Le « signe contredit » Catherine FILLIUNG (1848-1915) prophète et mystique de la lorraine annexée
Conférence présentée le 19 octobre 2012 Salle des Congrès de Saint-Avold par Gilles Berceville
Catherine Filliung, petite paysanne pauvre de Biding, s’était entendue appelée à obtenir la fondation d’un pèlerinage diocésain à Notre-Dame de Bon-Secours et à instituer une communauté religieuse qui accueillerait dans son village les enfants abandonnés.
Éconduite par Monseigneur Dupont des Loges quant au pèlerinage, elle déploya une activité extraordinaire pour donner un toit et une éducation à des enfants sans ressources.
Nous allons évoquer sa vie, son expérience mystique, son activité prophétique et son activité de bienfaisance qui s’est étendue de 1873 à 1915 soit très exactement le temps de la Lorraine annexée.
De cette période difficile de notre région, de notre peuple lorrain, Catherine est une expression extraordinairement forte. C’est une histoire belle, mais surtout douloureuse car Catherine Filliung fut et reste l’objet de controverses furieuses.
La polémique
Parler de Catherine Filliung, c’est entrer dans un débat contradictoire. Ceux qui en parlent se réfèrent à deux récits totalement opposés, l’un ayant été écrit contre l’autre.
Le témoignage d’Eugène Ebel
Le premier récit a été composé par Eugène Ebel, imprimé en 1929 et réimprimé en 1932. Il s’intitule : “ Sœur Catherine. Notes biographiques sur la mystique lorraine Catherine Filliung, religieuse dominicaine, fondatrice de l’orphelinat de Biding, 1848 -1915 “. C’est un livre qui n’est pas destiné à la vente. Il est dédié à Monseigneur Ernest Jouin, une figure notable du clergé parisien qui fut curé de Saint-Augustin, qui introduisit les Petites Sœurs des Pauvres à Paris, qui fonda et dirigea une revue internationale des Sociétés secrètes anti maçonniques. Eugène Ebel commence son livre de la manière suivante : « Selon votre désir, Monseigneur, je ne différerai pas davantage de fixer par écrit, afin que mémoire en survive, ce que je sais de cette sœur Catherine qui, venue de Lorraine en 1888, quêter à Paris pour un orphelinat, y mit en émoi le monde religieux par ce qu’on racontait de ses dons extraordinaires, de ses extases et de ses prophéties. Je l’ai beaucoup connue et suivie attentivement depuis cette année-là jusqu’à la fin de sa vie. S’il est dans son histoire bien des sujets sur lesquels je ne puis songer à tout dire, les souvenirs qui me restent et les documents dont je dispose me fourniront la matière de notes assez pleines et assez précises pour ne laisser aucun doute sur la valeur de la personne ni sur la vérité des choses ».
Né en 1860, il a donc 12 ans de moins que Catherine Filliung. Il la rencontra à l’âge de 28 ans et il la fréquenta jusqu’à la fin c’est-à-dire 27 ans durant. Il lui resta toujours fidèle. Il lui consacra une grande partie de ses travaux et dépensa beaucoup d’énergie au service de sa cause. Son livre se présente sans bas de page, sans une note. Certaines personnes qui jouent un rôle important ne sont pas nommées comme Monseigneur Dupont des Loges ou comme Jean-Baptiste Pelt. D’autres personnages le sont mais leur nom a été volontairement modifié. Eugène Ebel a voulu éviter toute polémique inutile et préserver la réputation de personnes encore vivantes ou dont on gardait un souvenir proche. Nous nous trouvons donc en présence d’un disciple, pieux laïc, qui nous offre un récit qui est un témoignage et même une hagiographie (sans donner aucune nuance péjorative à ce mot), car Ebel le répète avec insistance, le fait des extases de Catherine Filliung auxquelles il a lui-même assisté est avéré, certifié par des médecins et même par la justice civile. Ces extases, par ailleurs, ont été examinées par le Saint-Office à Rome et on y a donné l’assurance qu’il ne s’agissait ni de tromperie ni d’illusion. Or une extatique ne peut qu’être une sainte.
Les contradictions de Jean-Baptiste Pelt
Le second récit, contradictoire, parait en 1934. Il a pour titre “La vérité sur Catherine Filliung, fausse mystique, 1848 -1915, par Jean-Baptiste Pelt, évêque de Metz “ édité à Metz par l’imprimerie du journal “Le Lorrain “.
Né en 1863, Jean-Baptiste Pelt est de la même génération qu’Eugène Ebel. Ordonné prêtre en 1886, il est nommé professeur au séminaire de Metz en 1888 et devient, en 1906, le vicaire général de Monseigneur Benzler avant d’être ordonné lui-même évêque de Metz en 1919. Le livre de Monseigneur Pelt se présente sous une forme très différente de celle d’Eugène Ebel avec des notes en bas de page, une forme qui attire plutôt la confiance de l’historien. Voici comment Monseigneur Pelt commence son ouvrage : « Qu’il eut été préférable de laisser sombrer dans l’oubli les faits auxquels se rapporte ce livre et qui ont reçu une telle publicité, ils ont été tellement altérés au détriment de l’honneur du clergé et des évêques de Metz, que je considère comme un devoir de piété filiale et de justice de rétablir la vérité, afin de venger l’honneur de mes vénérés prédécesseurs. Ce ne sera pas une œuvre de polémique mais une page d’histoire impartiale à caractère strictement documentaire. Ce n’est pas que la bonne foi de M. Ebel ou son talent d’écrivain soit à mettre en cause mais ce qu’il lui faut dénier absolument, c’est le sens critique. Son œuvre est partiale et foncièrement erronée. Il n’a puisé pour ainsi dire qu’à une seule source et cette source est très trouble : ce sont les dires de la visionnaire. Non seulement il les accueille avec une crédulité sans pareille mais y ajoute parfois de son propre fonds. Il ignore ou passe sous silence tout ce qui ne concorde pas avec sa thèse qui veut faire de Catherine Filliung une mystique, une extatique de bon aloi. Avec une subtilité rare, il sait interpréter et plier les faits et les documents de manière à les faire servir à sa thèse contrairement à toutes les règles d’une saine critique ».
Monseigneur Pelt déclare qu’il ne veut pas mettre en cause la bonne foi d’Eugène Ebel mais, quelques lignes plus loin, il affirme que celui-ci aurait ajouté de son propre fonds, qu’il aurait passé sous silence ce qui ne concorde pas avec sa thèse, qu’il n’a puisé qu’à une seule source. Or si le livre d’Eugène Ebel ne comporte pas de notes de bas de page, il y a beaucoup de documents auxquels il se réfère de façon précise et surtout il a lui-même fréquenté Catherine Filliung de nombreuses années et s’est renseigné auprès d’un grand nombre de témoins qui l’ont également connue.
