Saint-Avold et les Comtes de Créhange.

Par Pascal FLAUS

La constitution du Comté de Créhange jusqu’en 1617.

Les possessions de la Maison de Créhange comprenaient le comté proprement dit et des fiefs et droits tenus par la Maison de Créhange des évêques de Metz, des ducs de Lorraine, des archevêques de Trèves, des ducs de Luxembourg.

Le comté proprement dit se composait à la fin du XVIIe siècle de six groupes de villages enclavés dans le duché de Lorraine et le comté de Sarrebruck :

  1. Créhange avec son château qui servait de siège à l’administration.
  2. Denting, Momerstroff, Niedervisse en partie qui formaient une deuxième mairie.
  3. Pontpierre.
  4. 1/4 de la mairie (Mayerei) de Téting avec des biens à Lelling, Ahling et Folschviller.
  5. Biding.
  6. La seigneurie de Saarwellingen en Sarre avec ¼ de Reisweiler.

On mesurera toutes les difficultés résultant de l’administration d’un ensemble aussi disparate formé d’enclaves s’étendant sur l’ensemble Nord-Est du duché de Lorraine. Un exemple significatif est la distance séparant la seigneurie de Saarwellingen de Créhange, environ une centaine de kilomètres.

Situé en Lorraine allemande, le comté de Créhange illustrait à merveille le régime féodal qui a régné sur le territoire de l’ancien duché de Lorraine, morcelé à l’infini et couvert de châteaux. Mariages, donations et traités avaient peu à peu agrandi le domaine qui devait acquérir sa forme définitive à la fin du XVIIe siècle.

La seigneurie de Créhange, avant d’être élevée au rang de comté immédiat d’empire par l’empereur Mathias en 1617, connut plusieurs phases de développement intéressantes à rappeler.

Créhange et les Malberg.

Le château de Créhange et les terres qui en dépendaient appartenaient au milieu du XIIe siècle à la puissante famille de Malberg, originaire de l’Eifel, sur les bords de la Kyll, près de Bitburg dans le diocèse de Trèves. Une alliance matrimoniale était à l’origine de leur déplacement. En 1136, Brunicon de Malberg fut cité dans les documents comme avoué de l’abbaye de Remiremont pour la terre de Fénétrange.

Avant 1147, il donna à l’abbaye cistercienne de Villers-Bettnach son domaine de Bonnehouse près de Faulquemont, et son épouse lui céda celui de Neudrange près d’Aboncourt. Au Sud-Ouest de Villers, Faulquemont fut le nouveau point d’attache de Brunicon de Malberg. À deux pas de Faulquemont, Créhange vit naître une famille apparentée et vassale. Leur premier vassal connu se nommait Bruno de Créhange en 1150.

Au début du XIIIe siècle, les Malberg continuèrent à investir leurs ministeriales à Créhange et Faulquemont. En 1238, un certain Burcard de Créhange participa à la croisade malheureuse du Comte de Bar et fut fait prisonnier à la bataille de Gaza en 1239. Un des fils de Burcard, Albert, fut nommé seigneur de Créhange. Burcard de Créhange eut trois frères dont l’un, Hermann, fut le fondateur de la seigneurie de Helfedange, dont le château se dresse sur la rive droite de la Nied près de Guinglange; il décéda probablement en 1259.

En 1295, ce furent les Torcheville qui devinrent seigneurs de Créhange. Le plus illustre de ces seigneurs fut Godemann de Torcheville qui, par une habile politique matrimoniale, accapara différents héritages qui lui échurent : Boucheporn, Bisten, Courne, Niedervisse, Denting, Momerstroff, Hallering, Voimhaut et le château de Marimont. Il accrut ainsi considérablement son domaine.

État actuel du château d’Helfedange.

Les seigneurs de Créhange devinrent barons d’Empire.

Dès la fin du XIIIe siècle la seigneurie de Créhange s’étendit et les seigneurs de Créhange devinrent indépendants. Ils furent souvent convoqués comme jurés au tribunal féodal de Walferfangen, chef lieu du nouveau bailliage d’Allemagne qui apparut dès 1250. Les barons de Créhange se virent attribuer en fief des terres des comtes de Sarrebruck, Bitche et Deux-Ponts. En épousant les riches héritières des Bacourt, Raville (Rollingen), ils disposèrent rapidement de plus de 40 châteaux, 100 seigneuries, 300 villages disséminés entre la Meuse, la Sarre et le Rhin.

