le 14 décembre 1593, la forteresse et l’office de Marsal à l’évêché de Metz. En 1601 il signe un compromis avec le duc de Deux-Ponts pour le tracé des frontières du comté de Bitche.

Le duc Henri II achète en 1612 le marquisat de Nomeny et le ban de Delme, relevant en fief anciennement de l’évêché de Metz et conclut, en 1617, un nouveau compromis avec le duché de Deux-Ponts au sujet du tracé des frontières du comté de Bitche, de même qu’un autre, en 1620, avec l’électeur de Trèves, Lothaire de Metternich, au sujet du condominium de Merzig-Saargau. En 1621, il acquiert du comte de Nassau-Sarrebruck les villages de Wiesviller, Woelfling, Rémering et Grundviller. En 1623, il traite avec le comte de Nassau, Louis, et l’électeur de Trèves, Lothaire de Metternich, pour rendre la Sarre navigable et acquiert la même année la seigneurie de Lixheim de l’électeur palatin, Frédéric V. Le duc François II occupe militairement, en 1629, le comté de Sarrewerden, détenu provisoirement depuis 1527 par les comtes de Nassau-Sarrebruck, alors que la Chambre de Spire ne lui reconnait que la possession des villes de Bouquenom et de Sarrewerden. À sa mort, en 1632, son fils Charles IV hérite non seulement de ce comté, mais aussi de tous les autres biens de la maison de Vaudémont, dont la moitié du comté de Salm et la seigneurie de Turquestein et Saint-Georges, ancien fief de l’évêché de Metz.

On le voit, Charles III, Henri II, François II et Charles IV ont fait un effort réel et louable pour agrandir leurs possessions du bailliage d’Allemagne, surtout sur les frontières orientales, et ontconclu de nombreux traités d’accommodement avec les princes d’Empire : traité de 1620 avec l’électorat de Trèves, traité de 1621 avec Nassau-Sarrebruck. Par contre, Henri II aliène les principautés de Phalsbourg et de Lixheim en 1621 et 1624 en faveur de Louis de Guise et de Henriette de Vaudémont. Il renonce aussi à ses droits d’ouverture sur le château de Fénétrange.

On connaît les tragiques événements du XVIIe siècle : la Guerre de Trente Ans suivie de l’occupation française. La Lorraine retrouve sa souveraineté avec le traité de Ryswick en 1697 et est confiée au duc Léopold Ier. De retour dans ses États, celui-ci entreprend une série de réformes administratives de grande envergure. Les anciens bailliages de Nancy, Vosges et Allemagne sont supprimés et leurs territoires repartagés entre ceux de Toul, Verdun et Sarrelouis dont fait partie Saint-Avold. Après la destruction de Vaudrevange et la construction de Sarrelouis, le duc Léopold érige un nouveau bailliage d’Allemagne dont le siège est fixé à Sarreguemines le 11 août 1698. Enfin, il promulgue un édit qui divise les duchés en dix sept bailliages, confiés à des lieutenants généraux, et cinquante huit prévôtés. Saint-Avold devient le chef-lieu d’une prévôté regroupant vingt trois villages.

Le bailliage d’Allemagne est supprimé en 1751 par un édit daté du 30 juin de Stanislas Ier Leszczynski dans le cadre d’une large réorganisation administrative du Duché de Lorraine. La prévôté de Saint-Avold est supprimée. La ville déjà dépouillée de la recette des finances et de la gruerie transférées à Dieuze en 1747 est intégrée avec deux tiers des villages de l’ancienne prévôté dans le nouveau bailliage de Boulay ce qui provoque la colère de la bourgeoisie naborienne.

Conformément aux dispositions du Traité de Vienne (1738) le Duché de Lorraine est rattaché à la France en 1766. Certains territoires de l’ancien bailliage d’Allemagne dont Siersberg, Schaumberg, Merzig-Saargau, Berus et Vaudrevange, seront cédés à la Prusse lors du Traité de Paris (1815) et font aujourd’hui partie du Land de la Sarre.

Léopold 1er, le duc préféré des Lorrains

Fils de Charles V, duc titulaire de Lorraine et de Bar, et d’Eléonore d’Autriche, reine douairière de Pologne, soeur de l’empereur Léopold 1er, Léopold de Lorraine naît à Innsbruck, capitale du Tyrol, le 11 septembre 1679. Il deviendra duc effectif de Lorraine et de Bar de 1697 à 1729.

Le jeune duc arrive à Nancy, pour la première fois de sa vie, le 17 août 1698. Il a presque 19 ans. Il épouse celle-là même que devait auparavant épouser l’archiduc Joseph de Habsbourg, la nièce du roi de France, Élisabeth Charlotte d’Orléans qui lui donnera quatorze enfants.