Monseigneur Pelt adressa un courrier au Saint-Office en espérant une condamnation de ce livre. Le Saint-Office ne prononça aucune condamnation étant donné que le livre d’Eugène Ebel était à usage privé. Comme l’a découvert Madame Maria-Irma Seewan, historienne et théologienne autrichienne qui a exploré et publié les documents relatifs à Catherine, l’expert chargé par le Saint-Office de l’affaire a noté par ailleurs qu’aucun examen sérieux de la situation n’avait été réalisé par les autorités diocésaines et qu’on n’avait aucunement démontré chez Catherine Filliung l’existence de supercheries. Le Saint-Office reconnaît toutefois à l’évêque le droit d’interdire la diffusion et la lecture d’un ouvrage dans son diocèse, et c’est ce que fera Monseigneur Pelt.
Les notes dans le livre de Jean-Baptiste Pelt sont fort nombreuses mais sont pour la plupart des copies d’informations trouvées dans les registres de l’évêché ou dans les registres paroissiaux sur la carrière des prêtres qui sont nommés et souvent ces notes n’ont pas grand intérêt pour le débat.
Examinons quelques faits qui suffiront à évaluer la valeur et la crédibilité de l’ouvrage de Monseigneur Pelt.
Une guérison miraculeuse ?
Catherine Filliung affirme avoir été guérie par la Vierge le 10 mars 1873. Voici ce qu’en dit Monseigneur Pelt : « La vérité sur cette guérison est que le docteur Kürten (qui avait reçu et suivi Catherine dans sa maladie) établi à Ars-sur-Moselle depuis le mois de juin 1873, fit au juge d’instruction le 23 septembre 1884 la déclaration suivante : “ En été 1872, Catherine Filliung se présenta chez moi, à Puttelange, se plaignant de battements de cœur, de douleurs dans le bas ventre, de difficultés d’uriner, de fleurs blanches, de manque d’appétit et de sommeil. J’eus la conviction que tous ces symptômes ne reposaient que sur l’hystérie. La malade ne m’a jamais parlé d’ulcère à la matrice et rien dans les symptômes n’en indiquaient la présence ». La citation que Monseigneur Pelt rapporte ici date de dix ans après les faits. Alors qu’il a chargé son livre de notes pour la plupart inutiles, il ne donne ici aucune référence et on ne sait donc pas où il a été chercher le texte de cette déposition.
Quelques pages plus loin, il cite une lettre d’un autre opposant de Catherine Filliung, le curé de Puttelange, datée du 4 juin 1873, juste après le fait de la guérison supposée. Voici ce qu’il écrit : « Comme le médecin qui la traitait est allé s’établir à Ars, je n’ai pas pu le consulter sur cette guérison mais je me suis adressé au pharmacien qui a fourni les médicaments. Celui-ci m’a déclaré qu’il était sûr que Catherine avait les fleurs blanches à un degré très alarmant et qu’il tenait de la bouche du médecin qu’elle en était radicalement guérie et que sa guérison ne pouvait pas être attribuée aux médicaments prescrits, que cette guérison était arrivée subitement ».
Note de Monseigneur Pelt : « Il y a contradiction apparente entre ce que le médecin déclara au juge d’instruction et ce que le pharmacien lui prête ici à supposer que celui-ci ait rapporté exactement la pensée du médecin. Ce dernier, au moment même, a pu croire à une guérison radicale, l’expérience l’aura ensuite convaincu du contraire ». Mais quelle “expérience” a-t-elle pu faire changer d’avis le docteur Kürten, dont nous savons que dès le 4 juin, il avait déménagé à Ars ? Il n’y a aucune raison de penser qu’il ait réexaminé Catherine après le mois de mars 1873, où il constata sa guérison « radicale » et fit part de son étonnement au pharmacien de Puttelange. Il est indéniable, comme l’atteste une lettre envoyée par l’abbé Meyer à Monseigneur Dupont des Loges en avril 1873, lettre citée elle aussi par Monseigneur Pelt, que Catherine souffrait d’une plaie purulente invétérée traitée longuement et sans succès par le docteur Kürten en usant de la “pierre infernale”, et que son état de santé se dégrada de manière « alarmante » à la suite d’une nouvelle maladie : un catarrhe de la vessie, constaté par le Docteur Kürten, qui fit alors savoir qu’une opération était nécessaire. Soit le texte de la déposition du docteur Kürten, affirmant que sa patiente ne lui avait jamais parlé d’ulcère dix ans plus tôt, est un faux, soit il est authentique, mais dans ce dernier cas, son témoignage tardif serait un mensonge éhonté, sans aucune crédibilité et d’aucune utilité pour le procureur, cherchant à établir au procès de Sarreguemines que Catherine avait été coupable de simulations, puisqu’il suffisait à celle-ci de confondre le témoin en lui rappelant les traitements qu’il lui avait administrés. Le discernement de Monseigneur Pelt semble ici très faible : il ne voit même pas les difficultés soulevées par ses affirmations aussi rapides que péremptoires.
Si Catherine avait été confondue au procès de Sarreguemines par la déposition du docteur Kürten, Monseigneur Pelt n’aurait pas manqué de nous en informer, comme il le fait (mais de manière inexacte) pour une autre affaire que nous allons présenter maintenant : celle des lettres amoureuses à l’abbé Marx.
Des lettres amoureuses ?
Monseigneur Pelt transcrit un certain nombre de lettres amoureuses qui auraient été écrites par Catherine à un certain abbé Marx et que cet abbé avait déposées lui-même au tribunal contre Catherine.
En voici une : « Mon cher ami. Je ne puis vous dire combien je suis peinée que vous êtes parti hier soir sans me parler. Je suis restée en haut, je pensais que vous allez venir et puis vous êtes parti. Je n’ai pas dormi toute la nuit. Je suis partie exprès pour Hellering dans la pensée que je puisse vous voir plus longtemps et vous. êtes parti ainsi. Pourquoi avez-vous fait cela ? Croyez-vous que je ne suis pas fidèle ou que je vous trahirais ? Certainement pas. Je vous dirai quelque chose quand je vous verrai. Je vous en prie, méfiez-vous de Anna, ne la touchez pas, elle rapporte tout à votre mère. Je vous dirai tout quand j’aurai le bonheur de vous voir. Je suis toute gênée de venir si souvent ici. Dites-moi quand je pourrai vous voir et vous parler. Pardonnez-moi si je vous ai peiné, mais mon intention n’était pas de le faire. Je vous attendais et vous êtes parti. J’espérais de vous voir ce matin mais vous ne venez pas pour la messe. Donnez un mot de réponse à Anna. J’attends son retour à la ferme. Je vous aime. Je vous aime. Votre amie Catherine Filliung ».
Un autre billet est ainsi libellé : « Mon cher ami. Ce soir, je viendrai te voir, c’est sûr. Je suis toujours dans la plus grande peine. Madame Ernst est dans les peines puisque l’abbé Mohr a parlé contre moi. Encouragez donc Madame Ernst et rassurez-la. Je te salue de tout cœur. Ton amie qui t’aime avec fidélité. Laisse la porte du devant ouverte pour que je n’aie pas besoin de sonner ».
Un autre : « Je vous prie de venir ce soir à la ferme. Je désire vous parler. Venez donc. Nous serons à 7 heures à la ferme. Si j’ose vous prier de nous faire la lettre pour cette baronne pour que je puisse l’emporter ce soir. Je vous en prie : ne me refusez pas ce service. Je vous en serai reconnaissante. Ne me refusez pas, je vous en prie, puisque cette dame demande une lettre. Fais le donc. J’espère de te voir ce soir ».