Un des fils de Godemann de Torcheville, Georges de Créhange (1321-1343), participa au côté de Louis de Bavière à la guerre contre Frédéric le Beau, duc d’Autriche. De plus en plus, les Créhange Torcheville participèrent ainsi à des événements qui allaient bien au delà du Westrich et concernaient l’ensemble du Reich. La fille de Georges de Créhange épousa Fery de Bacourt.

Wirich de Créhange, deuxième fils de Godemann succéda à son frère. Il racheta les droits de Burcard de Fénétrange. Il était marié à Sara de Hombourg~sur-Canner; à la mort des parents de celle-ci, sans descendants, la seigneurie lui fut attribuée. Ce fut un des fils de Wirich de Créhange, Jean Ier (1341-1398), qui accompagna Charles IV en 1356 à Metz pour la proclamation de la Bulle d’Or. L’empereur résida quelques jours à Créhange et, en remerciement, celui-ci lui accorda le droit de battre monnaie. Par son mariage avec Henriette, fille et héritière de Jean, seigneur de Forbach, il hérita de Raville (il était devenu ainsi vassal direct du duc du Luxembourg, Wenceslas de Bohême), Püttlingen dans le Kollertal, Varsberg ainsi qu’un tiers de la seigneurie de Forbach.

Son successeur Jean II (1378-1431) épousa en 1386 la riche Irmengard de Pétange (Pettingen). Il reçut en dot 1/2 de Pétange et Arloncourt, 1/2 du château de Larochette, 1/2 de Dagstuhl. Son fils Jean III (1404-1432) épousa Elisabeth de Dhaum et, par ce mariage, obtint la dignité de Maréchal héritier de Luxembourg.

Les Créhange dans les soubresauts du XVIe siècle.

Si l’on dresse un rapide bilan des possessions des barons de Créhange en 1450, Jean IV (1436-1510) possédait à cette date le château de Bacourt avec 10 localités dans la baronnie de Créhange, la prévôté de Téting, avec Lelling et Folschviller, Denting, Momerstroff, Niedervisse, une partie de la seigneurie de Püttlingen, Château-Bréhain et Faulquemont. Jean IV tenta en 1447 d’aller au secours du roi de Bohême et il fut fait prisonnier par le duc de Bourgogne. Son château fut attaqué en vain par Campo-Basso. Il participa aussi à l’élection de Maximilien de Habsbourg à Francfort en 1486 et il siégea sur les bancs des barons seigneurs d’Empire.

La puissance des barons de Créhange était telle qu’en 1488, des lettres d’indulgences avaient été expédiées au nom d’Innocent VIII par Raymond Paraudi au Sire George de Créhange, chanoine de l’église de Trèves., fils de Jean IV pour les subsides fournis pour la guerre contre les Ottomans qui menaçaient de plus en plus l’Empire. En 1508, de nouvelles indulgences furent fournies par Jules II à Jean le Jeune, futur Jean V de Créhange, à l’occasion de subsides fournis pour la défense de la Livonie contre les Ruthènes.

Le plus célèbre des barons de la seigneurie de Créhange reste Jean V qui prit la succession de son frère en 1510. Marié à Irmengarde de Raville, il entra en possession de cette seigneurie et acquit la dignité de maréchal héritier du duché de Luxembourg.

C’est sous son règne, en 1525, qu’éclata la révolte des paysans qui s’étendit à la seigneurie de Créhange. Les paysans germanophones du comté de Créhange s’étaient joints aux bandes paysannes de la Sarre moyenne et avaient pillé l’abbaye de Herbitzheim. Un autre groupe avait rejoint les paysans de Dieuze qui tinrent une assemblée séditieuse et demandèrent que tous les Lorrains fussent traités selon le contenu des douze articles “qui ceux-là le Rhin avoient semez et mys en avant”. Lorsque le duc de Lorraine Antoine décida d’en finir avec les révoltés, il fit appel à tous les seigneurs, barons du Westrîch. Le baron de Créhange fut l’un des premiers à répondre à 1’appel.

Jean V de Créhange et sa femme ont été immortalisés grâce à leurs monuments funéraires que l’on peut encore voir dans la seconde sacristie de la paroisse de Créhange, dans l’ancienne chapelle des seigneurs. En effet, Georges de Créhange, chanoine et archidiacre de Trèves et curé de Faulquemont, fit élever ces monuments à la mémoire de son frère. Les monuments funéraires ont été sculptés en grès de Keuper et sont placés debout, incrustés dans la muraille, celle de Jean du côté Ouest, celle d’Irmegarde du côté Est.

