Saint Fridolin vu par Baden, peintre suisse, fin XVIe siècle. Musée des Beaux-Arts de Dijon.

Non saint Fridolin n’a pas fondé Saint-Avold.

Extraits du chapitre consacré aux origines de Saint-Avold et de son abbaye d’André Pichler dans son ouvrage :”Histoire de Saint-Avold par ses monuments religieux”

Dans son Histoire de Saint-Avold et de ses environs parue en 1868; Philippe Bronder affirmait qu’en l’an 509 le moine irlandais Fridolin fit bâtir un oratoire “qu’il dédia à saint Hilaire d’où le nom d’Hilariacum donné primitivement à notre petite ville”.

Cette affirmation a souvent été reprise par la suite et figure toujours dans certains articles consacrés à notre ville, notamment sur internet.

André Pichler, dans son Histoire de Saint-Avols par ses monuments religieux a retracé la véritable histoire des origines de notre ville. Voici de larges extraits de sa démonstration.

Les origines de Saint-Avold et de son abbaye

La région de Saint-Avold, habitée dès la préhistoire, porte encore des traces de vie de l’époque romaine. la proximité de la voie romaine reliant Metz (Divodorum) à Mayence, et passant par le Hérapel (Hierapolis), favorisait naturellement l’habitat dans la vallée de la Rosselle.

Dès le début de notre ère, des villae gallo-romaines s’élevèrent dans les campagnes. Il s’agissait d’imposantes fermes, véritables petits centres agricoles, qui, outre la demeure du maître, comprenaient des dépendances et des logements destinés aux personnels chargés des travaux agricoles.

L’arrivée de tribus franques dans la région au IVe siècle marqua l’arrêt de la romanisation, sans toutefois mettre en cause l’existant. La germanisation fut totale à la.fin de l’ère mérovingienne, au milieu du VIIIe siècle.

À partir du VIe et surtout au VIIe siècle, des monastères furent créés dans les campagnes, le plus souvent par des moines itinérants venus des iles britanniques, majoritairement irlandais, cela en vue d’évangéliser les populations encore païennes. Ces monastères étaient parfois installés à l’emplacement d’anciennes villae gallo-romaines. mais le plus souvent les moines élevaient eux-mêmes quelques cabanes de bois rudimentaires pour leur servir d’oratoires et de lieux d’habitation.

Les populations locales se regroupaient autour de ces établissements où elles trouvaient de quoi vivre en même temps que la sécurité et la solidarité dont elles avaient grand besoin. Les monastères primitifs offraient en outre l’avantage de l’accès à la spiritualité avec ses beaux récits bibliques et, d’autre part, au bénéfice de l’‘aumône pratiquée par les religieux.

Autour de ces maisons se formèrent ainsi logiquement des bourgades dont certaines allaient devenir des villes d’importance. Le développement de Saint-Avold autour de son abbaye bénédictine en est un bel exemple.

L’origine du toponyme Hilariacum

Les deux thèses exposées ci-après s’opposent.

La vieille tradition naborienne :une fondation au VIe siècle par saint Fridolin

Cette version fait remonter la création d’Hilariacum à l’époque mérovingienne du roi des Francs saliens Clovis Ier (481 - 511) Le moine irlandais Fridolin, parti de son île vers l’an 485, serait arrivé à Poitiers dans le but de rechercher la tombe de saint Hilaire, évêque de Poitiers et docteur de l’Église mort en 368. Ce saint était connu pour ses vertus et les miracles qui se seraient produits sur son tombeau. Il avait fondé à Poitiers le monastère que Fridolin aurait relevé, avant de le gouverner de 505 à 507.

Conduit par une vision céleste, Fridolin aurait quitté ensuite Poitiers avec plusieurs compagnons pour prendre la direction du Rhin et serait arrivé à Metz vers l’an 509. De là, sur le conseil de l’évêque de cette ville, empruntant la voie romaine, le groupe se serait dirigé vers Hierapolis (le Hérapel). Arrivé sur les bords de la Rosselle et trouvant le lieu favorable, le groupe s’y serait arrêté avec l’idée d’élever un petit monastère. Il y aurait ainsi construit plusieurs habitations (Mehr-Zelle, d’où peut-être le nom de Merzelle) au voisinage du petit ruisseau appelé depuis Seligenbach (le ruisseau du saint, à présent dénommé Selchenbach). Le groupe aurait également bâti un oratoire que Fridolin, conformément à son habitude, aurait dédié à saint Hilaire. Ainsi serait né le toponyme Hilariacum ( ou Eleriacum par aphérèse).

L’on sait toutefois que les belles légendes suscitent souvent des traditions erronées.