En lisant ces lettres, on constate qu’il s’agit d’un collage maladroit, avec l’insertion de phrases langoureuses dans des messages qui n’ont par ailleurs de fautif que leur grammaire. Ici comme ailleurs, Monseigneur Pelt se plaît à rapporter les textes attribués à Catherine où abondent les incorrections de langage. Dans les lettres à l’abbé Marx on passe bizarrement d’une phrase à l’autre du vouvoiement au tutoiement. On aurait aimé que Monseigneur Pelt puisse nous expliquer le passage du « vous » au « tu ». Il ne le signale même pas. Il affirme sans explication et sans y mettre aucune nuance : « Ces lettres ont tous les caractères d’authenticité intrinsèque et extrinsèque ». « Catherine, elle-même, continue-t-il, n’en a d’ailleurs contesté que quelques unes devant le juge ». Lesquelles ? Nous ne le saurons pas. La seule lettre reconnue comme sienne par Catherine et reproduite par Monseigneur Pelt n’a aucun trait de lettre d’amour. Elle montre au contraire la déférence de Catherine à l’égard d’un prêtre, sa loyauté et sa fidélité envers qui l’a aidée, sa pudeur, son attention aux personnes, la manière dont elle était surveillée et calomniée et le véritable motif des accusations portées contre elle.
« Mon cher Monsieur le Curé. J’ai appris que vous êtes appelé à Metz. Je me permets de vous prévenir que vous ne serez pas seulement questionné que M. Meyer dit la messe à la chapelle ; mais on vous questionnera encore qu’il est vrai que vous êtes venu en civil à Biding et que vous avez des relations mauvaises avec moi. C’est la Misler qui a tout raconté au curé d’ici (de Biding), tout ce que la Anna de la ferme lui confiait. Je vous avertis d’avance et je vous avertis que jamais je (ne) serai contre vous. Je vous défendrai partout où je pourrai. Vous ferez bien de nier tout et de dire que cette personne a été renvoyée (de) chez nous et (que) maintenant elle veut se venger et dit des méchancetés de tout le monde. J’espère que cette fois-ci aussi vous vous tirerez d’affaire. Nous prions tous pour vous. Quand vous serez de retour, faites nous savoir (ce) qui est arrivé. Saluez de ma part votre bonne mère et le petit Séraphin ».
Des escroqueries ?
Monseigneur Pelt s’étend longuement sur une affaire qui a contribué à discréditer Catherine aux yeux de Monseigneur Benzler : l’affaire de mademoiselle Marchal. Cette dernière avait déposé une plainte contre Catherine lui reprochant de lui avoir vendu un fonds de commerce en surestimant sa valeur. Cette affaire avait été jugée à plusieurs reprises devant les tribunaux civils et avait abouti à un non-lieu avec indemnités accordées à Catherine.
Pourtant jugée par les tribunaux civils, cette affaire est à nouveau présentée devant Monseigneur Benzler qui demande un examen canonique. Voici ce que le professeur de séminaire consulté par Monseigneur Benzler écrit à Catherine Filliung, lettre reproduite dans le livre d’Eugène Ebel : « Le désir formel de sa Grandeur est que vous acceptiez la transaction que vous a proposée mademoiselle Marchal et que vous lui payiez les 24 000 marks dont elle déclare se contenter. Sa Grandeur espère fermement que, fidèle à la promesse que vous lui avez faite personnellement, vous vous soumettrez à sa décision d’autant plus qu’en justice rigoureuse vous seriez tenue à une restitution supérieure ».
Catherine répond : « Monseigneur, mon cœur saigne. Je ne dois rien à mademoiselle Marchal, mais je vous dois obéissance ». Monseigneur Benzler lui répond : « Ma sœur, votre lettre du 27 février m’a montré votre bonne volonté mais elle me révèle aussi un malentendu causé par la lettre qu’on vous a écrite en mon nom. Je voulais vous engager à vous entendre de plein gré avec mademoiselle Marchal et je ne peux pas vous imposer une obligation dont vous continuez à nier l’existence ». Or le professeur de séminaire auteur de la lettre dont parle Monseigneur Benzler n’est autre que Jean-Baptiste Pelt qui se garde bien de citer cet échange de courrier dans son livre.
Une mort atroce ?
Voici ce qu’en écrit Eugène Ebel : « Catherine eut trois mois de cruelles souffrances qu’elle supporta avec une patience inaltérable. Elle s’endormit doucement, à dix heures du soir, le 4 août ».
Voici le récit des derniers instants de Catherine tel qu’on le trouve dans le livre de Monseigneur Pelt : « Alitée depuis le commencement de mai, elle eut de cruelles souffrances à supporter. Les derniers moments, surtout, furent terribles. Contrairement à ce qu’écrit monsieur Ebel, sa mort fut loin d’être douce. Les traits du visage contractés, la bouche béante, la langue sortie étaient un objet d’effroi pour les assistants. Le curé de Biding récita les prières de l’agonie auxquelles elle ne sembla pas prendre part tellement elle souffrait ».
On attendrait une note. D’où Monseigneur Pelt tient-il ces détails si précis ? Sans doute du curé de Biding qui fut un des plus vifs opposants de Catherine dans les dernières années de sa vie et même après sa mort. Les détails accumulés avec complaisance par Monseigneur Pelt suggèrent que Catherine mourut dans un terrible repentir étant même incapable de prier au moment de l’agonie.
Or nous avons le témoignage d’autres personnes qui ont assisté aux derniers moments de Catherine notamment du Père Obry, de vénérée mémoire, de Téterchen que Catherine demanda à son chevet pour pouvoir se confesser. Voici la lettre du père Obry : « Vers la mi-juillet 1915, je reçus par mon supérieur d’alors une lettre écrite par sœur Catherine Filliung elle-même sur son lit de mort comme elle s’exprimait, pour me supplier de venir pour une confession générale. J’étais curé pendant la guerre et, comme il ne me semblait pas avoir péril dans la demeure, je promis de passer à Biding le 4 août. Je choisis et proposai cette date uniquement parce qu’elle était la plus commode pour moi qui avais passablement à faire. Le 4 août au matin, j’arrive à Biding. On me conduit chez Catherine Filliung où je restai à peu près une bonne demi-heure. Je trouvai la malade en pleine lucidité, l’esprit très bien disposé. Nous avons causé de choses et d’autres de façon calme et sérieuse et je quittai la malade. Deux ou trois jours après, en recevant la lettre de faire-part de sa mort, j’étais fort surpris en constatant qu’elle avait, pour ainsi dire, attendu ma venue pour se préparer encore par une confession générale, que, le soir même de ce jour à cinq heures, elle avait perdu connaissance pout mourir à dix heures. Enfin, ce jour du 4 août fut justement la fête de saint Dominique. Voilà à peu près tout ce que je puis vous dire en ma qualité de confesseur. Cette vie semble être fort mystérieuse et on peut croire que c’est seulement dans l’éternité qu’on y verra tout à fait clair ».