L’église Saint-Michel et la pierre tombale de Jean V de Créhange.

Le successeur de Jean V fut désigné en 1531 : il se nommait Georges Ier. À partir de 1557, l’on distingua deux lignes. Georges Ier, de la ligne aînée, épousa Philippine de Linange (Leiningen); il accrut ainsi son domaine et obtint en dot une part des salines de Dieuze et Dabo. Il prit part à la réception de Charles V à Metz en 1544, portant l’épée impériale et l’hébergea dans son château. Georges Ier embrassa la religion calviniste peu de temps avant sa mort en 1567.

Les rapports avec les administrateurs du duc de Lorraine dans le bailliage d’Allemagne furent parfois mauvais. Ainsi, en 1561, Georges Ier adressa ses remontrances au duc de Lorraine pour s’opposer aux griefs dont a souffert le village de Denting du fait de la garnison de Boulay conduite par le seigneur d’Ancerville, bailli d’Allemagne qui “non contente de prendre vin, pain et autres denrées a poussé l’insolence jusqu’à emporter de l’église après en avoir rompu les portes, les hardes et les meubles de prix”.

La branche cadette résidait à Hombourg-sur-Canner où Wirich se fit construire un château entre 1566 et 1574. Il se maria deux fois. Il épousa d’abord Antonia de Wild, comtesse rhénane, fille du Rhingrave Jean VII, seigneur de Morhange et Kyrbourg, copropriétaire de la baronnie de Fénétrangs. Puis il épousa Anne Wild, comtesse de Salm, nièce d’Antonia. Ses possessions s’étendaient surtout en Rhénanie, au Luxembourg et dans la région de Sierck. En 1560, Wirich reprit au duc de Lorraine Charles III, Torcheville, Hombourg-sur-Canner, Saint-Avold, Aboncourt, Kédange (Kedingen), le ban de Rémilly, celui de Courcelles-Chaussy, Fouligny, Brouck, Forbach, Rodde sur la Sarre et des droits multiples.

Le Comté après 1617.

En 1617, l’Empereur Mathias, en vertu de la “jura gratialia” accordée à chaque souverain germanique, c’est-à-dire le droit de dispenser des lettres de noblesse, d’élever un baron à la dignité comtale, désigna les six villages pour constituer le territoire du nouveau comté de Créhange réputé fief immédiat d’Empire (Reichsunmittelbar).

Un fief réputé immédiat d’Empire, comme celui de Créhange, était une terre qui, juridiquement, n’était sous la souveraineté que du mandataire, comte ou baron, sans lien de vassalité qui dépendait directement de l’Empereur. Les mandataires qui possédaient la “Reichsunmittelbarkeit” n’avaient pas de droit à la diète d’Empire, ils n’avaient pas de sièges, en conséquence de droit d’éligibilité directe. De plus, le comté réputé fief immédiat d’Empire avait de grandes libertés au niveau de la procédure juridique. En cas de conflits entre deux parties, il avait un droit d’arbitrage, voire de règlement de problèmes (Austragerecht).

Quelles sont les raisons d’une telle procédure ? Le chartrier de Créhange ne possède pas de documents qui nous permettent d’expliquer cet acte éminemment politique, mais il est sûr qu’en ce début du XVIIe iècle, les luttes d’influences dans le duché de Lorraine entre France et Empire expliquent cette décision.

a) Les influences françaises. En occupant, en 1552, Metz ville libre d’Empire, mais aussi Toul et Verdun et peu à peu le temporel de Metz, la France s’établissait solidement aux frontières occidentales du bailliage d’Allemagne dans le duché de Lorraine.

b) Les influences lorraines. Les ducs de Lorraine firent des acquisitions multiples et consolidèrent leurs possessions orientales par des traités d’accomodement pour trouver sur la Sarre un contrepoids à la pression exercée à l’Ouest par l’occupant français après l’occupation des trois évêchés. C’est ainsi qu’Henri de Guise qui avait acquis, en 1572, la châtellenie épiscopale de Hombourg-Haut, la vendit secrètement au Roi de France, mais révoqua la vente pour céder l’office, en 1581, à Charles III de Lorraine. La principauté de Lixheira qui faillit tomber aux mains du Roi de France en 1578, revint en 1583 à Charles III de Lorraine.