La construction de l’oratoire ou du monastère achevée, Fridolin se serait dirigé vers la haute vallée du Rhin pour se fixer à une vingtaine de kilomètres en amont de Bâle, sur une île du fleuve, à l’endroit où allait se créer la localité de Sâckingen. Saint Fridolin y serait mort vers l’an 540 après y avoir élevé une église, un monastère de femmes et un autre d’hommes, tous deux dédiés à saint Hilaire.

Philippe Bronder, dans son Histoire de Saint-Avold (1868), évoque de cette façon la fondation d’Hilariacum, sans citer ses sources. L’abbé Nicolas Dorvaux, dans Les Anciens Pouillés du diocèse de Metz (1902), confirme la fondation du monastère de Saint-Avold en l’an 509, par saint Fridolin. L’abbé François Anatole Weyland, dans sa Vie des saints du diocèse de Metz (1907), reprend globalement le récit de Bronder. Toutefois, cet auteur décrit la vie de saint Fridolin en citant des éléments extraits de la Vita sancti Fridolini de Balther écrite au Xe siècle, dont le contenu est analysé plus loin.

Cette belle histoire, qui est vraisemblablement à l’origine de la dénomination des cours d’eau Merzelle et Seligenbach, repose certes sur quelques faits avérés, mais non correctement situés dans le temps, ni dans l’espace. L’arrivée en grand nombre des moines irlandais en Gaule n’eut lieu qu’au milieu du VIIe siècle et rien ne prouve d’ailleurs que Fridolin ait été irlandais. Certains auteurs pensent qu’il pourrait être d’origine franque, d’autres le voient plutôt poitevin ou aquitain.

Par ailleurs, rien ne permet d’affirmer que Fridolin vint un jour sur les rives de la Rosselle ou de la Merzelle.

Il s’agit en réalité d’une « tradition locale» dont la source, selon Wolfgang Haubrichs, professeur de littérature allemande à l’université de la Sarre et spécialiste en onomastique, serait une hypothèse émise au XVIIe siècle par des moines de l’abbaye Saint-Nabor, en recherche de l’origine de leur monastère. Elle ne peut donc pas être considérée comme vérité historique.

Saint Hilaire de Poitiers

Hilariacum, un site gallo-romain

Le médiéviste Wolfgang Haubrichs est d’avis que le toponyme Hilariacum ne présente aucun lien avec saint Hilaire, mais dérive du patronyme Hilarius ou peut-être Hilarus (le joyeux), sans doute celui d’un grand propriétaire terrien romain, gallo-romain ou franc romanisé, qui avait installé sa villa dans la vallée de la Rosselle ou de la Merzelle.

Une telle structure toponymique, faite habituellement du patronyme d’un propriétaire terrien et du suffixe « acum » ou « iacum » ( signifiant propriété de) était fréquente à l’époque gallo-romaine, dans les régions situées à l’ouest du Rhin. Ainsi, à titre d’exemples, Marti-acum est devenu Merzig, et Remi-acum Remich.

Cette thèse a été largement développée par Monika Buchmüller-Pfaff dans son ouvrage intitulé Stellungsnamen zwischen Spâtantike und frühem Mittelalter (Toponymes, de la fin de l’Antiquité au début du Moyen Âge). Pour cet auteur, qui a identifié près de 1 000 exemples de ce type, le patronyme en question n’était jamais celui d’un saint, sauf si ce dernier était le propriétaire du lieu.

L’idée de la préexistence d’une bourgade de nom Hilariacum, parfaitement plausible, n’est évidemment pas incompatible avec la création ultérieure par Fridolin d’un monastère ou d’un simple oratoire, dédiés à saint Hilaire. La grande question reste celle de l’éventuelle venue de saint Fridolin sur le site d’Hilariacum.

Le périple de saint Fridolin à travers la Gaule

Le seul document aujourd’hui disponible, et offrant une certaine crédibilité sur la question, est la Vita Sancti Fridolini de l’érudit Balther, originaire de Säckingen, Écrite au cours du dernier tiers du Xe siècle, en un latin «dialectal», elle est d’interprétation parfois délicate. Balther y évoque très sommairement le parcours de Fridolin à travers la Gaule aux VIe ou VIIe siècles. Les informations qu’il fournit permettent néanmoins de se prononcer sur l’éventuelle venue de saint Fridolin à Hilariacum.

Il existait un texte primitif traitant de la vie et de l’œuvre de saint Fridolin. Balther en avait entendu parler, mais l’exemplaire qui se trouvait à Säckingen avait disparu lors de l’invasion de l’Alémanie par les Hongrois, apparemment dans les années 910 à 926.