On le voit, l’ouvrage de Monseigneur Pelt n’est pas du tout un ouvrage impartial fondé sur les seuls documents : c’est un réquisitoire, une approche systématiquement malveillante. Mais Monseigneur Pelt n’argumente pas de façon très convaincante : il accumule les contradictions et les invraisemblances. Il élude ce qui met en difficulté sa thèse. Son travail est bâclé. Cela dit, il transmet des informations précieuses pour notre connaissance de Catherine, sans pouvoir aboutir comme Ebel à un portrait cohérent et vivant de son personnage.
La vie et l’Oeuvre de Catherine Filliung
Catherine est née en 1848. En 1873, son confesseur, l’abbé Meyer, alors curé de Bioding, nous dit que c’est une fille innocente, d’une piété candide, simple, sans affectation. Ce 10 mars 1873, elle avait 25 ans. Depuis son séjour au carmel de Lunéville, elle était malade et souffrait d’une infirmité grave, un ulcère à l’utérus très douloureux. Elle ne mangeait plus, s’affaiblissait et les traitements n’avaient pas d’effet. La maladie n’est pas mortelle, disent les médecins, mais elle est incurable. C’est l’abbé Meyer qui la suit et qui prend soin de sa santé, lui-même étant originaire de Puttelange et ses deux sœurs y possédant un magasin, il leur demande de prendre Catherine à leur service afin qu’elle puisse être soignée plus régulièrement. Fin janvier, complication très douloureuse : un catarrhe vésical. Le docteur Kürten dit à la malade : « Vous en avez pour six mois à un an avec une opération nécessaire ».
L’église de Biding aujourd’hui
Que s’est-il passé le lundi 10 mars 1873 ? Voici ce qu’écrivit Catherine, quatre ans après les faits en 1877. « Ayant voulu partir (de la chapelle de la Vierge dans l’église de Sarreguemines où elle se trouvait), je me sentais mal comme si j’allais tomber et c’est ce qui m’est arrivé. Je tombai sur le pied de l’autel. Personne n’était là pour me soutenir et malgré cela je sentais comme si quelqu’un me tenait dans ses bras. Je suis revenue à moi en regardant en arrière pour savoir qui me tenait car je me trouvais si bien. Qui vois-je ? C’était une jeune dame ou aurais-je du dire une demoiselle de quinze à seize ans, pleine de bonté et pleine de compassion. En me regardant, elle me souriait et me caressait les joues avec sa main droite. Elle me disait avec une voix douce “Vous êtes malade mon enfant ?”. Je la regardais de nouveau pour répondre “oui”. Mais ma langue pouvait à peine prononcer ce mot. Elle me présentait à boire dans un petit calice en argent. Je sentis dans ma bouche une liqueur agréable et douce. Je me sentais parfaitement guérie. Je voulus remercier cette bonne dame - car je croyais toujours que c’était une dame qui m’avait soignée – mais, pour mon plus grand étonnement, je ne vis personne ni à l’église ni dans la chapelle. Ma plus grande peine était de ne pas la remercier ».
Après sa guérison, chaque jour, à la même heure, Catherine entre en extase devant ses proches. La Vierge lui apparaît, l’instruit, la fait assister en esprit à des événements futurs. Catherine parle à haute voix sans le savoir. Elle commente ses visions, ce qui permet à ceux qui l’entourent de les suivre. Elle voit de grands fléaux et une guerre terrible aboutissant à une victoire de la France et à la chute de l’empire allemand. On s’efforce dans un premier temps de garder secrètes les extases, mais voici que début mai Catherine tombe publiquement en extase en pleine grand messe ce qui suscite une émotion considérable chez les villageois qui se répand rapidement dans toute la Lorraine et l’Alsace. On cerne la maison familiale, on enfonce les portes, les fenêtres. Catherine comme son père sont désespérés. « Qu’ai-je fait pour que mon enfant soit comme cela ? » L’abbé Meyer est convaincu quant à lui de l’origine divine des extases. Il s’entoure des conseils des curés des environs, notamment de l’abbé Nicolas Guldner, curé de Guenviller. Il se met à étudier la théologie mystique pour accompagner de son mieux celle qu’il dirigeait. Mais l’avis est immédiatement défavorable à l’évêché où l’on refuse de prendre l’affaire au sérieux. La consigne donnée à l’abbé Meyer est la suivante : il faut humilier Catherine et la faire rentrer dans les voies ordinaires.
La rencontre de Catherine avec Monseigneur Dupont des Loges est racontée par l’abbé Meyer dans une lettre reproduite par Monseigneur Pelt. « Après dîner, l’abbé Delesse nous accompagna chez le prélat. J’envoyai Catherine à la chapelle Sainte Glossinde en attendant qu’on l’appelât. Nous montâmes seuls. Je m’attendais à ce que l’évêque allât témoigner quelque intérêt à la chose. Et bien, oui. Le prélat prélassa et se mit à causer. “Je me dois à tous mes diocésains, dit-il, et puisque cette fille veut me parler je suis prêt à l’entendre.” On eut dit qu’il allait rendre grand service. Il s’informa donc pour savoir où elle était. “ À la chapelle, fut la réponse. En attendant qu’elle soit mandée par votre Grandeur “. L’abbé Delesse se leva pour aller la chercher. Au bout de quelques minutes, il revient dire qu’il ne peut l’amener, qu’elle est en extase devant l’autel de la Sainte Vierge. Il fallait voir la figure ébouriffée du prélat ! Tu te serais levé, tu serais allé voir. C’eut été en dessous de sa dignité. “Que faire ? Que faire ? dit-il tout décontenancé. – Monseigneur, je me charge de la faire monter, lui répondis-je “, et je sortis avec l’abbé Delesse […] Elle fut introduite chez le prélat qui lui causa seul environ un quart d’heure et qui, ensuite, sans avoir vu et sans être à même de juger, me déclara en définitive qu’il fallait être très sévère, c’est-à-dire mépriser ses extases, n’y pas faire attention, ne pas lui permettre de causer et surtout ne pas prêter l’oreille à ce qu’elle disait. Ce fut le résultat de l’entrevue ».
De 1873 à 1878, Catherine s’entend appelée à une mission. Elle aurait à fonder un orphelinat pour accueillir gratuitement des enfants abandonnés et pauvres et cet orphelinat serait desservi par une nouvelle congrégation consacrée à la Passion du Christ et à l’Immaculée Conception.
De 1877 à 1878, elle se retire à Nancy chez les Driou. Elle est alors dirigée par le père Bourgeois, dominicain, futur provincial, et elle entre dans le Tiers Ordre dominicain. Considérée comme la fille de la famille aisée qui l’hébergeait, et cherchant de l’aide pour l’entreprise à laquelle elle se croit appelée, elle ne s’habille plus comme une paysanne de Biding mais comme une bourgeoise de Nancy et on lui reproche alors de sortir de son rang. Monsieur Schmidt, un professeur du séminaire de Metz écrivait au supérieur du séminaire : « Ce que vous avez dit, Monsieur le Supérieur, de son extérieur non assez grave pour le rôle qu’elle s’attribue, de son habillement trop coquet, qui étonne, blesse et scandalise même les personnes qui en sont les témoins attentifs, peut être soutenu pertinemment; car c’est le jugement du curé de Puttelange et d’autres ecclésiastiques graves qui la connaissent. Le premier lui ayant un jour adressé une observation à ce sujet, reçut d’elle cette réponse : “Je ne fais pas attention à mon costume, car la Sainte Vierge m’a recommandé d’en agir ainsi”’ ». Dans une lettre adressée au vicaire général, Monseigneur Fleck, en 1880, Catherine écrit elle-même : « J’avoue et je confesse que j’ai produit un mauvais effet sur le public à Puttelange et à Nancy par la toilette que je portais. J’ai eu mes torts en cela, je le reconnais et je tâche de les réparer tous les jours en m’habillant simplement selon mon rang et ma condition ».