Le premier mérite de Léopold, c’est d’avoir relevé la nation lorraine et d’y avoir maintenu la paix pendant trente ans, alors que le reste de l’Europe était ravagé par la guerre. De cet immense bienfait a découlé une prospérité prolongée dont on lui a fait justement honneur. Grâce à. cette sage politique, il assura à ses sujets la sécurité qui est la première condition d’un travail fructueux. Les campagnes se repeuplèrent, tant par le retour des Lorrains fugitifs que par la naturalisation de nombreux étrangers. Les villages se rebâtirent, l’agriculture remit en valeur les terres abandonnées pendant le XVIIe siècle.

Léopold donna un soin particulier à la voirie. On répara, on entretint les vieux chemins. On fit mieux encore, on construisit avec une admirable diligence jusqu’à huit cents kilomètres de routes nouvelles avec plus de quatre cents ponts, qui firent un bien immense à ses États et servirent de modèle au reste de l’Europe. Ce sont là certes des titres sérieux à la reconnaissance populaire et qui valent mieux que toutes les bruyantes batailles qui servaient la gloire personnelle de Charles IV, mais ruinaient le pays.

Il créa des greniers de prévoyance. En prévision des insuffisances de récoltes et de la cherté qui pouvait s’ensuivre, il prescrivit d’emmagasiner, pendant les bonnes années, l’excédent des productions, de façon à pouvoir, dans les mauvaises, vendre des grains à un prix raisonnable. Des magasins de ce genre furent établis dans toutes les villes de Lorraine.

On constate donc facilement dans l’administration de Léopold, des actes, des institutions, des aspirations générales au bien qui font les bons souverains. On ne s’étonnera pas que ce règne pacifique de trente années, venant après les folies de Charles IV et une longue occupation étrangère, ait laissé d’heureux souvenirs dans la mémoire du peuple lorrain.

Entre France et Empire : un pays de l’entre deux

Saint-Avold tire profit de sa situation entre France et Empire. Située sur le passage de la route Metz-Mayence qui rejoint le passage de la Sarre à Sarrebruck, la ville ne possède pas moins de dix-huit hôteliers, seize bouchers et une dizaine de boulangers à la fin du XVIe siècle. Le commerce du sel du cuir et des bovins y joue un rôle majeur. Les autorités lorraines créent à Saint-Avold quatre foires : à Noël, mi-carême, quasimodo et le lundi après la Saint-Adelphe, début septembre. Pour stimuler le commerce, un marché franc ou Kessmarckt se tient tous les lundis. Ces foires très prisées sont un lieu de rencontres et d’échanges entre des marchands lorrains, messins de langue française et des marchands du bailliage d’Allemagne. Certains marchands naboriens font du commerce avec les Pays-Bas. Ils exportent verre et bois jusqu’à Amsterdam, d’autres visitent les foires de Trêves, Francfort et Strasbourg.

La croissance démographique a un effet d’entraînement sur l’économie. Quelques chiffres suffiront à montrer son importance. Le rôle des conduits de 1634, dressé avant les ravages de la guerre de Trente Ans, donne la composition des ménages, avec la domesticité : 984 personnes pour 250 feux - clergé régulier exclu. Après la guerre, en 1652, le nombre des feux est tombé à 12, plus quelques mendiants et veuves. Un demi-siècle plus tard, au recensement général du duché, de 1708, la récupération démographique est presque achevée : 825 habitants (hormis les abbayes) pour 223 feux et la remontée se poursuit en flèche, jusqu’à atteindre près de 2800 personnes et 500 feux à la Révolution, soit un triplement en trois générations.

La démographie naborienne est renforcée par l’arrivée de populations venues de régions germanophones du duché telles que celles de Sarreguemines ou de Sarrelouis, mais aussi du diocèse de Wurtzbourg ou du Duché du Luxembourg. Des maçons et des charpentiers viennent de régions du sud des pays germaniques. Des familles de tailleurs de pierre sont présentes dans la cité naborienne dès le début du XVIIIe siècle et sont originaires du Tyrol. La population militaire de passage est souvent originaire d’Alsace et plus précisément de Haute-Alsace.

Face à ce flux de population germanophone se développe un flux de population francophone. Au XVIIIe siècle, l’ensemble des réformes introduites par le duc Léopold favorise l’installation de nouvelles familles francophones au cœur de l’administration naborienne. Peu à peu, un bilinguisme s’installe. Tandis que l’allemand reste la langue de la communication orale et des prières, la langue française se généralise au niveau de l’écrit notamment dans les actes officiels.

Le mouvement d’émigration des Lorrains vers l’Empire, initié depuis la guerre de Trente Ans ne prendra de l’ampleur qu’après le départ de la famille ducale, suite au renversement des alliances de 1756.

Le blason de Saint-Avold et celui de la Sarre ont un point commun : les armes de Lorraine, souvenir d’une histoire commune dans le bailliage d’Allemagne.