c) Les influences germaniques. Les Linange, les Créhange, comme les Rhingraves, Wildgraves et Salm semblèrent renforcer leurs emprises sur le bailliage à l’intérieur et sur les frontières. Les Linange possédaient le fief lorrain de Forbach, le comté de Dabo, fief impérial. Les Rhingraves et les Wildgraves possédaient les fiefs lorrains de Puttelange, Morhange, Fénétrange, les principautés impériales de la Petite-Pierre et de Diemeringen. Jean-Georges Ier créa, en 1568, la principauté impériale de Phalsbourg et le prince palatin Frédéric IV, en 1608, celle de Lixheim pour favoriser le commerce sur les routes de Lorraine vers l’Alsace.

Enfin, l’Empire semblait avoir fait des efforts pour enrayer l’avance française : permission de création des principautés impériales de Phalsbourg, de Lixheim, de la baronnie de Hellimer en 1627, par la reconnaissance du caractère impérial de la terre de Salm en 1613 et 1623, de la terre de Phalsbourg en 1624. Mais l’Empire eut du mal à faire reconnaître le caractère impérial à certaines seigneuries comme celle de la baronnie de Fénétrange. De plus, l’Empire eut du mal à inclure ces enclaves impériales dans la structure militaire des cercles. Seul le comté de Créhange fit partie du cercle du Rhin supérieur.

Les Créhange et l’avouerie de Saint-Avold.

En 1288, les comtes de Créhange prirent possession de droits dans l’avouerie de Saint-Nabor. En 1309, ils sont cités comme avoués de l’évêque de Metz en accord avec Sarrebruck. Ils possédaient également des droits dans différents villages de l’avouerie, à Seingbouse, Valmont, Cocheren, Rosbruck.

À Saint-Avold, ils possédaient depuis 1432 une maison franche et un jardin. Cette maison était appelée “kriechingerhof”, “la maison des Créhange” et était adossée à une tour plus ancienne construite en 1372 par Wirich de Créhange et connue sous le nom de “Juncker Wirichsturm”, la “tour du gentilhomme Wirich”. On peut encore voir au fond de la cour de l’Hôtel de Paris à Saint-Avold un bâtiment dont l’étage inférieur remonte au Moyen Âge. On pense que ce fut l’ancienne maison franche des seigneurs de Créhange. Nous disposons des baux de location de cette maison franche de 1466, 1561 et 1658. Pierre Ernest de Créhange y fit célébrer le culte luthérien jusqu’en 1599, date à laquelle il eut lieu à Varsberg comme le dit le registre de la paroisse de Diemeringen daté du 14 juin 1599 : “von mihr zu St. Nabor von Warsberg Hofe das heilige Abendmal gerichtet”.

Toute une série de procès éclatèrent entre Créhange et Nassau. En 1609, le comte de Nassau, Louis, avait vendu à son beau-frère Pierre Ernest de Créhange la seigneurie d’Hesseling pour 40 000 florins. Mais cette vente fut attribuée par un fils du comte Jean IV de Créhange, le notaire Philippe Rossau de Nancy, au chapitre de la cathédrale de Metz et à l’abbaye de Longeville.

La comtesse Anne Sibille, sœur du comte Louis de Nassau Sarrebruck et épouse de Pierre Ernest de Créhange, émit des prétentions sur le Warndt, confirmées par le parlement de Metz. Finalement, en 1659, par l’intermédiaire du duc de Wurtemberg Eberhard et du prince électeur du Palatinat Frédéric, la somme de 61 254 florins réclamée par Créhange à Nassau Sarrebruck fut ramenée à 24 000 florins. Mais comme le comte de Nassau ne pouvait honorer cette somme, il renonça à des droits et terres en Lorraine. Ainsi les comtes de Nassau renoncèrent définitivement à l’avouerie de Saint-Avold et à des droits divers et controversés depuis 1571.

La chapelle des Comtes de Créhange - Photo André Pichler

Située au 45 rue Hirschauer à Saint-Avold, dans l’enceinte de l’hôtel de Paris, cette petite chapelle a été construite pour Pierre Ernest de Créhange et son épouse Marie de Mansfeld dont les armoiries et la lettre E couronnée figurent sur les clefs de voûte. Elle a été inscrite à l’Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques en 1985.