Le pavillon construit par Catherine Filliung en 1878 (état actuel)
Catherine retourne à Biding en 1878 et elle y construit un pavillon qui est le premier bâtiment destiné à recevoir des orphelins. Elle s’y établit elle-même en 1879. C’est alors qu’on commence vraiment à s’alarmer dans le clergé. Elle veut fonder une œuvre en exploitant la crédulité publique, estime-t-on. L’évêque et le clergé y sont opposés. Elle est, pour cette raison, privée de ressources et d’aumônes : les curés interdisent de lui donner. Alors Catherine veut créer ses propres fonds et elle montre une étonnante capacité d’initiative. Elle organise et centralise le commerce des chapeaux de paille dans la région et elle ouvre un magasin d’ornements d’église. Des amies la rejoignent pour former une communauté qui se mettrait au service des enfants pauvres.
En septembre 1882, les abbés Meyer et Guldner reçoivent de l’évêché un avis de déplacement avec défense de toute communication avec Catherine Filliung. On parle même de décret d’excommunication à son égard. Tous les trois s’en vont à Rome. Catherine sera examinée par un jésuite, le père Lorençot et celui-ci se montra convaincu de l’authenticité de l’extase. Catherine est reçue en audience et reçoit la bénédiction du pape Léon XIII. Ce dernier chargea le commissaire du Saint-Office, le père Sallua, un dominicain, de régler le différend entre les deux abbés et le diocèse de Metz. Le dominicain se proposa d’être l’entremetteur entre l’évêque et les deux prêtres. Il écrivit une lettre où il confiait ces deux prêtres à l’indulgence de l’évêque et lui donnait pouvoir de les absoudre. Quand les prêtres rentrent dans le diocèse, la lettre de Sallua y est reçue comme une condamnation. Les deux prêtres avaient déjà été remplacés dans leur paroisse et ils prirent l’un et l’autre finalement le parti de quitter le diocèse pour habiter à Francfort. L’abbé Guldner deviendra un confesseur particulièrement apprécié à Francfort d’où il enverra un certain nombre de ses dirigées rejoindre la communauté de Catherine à Biding.
Catherine est désormais privée de l’appui des deux prêtres qui l’accompagnaient depuis des années. Le nouveau curé de la paroisse lui est farouchement opposé. Le 12 novembre, elle enterra son père mort de chagrin quand il sut que l’abbé Meyer qui l’avait beaucoup soutenu ne reviendrait pas au village. Le 25 novembre, deux personnes du village voisin rendirent visite à Catherine et lui dirent qu’une femme pauvre des environs était morte laissant sans ressources une fillette de six ans. « Vous qui êtes libre maintenant, mademoiselle Filliung, vous pourriez vous charger de la petite ». Catherine attelle sa carriole, va chercher la petite, la ramène sous son manteau. L’œuvre était née. Elle accueille de plus en plus d’orphelins auxquels elle ne demande qu’une chose : être sans ressources.
Au printemps 1883, Catherine aurait envoyé selon E. Ebel une lettre à Léon XIII lui demandant de consacrer le mois d’octobre au Rosaire. Le pape établira cette coutume par son Encyclique Supremi Apostolatus du 1er septembre de la même année.
Au printemps 1884, il lui est ordonné dans sa prière de construire un grand édifice. Elle en fait dessiner le plan par un architecte. Elle achète une carrière de pierres, engage 80 ouvriers et commence à bâtir en dirigeant elle-même les travaux. Le bâtiment est achevé à l’hiver 1886.
L’orphelinat construit par Catherine Filliung de 1884 à 1886 à Biding (détruit pendant la Seconde Guerre Mondiale).
« Le couvent que Catherine avait à construire, écrit Eugène Ebel, n’était pas une bâtisse commune mais un bel édifice tout en pierre de taille et d’un aspect très particulier. Flanqué à ses angles de quatre grosses tours carrées, surmonté d’une haute toiture et de cheminées ornées d’un gracieux campanile, il tenait à la fois du monastère, de la forteresse et du château seigneurial. Les murs n’avaient pas moins de 1 mètre 20 à la base. Long d’une trentaine de mètres, épais d’une quinzaine, le corps principal était parcouru de bout en bout à chaque étage par un corridor médian que de larges baies éclairent à chaque extrémité. Le bâtiment, à flanc de coteau, se composait de cinq étages dont un en sous-sol presque au niveau de la cour et un dans la toiture. Les corridors du sous-sol et du rez-de-chaussée étaient voûtés dans toute leur longueur en arceaux croisés à arêtes saillantes. Le premier aboutissait sous les deux tours du midi à de vastes chambres semblables à des cryptes d’église dont les voûtes convergentes reposaient au milieu sur une petite colonne ».
En 1886, Catherine est dénoncée au Parquet par mademoiselle Marchal. Elle est arrêtée sous inculpation d’escroquerie et de prophéties séditieuses. Elle est retenue 36 heures en prison. L’affaire aboutit à un non-lieu. L’abbé Meyer qui avait quitté la région pour Francfort, est appelé à témoigner et il revient à Biding. Il reste pour assister Catherine. Il ne dépend plus de la juridiction de l’évêque de Metz mais ce dernier interdit à tous les prêtres de le laisser célébrer dans leurs églises. On verra ainsi ce spectacle étonnant : l’abbé Meyer assistant les jours d’obligation à la messe, parmi les fidèles qu’il avait administrés, dans l’église de Biding qui fut la sienne.
Catherine avait payé ses ouvriers et nourri son personnel au moyen d’emprunts. Elle a en 1886 vingt enfants à sa charge et doit 350 000 marks. Le clergé monte contre elle la population. Son commerce de chapeaux de paille avait fait faillite ainsi que son magasin de Puttelange. Sous la pression de l’évêché, la préfecture refuse à Catherine Filliung l’autorisation de quêter en Lorraine. Catherine va devoir voyager hors de son pays, pour les enfants qu’elle avait accueillis, afin de quêter pour subvenir à leurs besoins. Catherine obtient des secours précieux, en particulier la recommandation de la famille de Bourbon-Parme qui attribuait à sa prière la guérison du duc Robert. Introduite auprès de l’archiduchesse Marie-Thérèse, elle se rendit à Vienne où elle annonça la mort violente de l’archiduc Rodolphe, fils de l’empereur François-Joseph, « dans un pavillon au milieu des bois », selon E. Ebel. Trois ans plus tard, Rodolphe mourut dans des conditions troubles à Mayerling.