Aujourd’hui, on trouve plusieurs exemplaires, plus ou moins complets, de l’œuvre de Balther qui ont fait l’objet d’études et de traductions dans le passé. Il existe ainsi une traduction en alémanique du XIIIe siècle ainsi qu’une autre en haut-allemand, assemblée au XVe siècle par le Zurichois Heinrich Kramer. L’historien allemand Bruno Krusch (1857-1940) s’est également attelé à cette tâche en 1896.

Enfin, tout récemment, Mechthild Pôrnbacher a traité de la question dans le cadre de sa thèse de doctorat, élaborée sous la direction de Walter Berschin, professeur de philologie latine du Moyen Âge à l’université de Heidelberg. Mechthild Pôrnbacher a publié son travail en 1997 dans un ouvrage intitulé « Vita Sancti Fridolini, Leben und Wunder des hl. Fridolin von Säckingen » (Vie et miracles de saint Fridolin de Säckingen). Cet ouvrage comporte le texte en latin et une intéressante traduction en allemand de l’œuvre de Balther.

La présente étude se réfère à cet ouvrage, en se limitant aux seuls éléments susceptibles de présenter un rapport avec Hilariacum.

Saint Fridolin, missionnaire et fondateur de l’abbaye de Säckingen (ville allemande située dans le Bade-Wurtemberg)

La mission de saint Fridolin dans le royaume de Clovis

Dans le chapitre 19 de son ouvrage, le seul traitant de la mission de saint Fridolin, Balther débute ainsi son récit (traduction):« Ayant pris la route en emportant les reliques de saint Hilaire, il retourna d’abord chez le roi. Il l’informa de ce que Dieu lui avait demandé d’accomplir et obtint son plein accord pour réaliser tout cela, au nom de Dieu, sur l’île qui lui était totalement inconnue. Avec le réconfort que lui procurait cet assentiment sans réserve du roi, il s’en alla empli de joie. »

… Il parvint à un fleuve nommé Moselle, sur la rive duquel il érigea un premier monastère en l’honneur de saint Hilaire. Il ne voulut y rester que le temps de la construction du monastère. Puis, il reprit son chemin et construisit en l’honneur du même saint une église entre les monts escarpés du massif appelé Vosges. Cette construction achevée, il se rendit dans la ville dont le nom latin est Argentina. Là, il érigea encore une église en l’honneur du même saint. Puis, quittant cette ville, il passa par les monastères du royaume de Bourgogne pour arriver dans la région appelée Rhétie en vue d’y rencontrer l’évêque de Coire. Il y séjourna le temps de la construction d’une église au service de saint Hilaire et interrogea les habitants de la ville sur l’existence d’une île entourée des eaux du Rhin …. Ensuite, il prit en direction du nord-ouest pour se rendre sur l’île de Säckingen où il se retira.

Le contexte historique de la mission de Fridolin. Balther cite Clovis sans autre précision. On peut toutefois remarquer que Fridolin effectua sa mission avec le plein accord du roi, en faisant un grand détour par le royaume de Bourgogne. Le roi ne pouvant donner de consentement que pour des territoires relevant de son autorité, l’épopée de Fridolin aurait ainsi eu lieu au plus tôt dans la seconde moitié du VIe siècle. D’autre part, l’arrivée massive des moines irlandais intervint au milieu de VIIe siècle et Balther affirme que Fridolin était irlandais. Plusieurs auteurs s’accordent sur cette époque pour l’aventure de Fridolin, que René Bornert situe sous le règne de Clovis II, roi de Neustrie et de Bourgogne (634-657).

Localisation du monastère et des églises fondées par saint Fridolin

L’emplacement du monastère d’Helera, premier établissement cité, est décrit de façon relativement précise, ce qui cependant n’a pas évité les controverses. La question est évoquée en détail ci-après.

La seconde église se trouvait dans une vallée des Vosges, sans autre indication. Le chanoine Médard Barth (1886-1976), « historien de l’Église d’Alsace », l’avait située à Dillersmunster, l’actuel Reinhardsmunster, en s’appuyant sur l’idée d’une possible déformation de Sankt Illersmünster. René Bomert semble adhérer à cette thèse. Il n’existe pourtant aucun document attestant l’existence dans le passé d’une telle église en ce lieu.

La troisième église était de toute évidence située à Strasbourg dont le nom à l’époque romaine était Argentoratum ou Argentorate. Il n’y existe toutefois aujourd’hui aucune trace d’un tel sanctuaire.

La quatrième église dédiée à saint Hilaire, située à Coire, est attestée.

Localisation d’Helera : Saint-Avold ou Eller ?