C’est une chapelle à plan carré d’environ 9 mètres de côté à deux vaisseaux de deux travées sur une colonne centrale et des piliers.

Créhange et la guerre de Trente Ans.

Les années de la Guerre de Trente Ans furent parmi les plus terribles de l’histoire du comté. La Lorraine en sortit meurtrie, exsangue et de longues années furent nécessaires pour que le pays se remît de ces épouvantables calamités.

Le château subit plusieurs occupations et des destructions considérables, le comté se trouvant dans la zone de passage des troupes françaises, impériales et suédoises. Le comté n’était-il pas également une avancée de l’Empire dans la province des Trois Evêchés ?

La situation se dégrada définitivement après la bataille perdue pour les impériaux de Nördlingen en août 1634. La peste sévit à partir d’août 1635 et le comte de Cré-hange en mourut en septembre ou octobre 1635. Le sieur Jean Drouar, curateur du comte François Ernest de Créhange, relate en 1642 : “quant à la seigneurie de Créhange, elle est toute détruite, inhabitée, sans aucun habitant ny officier… la plupart sont morts ou ont fui”. Il demande au sieur Isaac Lefebvre de Faulquemont d’instituer l’office le 14 février 1642 et de reconstruire la seigneurie.

Le bailliage d’Allemagne n’a connu de paix véritable qu’au traité de Vincennes en 1661. Le 30 mai 1668, le comte de Créhange protesta violemment contre les incursions françaises sur ses terres et plus particulièrement celles de la seigneurie de Biding : “une partie de vos soldats ayant pillé mes habitants du village de Biding, emportant tous les meubles, chevaux et bestiaux”. La situation économique dans le comté était désastreuse; ainsi pour la mairie de Téting, dans une lettre adressée à Jean-Louis, comte de Créhange; par les sujets, il était dit que beaucoup d’habitants s’étaient enfuis à “l’estranger”, probablement dans la vallée du Rhin ou dans le pays de Trèves (“Viele mussten sich begeben in fremder Land, des Hungers zu erretten, ihre Erbgiter verblieben ganz verwachsen”).

Créhange et la France de 1648 à 1697.

La signature du traité de Munster, le 24 octobre 1648, consacra l’avance française dans l’espace lorrain. En effet, par les articles 72 et 73, l’Empire abandonnait tous ses droits sur les évêchés et les cités de Metz, Toul, Verdun et y reconnaissait à perpétuité la souveraineté du roi de France, En fait, les rapports avec la France étaient assez ambigus puisque le comté supporta de très dures réquisitions pendant la Fronde et la guerre qui opposa l’Espagne et la Lorraine à la France.

Louis XIV obtint de la Papauté, en 1664-1668, le droit de nommer les évêques des diocèses lorrains. Il partagea avec elle celui de disposer des bénéfices consistoriaux évêchois. Il jouit aussi des avantages des concordats français et germaniques pour s’insinuer, par prélats interposés, dans les affaires des duchés.

Un comte dépossédé de ses droits.

La période qui va de 1750 à 1780 se caractérise par une succession impressionnante de procès et de révoltes des villages du comté de Crêhange à l’égard de l’autorité comtale. Mais le principal coup porté à la souveraineté du comte fut sans nul doute la nuit du 4 août 1789 au cours de laquelle furent abolis les droits honorifiques féodaux et les droits pesant sur les personnes.

Disparaissaient ainsi, sans indemnité, le droit de garde, le droit de banvin, le droit de sauvegarde, le droit sur les achats et ventes des biens meubles, sur les denrées, les bestiaux, le Ungeld (wirtungeld) ou tenlieu sur les boissons, le droit d’inspection et du marquage des mesures, des corvées, le droit de triage (tiers deniers), droit en Lorraine allemande du troupeau à part. Le comte ne put maintenir qu’un tiers de ses droits en Lorraine. De plus, chaque municipalité devait exiger une déclaration des biens et des droits de ses propriétaires contribuables. La Chambre des Comptes à Créhange s’y refusa toujours.

À partir de ce moment, toute une série de procès opposèrent le comte et ses sujets français. Le comte abandonna tous ses droits et rentes en terre lorraine et il ne put plus les percevoir. Il fit appel en 1791, en demandant à être indemnisé mais sans succès. La Convention fit disparaître toutes les redevances foncières sans indemnité (cens, rentes, droits casuels ou de mutation) par le décret du 17 juillet 1793 et ordonna de brûler tous les titres féodaux primitifs.