En 1886, Monseigneur Fleck succède à Monseigneur Dupont des Loges. Il soumet Catherine à un examen dont le principal résultat est de lui extorquer son carnet d’adresses qui servira par la suite à la diffamer auprès de ses bienfaiteurs. Catherine est sommée de renvoyer l’abbé Meyer et on veut lui imposer des sœurs étrangères dans son orphelinat. En 1887, excédé, l’abbé Meyer rédige une brochure où il incrimine le comportement des évêques de Metz : Catherine en empêche la diffusion, mais Monseigneur Fleck, furieux, prépare une condamnation officielle. Catherine retourne à Rome. Elle bénéficie une seconde fois d’un accueil très bienveillant : quatre audiences papales, bénédiction de Léon XIII et lettre officielle de recommandation du cardinal vicaire.
Les évêques de Metz : Mgr Dupont des Loges, Mgr Fleck, Mgr Benzler, Mgr Pelt.
Pendant son voyage, dont elle revient réconfortée par ce que lui a dit le pape et avec cette lettre de recommandation qui lui facilitera l’obtention de dons, Catherine avait confié l’orphelinat à Louise Hannapel, une religieuse intelligente mais qui avait posé beaucoup de problèmes dans la communauté dont elle avait été exclue et que Catherine avait recueillie chez elle parce qu’elle avait eu pitié de son état physique et moral. Louise Hannapel voulut profiter de l’absence de Catherine pour la supplanter. Elle racheta ses créances et entraina la moitié de la communauté derrière elle. Au retour, le complot est découvert et Louise Hannapel et les sœurs qui l’ont suivie sont renvoyées, mais Louise Hannapel fait valoir ses créances et en exige remboursement par voie judiciaire. Catherine s’entend dire : « Va à Paris, c’est la France qui sauvera ton œuvre ». De 1887 à 1911, elle ira à Paris presque tous les ans, et paiera ainsi ses dettes. Elle soutiendra seule l’orphelinat, le dotant même d’un domaine agricole.
Cependant les calomnies vont s’amplifiant. On l’accuse de sorcellerie et on parle de l’origine infâme de l’œuvre : elle aurait construit cet orphelinat pour y cacher ses propres enfants. Lorsqu’elle revient de Paris, au printemps 1890, débute pour Catherine une descente aux enfers. Jeudi 3 avril, dénoncée par Louise Hannapel, Catherine est arrêtée par le procureur impérial. Elle est conduite en voiture sous escorte de gendarmes à la prison de Sarreguemines. Les chefs d’accusation sont doubles : escroquerie par simulation d’extases, dissimulation de ses propres enfants. Pour le second chef d’accusation, on procède à un examen de virginité ; elle est reconnue vierge. L’accusation s’effondre et avec elle un grand nombre de calomnies répandues sur son compte. Restent les escroqueries par simulation d’extases. 232 témoins viennent déposer. Les dix personnes se disant victimes d’escroqueries s’avèrent avoir été remboursées. Il ne reste donc à poursuivre Catherine que pour la raison qu’elle aurait simulé des extases, moyen délictueux de capter la confiance. « J’ai dit à la Marchal que j’étais pauvre, toute pauvre et sans instruction, déclare Catherine dans sa déposition à l’avocat Engelborn. En 1873, on m’a ordonné dans mes prières de fonder un orphelinat et, de plus en plus, je me sentais obligée de fonder cet orphelinat. Ce n’est pas vrai que les enfants paient chez nous. Pas un enfant ne donne un centime. Il est prévu dans nos statuts que tout enfant qui pourrait payer ne serait pas accepté. Seuls les enfants pauvres et abandonnés seront acceptés. Les preuves de ceci sont faciles à avoir. Pour tout enfant qui était accepté nous demandions au maire un certificat attestant s’il était pauvre ou non. Dans l’affirmative seulement l’enfant était accepté. Si je suis restée assez longtemps à Paris, c’était pour ramasser de l’argent pour mes pauvres orphelines puisqu’on me défendit de le faire ici. Aux étrangers, on permet de venir collecter ici et nous – c’étaient des enfants du pays – on le défendit. Où auriez-vous voulu que j’aille si ce n’est en France où l’on donne ne se souciant pas de la nationalité ? Notre Christ ne regarde pas la nationalité de chacun et pour tous il est plein d’amour. Si j’avais été riche, le clergé m’aurait soutenu dès le commencement. Le Bon Dieu a toujours fait cela : il se sert des petits pour faire quelque chose de grand. Il le fait encore maintenant. Si je n’avais pas reçu du courage et de la persévérance d’en haut, je me serais targuée de folie que de commencer une œuvre pareille et aujourd’hui encore, malgré toutes les persécutions, je suis sûre et j’affirme que l’œuvre survivra ».
La simulation d’extases est finalement le seul chef d’accusation qui demeure. L’acte d’accusation est communiqué à l’avocat peu avant Noël. Il s’agit de savoir si des extases, quelle qu’interprétation qu’on en donne, sont réelles ou feintes et, pour cela, on soumet Catherine à des expérimentations : « On lui perça les mains d’outre en outre avec des épingles, on lui cribla de coups de lancettes le sommet de la tête et la plante des pieds, on lui fit une petite blessure sous l’œil pour voir combien de temps elle saignerait et comparer les résultats obtenus avec ceux qu’on savait de la sueur de sang. Il arriva qu’un des médecins lui posa son doigt sur la prunelle pendant plus de dix minutes. Ils abusèrent tellement de l’électrisation qu’au sortir de l’asile elle avait l’œil gauche presque perdu. Tous les essais aboutirent à cette certitude que dans le sommeil extatique, l’insensibilité du sujet était absolue ».
Le 9 avril 1892, Catherine comparait comme prévenue libre. L’acquittement est prononcé séance tenante en raison de la bonne foi de l’accusée et de la réalité des phénomènes extatiques. L’arrêt est confirmé par la Cour de Leipzig mais, puisqu’elle est de bonne foi et que les extases sont réelles, elle est considérée comme irresponsable et, de ce fait, incapable de diriger un orphelinat. Elle est même un danger public puisque irresponsable et à la tête d’un orphelinat.
Le 13 novembre, sous un faux prétexte, elle est mandée à la sous-préfecture. Elle est arrêtée et remise à l’asile d’aliénés de Steinbach par mesure administrative. Le directeur lui signifie qu’on ne lui permet plus de gouverner son orphelinat. Elle devait donner son œuvre à l’évêque qui y installerait d’autres religieuses sinon l’établissement serait fermé. Catherine est en cellule pendant trois mois et demi. On lui transmet de l’extérieur les plaintes de ses créanciers qui craignent qu’elle ne soit internée à vie. On la sort de sa cellule, on l’enferme jour et nuit dans une salle de quinze lits pleine de personnes atteintes de folie. Sa sœur, Marie Anne Weber, a recours au prince de Hohenlohe à Strasbourg qui ordonne la libération immédiate de Catherine.