Pour tous les commentateurs avant l’historien badois Franz Joseph Mone (1796-1871), il était implicitement admis que ce monastère d’Helera correspondait au monastère d’Hilariacum, c’est-à-dire de Saint-Avold , ce qui, d’une certaine manière, était conforme à la tradition naborienne sur la question. Il existe en effet de prime abord une certaine analogie phonétique entre Helera ( ou Elera ou encore Ellera) et Hilariacum ( ou Eleriacum). Hilariacum, attesté. en 587, était encore d’usage courant au IXe siècle, pour désigner le monasterium Sancti Naboris. Le moine Jean Mabillon, O.S.B. (1632-1707) avait pourtant émis des doutes sur cette identification avec Hilariacum.

Plus près de nous, l’historien allemand Bruno Krusch (1857-1940), auteur d’une Vita de saint Fridolin, bien qu’accordant peu de confiance au récit de Balther, identifiait Helera avec la paroisse primitive Saint-Hilaire d’Eller, créée par le roi Dagobert I” (603-639) sur les bords de la Moselle, à une dizaine de kilomètres en amont de Cochem (en Rhénanie-Palatinat).

Saint Fridolin et le mort qu’il aurait ressuscité (Église de Bad Säckingen)

Cette petite localité nourrissait d’ailleurs une tradition proche de celle de Saint-Avold : Fridolin y aurait construit un monastère en l’honneur de saint Hilaire, après 517. On peut comprendre que Fridolin, à la recherche de son île, soit arrivé dans la région de Cochem, la distinction entre le Rhin et la Moselle n’étant sans doute pas aisée aux VIe ou VIIe siècles. Par contre, la venue de Balther à Eller au Xe siècle, « pour aller prier », apparaît plus énigmatique.

Le texte de Balther ne présente aucune ambigüité sur la localisation d’Helera. L’auteur emploie successivement les termes flumen es fluvius (le fleuve), (« … ad quoddam flumen ibique in ipsius ripafluvii quodam monasterio sub honore sancti Hilarii constructo diutius … »), ce qui indique qu’il s’agit d’un cours d’eau véhiculant une grande masse d’eau. Il utilise également le terme ripa (la rive), signifiant une implantation dans la proximité immédiate du fleuve. Selon le texte de Balther, il ne peut donc en aucune façon s’agir du petit ruisseau qu’est la Rosselle, et encore moins de la Merzelle. Les ajouts du XIIe siècle, précisant qu’il s’agissait de la Moselle, ne font que renforcer cette évidence. De plus, la Moselle est le seul cours d’eau de cette importance dans la région considérée. Wolfgang Haubrichs n’a aucun doute sur la question: pour lui, Helera correspond à Eller, sur la Moselle, en amont de Cochem.

Pourtant, Walter Berschin et Mechthild Pôrnbacher restent résolument partisans de l’identification avec Hilariacum, au point que cette dernière traduit, dans la phrase du prologue citée plus haut, « monasterium Helera » par « Kloster Saint-Avold », sans argument autre que celui consistant à considérer que par « rive de la Moselle» on pouvait entendre « région de la Moselle». Quant à René Bomert, il se rallie sans réserve à cette assertion, sans apporter le moindre argument.

En faveur d’Eller, relevons que Balther n’évoque à aucun moment Hilariacum ou Eleriacum, ni Nova-Cella, ni monasterium Sancti Naboris (appellation datant de 765, donc d’avant le voyage de Balther). De plus, la première église attestée de Saint-Avold, créée vers 720 par l’évêque de Metz Sigisbaud, était dédiée à saint Paul. Quant à la paroisse d’Eller, qui fut un centre religieux important au Moyen Âge, elle possède encore aujourd’hui son église dédiée à saint Hilaire, alors qu’il n’existe aucune trace de ce type à Saint-Avold.

Ainsi, malgré les critiques auxquelles est exposée cette Vita de Balther, l’équivalence Helera-Hilariacum paraît totalement infondée sur la base de ce récit. On peut donc penser que saint Fridolin n’a vraisemblablement jamais vu les rives de la Rosselle. Par ailleurs, même si cette Vita devait être une pure invention de son auteur, il resterait encore suffisamment d’arguments en faveur de la fondation, vers 720, du monastère de Saint-Avold par l’évêque de Metz Sigisbaud.

Les terres sur lesquelles allaient se développer les bourgades à l’origine de Saint-Avold et de Hombourg étaient déjà propriété des évêques de Metz au début du VIIIe siècle. La christianisation de ces régions relevait ainsi de la responsabilité de ces prélats qui s’y employèrent avec grande détermination.