Catherine revient à Biding le 16 avril 1893. Mais trois jours avant on avait expulsé tous ses enfants en laissant seulement les douze plus jeunes à l’orphelinat. Elle retourne à Strasbourg, mais l’arrêt de Leipzig est formel : étant irresponsable, elle ne peut pas diriger un orphelinat. Quelque temps après : nouveau retournement. Elle amène une de ses petites orphelines à Strasbourg. Elle est reçue par un professeur d’université, le professeur Fischer, protestant, qui examine la petite, qui l’écoute parler de son orphelinat et qui se dit : « J’irais bien voir ce qui se passe là-bas ». Elle le conduit à l’orphelinat et le professeur est tellement impressionné par la qualité des soins et de l’éducation assurés aux enfants qu’il demande à Catherine de prendre lui-même la direction de cet orphelinat. Catherine accepte et elle reçoit, en juillet 1894, l’autorisation officielle de la part des autorités civiles. Elle ne sera, désormais, plus jamais inquiétée de leur part. Le Professeur Fischer entrera dans l’église catholique sous l’influence de Catherine.
Pendant quatre ans encore, Monseigneur Fleck ne change pas d’attitude à l’égard de Catherine, puis, étrangement, en décembre 1898, il propose de lui-même à Catherine de faire de sa communauté une communauté du Tiers Ordre régulier de Saint Dominique et il lui accorde à l’intention des bienfaiteurs des recommandations très étonnantes quand on sait combien, dans les précédentes années, il avait fait pour nourrir les accusations contre Catherine. Voici le texte officiel de recommandation reçue par Catherine devenue sœur dominicaine sous le nom de Sœur Marie-Rose de Jésus : « Sœur Marie-Rose de Jésus, fondatrice et directrice de l’orphelinat de Biding (Lorraine), se propose avec notre permission d’aller implorer la charité des personnes bienfaisantes en faveur des pauvres orphelines qu’elle nourrit et élève gratuitement dans sa maison. Cet établissement fondé avec les seuls dons de la charité n’a d’autres ressources pour entretenir ses nombreuses orphelines que les secours qui lui viennent des personnes charitables auxquelles Dieu inspire la bonne pensée de lui venir en aide. Il mérite à tous égards tout leur intérêt par sa bonne direction et par le bien qu’il réalise dans cette partie de la Lorraine qui comprend un grand nombre de familles pauvres ou peu aisées ».
En 1901, Monseigneur Benzler remplace Monseigneur Fleck. Son épiscopat va aboutir à l’obligation pour Catherine et ses sœurs de quitter l’habit et de rentrer dans l’état séculier. L’évêque avait demandé à Catherine de mettre en communauté du couvent tous les biens de l’orphelinat et les biens annexes. On constituera pour cela une société et il est convenu de soumettre l’acte à l’évêque avant de le signer. Catherine écrit à Monseigneur Benzler quand l’acte est prêt mais n’obtient pas de réponse. Elle pense donc que l’évêque a reçu la lettre et qu’il estime qu’elle peut signer. Elle signe donc. Malheureusement, pour une raison inconnue, l’évêque n’avait pas reçu cette lettre et, informé quelques semaines après, il envoya un délégué à l’orphelinat dire à Catherine : « Sœur Marie-Rose a fondé à mon insu, le 11 juillet, la Société Immobilière de l’Orphelinat de Biding. Par cet acte d’insubordination, elle a gravement manqué à l’obéissance. La condition pour reprendre l’habit sera que la supérieure soit déposée, reléguée dans un autre couvent, exclue avec les abbés Meyer et Guldner de la Société ». Abolition, donc, de sa congrégation et absorption par une congrégation étrangère. Toutes les sœurs, sauf quatre novices, décident de poursuivre leur vie religieuse sous le vêtement séculier au service de l’orphelinat. Catherine est soutenue par les frères dominicains notamment le père Berthier, un historien célèbre de Fribourg en Suisse, qui lui conseille de déposer l’habit et donc de revenir à l’état séculier et de continuer ainsi son travail sans plus dépendre de l’évêché. Le 2 avril de la même année, elle est reçue en audience privée par le pape Pie X qui lui dit : « L’habit n’est rien. Restez comme vous êtes. Le temps n’est plus de faire le bien derrière des grilles. Que les hommes vous voient faire le bien ».
Voici la lettre qu’elle envoie (manifestement aidée pour sa rédaction) à Monseigneur Benzler en 1907 : « Si nous avons commis quelques fautes, Monseigneur, c’est sans le savoir et sans le vouloir. En ce qui concerne votre Grandeur, nous avons à cœur de ne vous donner jamais aucun sujet de plainte. Nous avons eu le malheur, étant religieuse, de nous trouver en désaccord avec l’autorité épiscopale dans une question d’organisation temporelle et il en résulte pour nous une pénible épreuve. Mais ce qui est passé est passé et nous avons accepté le sacrifice et nous ne conservons aucun souvenir amer. Que votre Grandeur veuille bien oublier pour l’amour de Dieu et de la paix cet ancien dissentiment qui a disparu par notre retour à l’état séculier. Quelque habit que nous portions, l’orphelinat de Biding est toujours une maison religieuse et une œuvre catholique. La vie qu’on y mène, l’éducation que reçoivent les enfants, l’assistance qu’y trouvent toutes les misères du pays témoignent assez de l’esprit qui l’anime et personne autour de nous, soit dans le peuple, soit dans le clergé, soit dans l’administration civile n’hésite à faire honneur de nos œuvres à la piété catholique qui nous meut et nous soutient. Que votre Grandeur veuille bien nous rendre sa bienveillance comme à des filles dévouées de l’Église humblement soumises à notre évêque et simplement désireuses de continuer à faire le bien sous son autorité et sous sa garde. Ce sont, Monseigneur, nos véritables sentiments. Si vous connaissiez par vous-même, si vous voyiez de vos yeux notre maison, vous ne pourriez pas douter de notre sincérité et les dernières traces d’une dissension déplorable seraient bientôt effacées ».
Catherine a souligné « Si vous connaissiez par vous-même, si vous voyiez de vos yeux » parce que l’évêque a toujours refusé d’aller voir lui-même l’orphelinat de Biding. Il n’y a jamais mis les pieds. En tournée de confirmation, l’évêque passera en carriole devant l’orphelinat mais ne s’y arrêtera pas. Catherine aura demandé toute sa vie que l’évêque puisse venir apprécier de ses propres yeux son oeuvre tout comme le professeur Fischer avait vu ce qui se passait à l’orphelinat de Biding et cela lui aura toujours été refusé.
Les deux prêtres qui ont toujours soutenu Catherine Filliung : à gauche : l’abbé Charles Stanislas Meyer, curé de Biding jusqu’en 1882, a droite : l’abbé Nicolas Guldner, curé de Guenviller jusqu’en 1882.
Conclusion : portrait humain et spirituel de Catherine Filliung
Les proches de Catherine, ceux qui ont vécu dans son intimité, l’ont aimée pour sa simplicité, son caractère ouvert. Elle faisait confiance aux autres quitte à se laisser tromper par eux comme ce fut le cas pour mademoiselle Marchal ou sœur Hannapel. Catherine était une femme courageuse qui entreprit des projets extraordinaires et les mena à bien. Mais surtout, elle rayonnait par sa bonté. Sa bonté se montra en particulier pendant sa détention à Sarreguemines. Elle écrivait en prison : « Ici, on ne peut pas dire qu’on est malade que lorsqu’on a les râles de la mort, ici on n’a pas plus pitié pour les animaux que pour les pauvres prisonniers. Quels comptes auront à rendre ceux-là devant le Bon Dieu qui traitent ainsi les pauvres prisonniers ! J’ai appris ici ce que je n’aurais jamais appris dans le monde ». Il est bouleversant de voir comment elle se comporta par rapport à des femmes accusées d’infanticide, de vol, la manière dont elle les aida à faire leur aveu, la manière dont elle les accompagna ensuite au moment de leur peine. Elle montrait encore sa bonté lorsque, de manière tout à fait inhabituelle à son époque, elle accueillait parmi ses petits orphelins – et malgré les reproches encourus – des non catholiques, des enfants de parents alcooliques, des filles mères.
Monseigneur Pelt n’a pas fini de nous étonner. Voici ce que lui-même écrit dans sa conclusion : « Douée de remarquables qualités d’esprit et de cœur, Catherine était intelligente, énergique, portée aux choses de la piété, naturellement bonne et serviable, aimant à se dévouer pour les enfants et les malades ». Il nous avait dit qu’elle était ignorante, qu’elle était débauchée, hypocrite, qu’elle n’avait fondé son orphelinat que pour justifier les projets les plus intéressés. Monseigneur Pelt ajoute encore dans les dernières pages de son livre : « Chez elle, il faut regretter une constante mégalomanie entretenue par une imagination désordonnée. C’était une névrosée et une illusionnée ». Nous avons vu au contraire l’humilité de Catherine, sa capacité de s’adapter, de changer ce qu’elle avait d’abord prévu, sa volonté de s’effacer, sa capacité de pardonner. Monseigneur Fleck aurait-il pu confier le soin d’une congrégation, le soin d’un orphelinat à une femme névrosée et sans morale ? Comment des hommes d’Église vénérés ou dont la sainteté est aujourd’hui officiellement reconnue, comme le père Dehon, le bienheureux Hyacinthe Cormier, ou encore saint Pie X, auraient-ils pu la soutenir s’ils avaient perçu chez elle de profonds déséquilibres psychiques ou moraux ? Monseigneur Pelt continue : « Catherine était atteinte, à un certain degré, de la manie de la persécution ». Catherine calomniée, harcelée, emprisonnée, maltraitée, trahie, exagérait-elle lorsqu’elle se plaignait de persécution ? « Enfin, conclut Monseigneur Pelt, elle a manqué d’obéissance à l’autorité légitime ». Catherine a d’abord voulu obéir à Dieu, à la Vierge. Elle a souffert des appels qu’elle entendait, elle s’est parfois cabrée tellement la mission lui semblait lourde. Elle s’est montrée soumise à ses directeurs spirituels, a reçu les encouragements et les consignes de deux papes successifs. L’ « autorité légitime » dont parle Monseigneur Pelt ce sont les évêques de Metz : Monseigneur Dupont des Loges qui ne l’a pas examinée, Monseigneur Fleck qui est revenu de façon si mystérieuse et si complète sur son avis négatif pour faire d’elle un éloge public, Monseigneur Benzler lui refusant le plus élémentaire droit de se justifier et enfin Monseigneur Pelt lui-même. Monseigneur Pelt, d’une manière bien différente mais peut-être non moins forte qu’Eugène Ebel, nous permet d’établir l’héroïsme moral et la grandeur spirituelle de Catherine, avec d’autant plus d’assurance qu’il s’agit de preuves reçues de la bouche d’un contradicteur farouche.
Monseigneur Pelt déplore enfin au sujet de Catherine « sa piété mal réglée [qui] prenait des formes extravagantes ». Tout au contraire, l’itinéraire de Catherine me paraît marqué par une remarquable continuité. Loin d’avoir rien de bizarre, le message de Catherine est centré sur la compassion de Dieu et celle de la Vierge, la confiance dans le « bon secours » de cette Mère des chrétiens. Ces deux axes spirituels de la vie et du message de Catherine : l’amour universel du Christ Sauveur et le secours de la Vierge sont aussi ceux que l’on trouve à son époque dans l’enseignement du Pape Léon XIII qui la rencontra et la bénit à deux reprises.
De 1923 à 1925, Monseigneur Pelt présida les offices du pèlerinage de Notre-Dame de Bon-Secours, le 24 mai, à Saint-Avold et il y proclama « la grandeur de Marie qui veut être honorée en ce lieu sous le plus beau de ses titres, celui de Notre-Dame de Bon-Secours ». « Je ferai tous mes efforts, disait-il, pour la diffusion de ce bénit pèlerinage ». L’évêque de Metz désirait que tous ses diocésains, de près ou de loin, visitent ce lieu de pèlerinage « vraiment lorrain », établi à quelques kilomètres seulement de l’orphelinat de Catherine. Ce faisant, il accomplissait à la lettre un grand désir de Catherine, au début de son extraordinaire aventure, qui donnait tout son sens aux souffrances qui l’attendraient. Dans une lettre adressée à Monseigneur Dupont des Loges en mars 1873, Catherine écrivait ; « La Sainte Vierge me dit alors : “Je consolerai bien des cœurs affligés et à bien des pêcheurs je veux accorder la grâce de la conversion mais surtout à la fête du Bon-Secours le 24 mai. C’est alors que beaucoup se trouveront devant mon image et je promets que pas un ne s’en ira sans consolation. Ils verront alors que je suis la Mère du Bon-Secours. Je ne cesserai pas de montrer mon secours devant cette image afin que s’établisse un pèlerinage dans cette chapelle” ». Ainsi, et ce n’est pas le moindre des mystères de la vie de Catherine, ce fut Monseigneur Pelt lui-même, son principal accusateur, qui exauça le voeu que cinquante ans plus tôt elle avait transmis à son Église. Toute la vie et toute l’activité de Catherine ne tendaient en effet qu’à ce but : être signe de ce Bon Secours de Dieu et de la Vierge Marie, aujourd’hui célébrés à Saint-Avold. Mais un lecteur de l’Évangile peut-il s’étonner que de ce signe « en butte à la contradiction » que fut la vie de Catherine, son persécuteur ait « orné le monument » (cf. Luc 2, 34 et Matthieu 23, 29) ?
La photo : le 7 août 1915, les obsèques de Catherine Filliung se déroulent à Biding en présence d’une foule venue très nombreuse. Elle est inhumée dans la tombe qu’elle avait fait préparer sous une grotte surmontée d’un grand calvaire avec la Vierge et Saint Jean au pied duquel elle aimait venir prier.
Gilles Berceville. Né à Saint-Avold en 1961, dominicain. Docteur en histoire et en théologie. Membre de la Commission léonine pour l’édition critique des textes de saint Thomas d’Aquin. Professeur à la faculté de théologie de l’Institut catholique de Paris. Ses domaines de recherche sont la théologie médiévale et l’histoire de la spiritualité dans le catholicisme contemporain. Il a publié : Marcel Van ou l’infinie pauvreté de l’Amour, aux éditions de l’Emmanuel, en 2009. Il participe à la préparation du Jubilé « Notre-Dame de Bon-Secours », prévu à Saint-Avold pour l’année 2014.
Enregistrement de la conférence et transcription : Bernard Becker - Photos : © André Pichler