Le procès de Louis XVI

Joseph Becker (1743-1812) premier député naborien.

par Bernard Becker

Cinq députés ont tour à tour, chacun à son époque, représenté le pays naborien au Parlement. Il s’agit de Joseph Becker, Édouard Hirschauer, Théodore Paqué, André Berthol et André Wojciechowski.

Nous nous intéresserons ici au conventionnel Joseph Becker, le seul député mosellan à s’être opposé à la mort de Louis XVI et à avoir voté la réclusion.

Joseph Becker et Saint-Avold

Joseph Becker est né à Saint-Avold le 25 février 1743 de Georges Becker, marchand tanneur et de Barbe Glad. Ses parents qui jouissent d’une relative aisance financière, l’inscrivent à l’école abbatiale. À l’âge adulte, il tient un commerce d’épicerie et de draperies plutôt prospère. Bourgeois influent dans la cité naborienne, il maîtrise aussi bien le français que l’allemand, est d’un caractère ouvert et d’une totale honnêteté ce qui lui vaudra plus tard le surnom de “Becker l’Intègre”. Il jouit de la considération et de l’estime des Naboriens qui l’élisent, en 1791, juge de paix du canton. Il est aussi administrateur du district de Sarreguemines et du département de la Moselle. À ce titre, il est chargé d’organiser l’assiette des nouvelles taxes foncières et de la taxe mobilière.

L’administrateur Joseph Becker se préoccupe des rentrées fiscales. Le 18 août 1791, il se fait exposer à la mairie de Saint-Avold l’état des opérations préliminaires à l’établissement des rôles en cours d’exécution. Tandis que le travail portant sur les trois premières sections a progressé normalement, il constate que celui afférent à la ville de Saint-Avold proprement dite est inexistant. En manifestant son vif mécontentement il rappelle les instructions du Directoire départemental des 20 mai et 30 juillet et, par écrit, se disant peiné de les déclarer personnellement garants et responsables des torts et événements imprévus qui pourraient, en raison de leur négligence, en résulter, il confirme au maire et aux officiers municipaux leurs obligations à cet égard.

Les 1er, 15 et 22 octobre 1791 l’administrateur Becker revient à la charge auprès des officiers municipaux qui se trouvent encore en retard : soit pour la déclaration (par le procureur syndic) des biens nationaux, soit pour la déclaration (par chaque propriétaire) des biens possédés. Et il conclut : « II sera dressé des contraintes solidaires contre ceux des officiers municipaux qui seront en retard et n’auront pas satisfait à l’obligation qui leur est imposée ».

À la suite de l’insurrection du 10 août 1792, le roi, dont le pouvoir est suspendu, est incarcéré avec sa famille à la prison du Temple. L’Assemblée législative vote un décret demandant l’élection au suffrage universel d’une Convention nationale qui décidera des nouvelles institutions de la France. Élu député de la Moselle le 8 septembre 1792, Joseph Becker se rend à Paris et participe à la première réunion de la Convention nationale, le 21 septembre. Le lendemain, l’abolition de la royauté est proclamée.

Joseph Becker au procès de Louis XVI

Les débuts de la Convention nationale sont marqués par la violente rivalité entre les Girondins et les Montagnards. Le roi peut-il être jugé, alors qu’il est réputé inviolable par la Constitution ? Les Girondins essaient d’éviter le procès du roi, craignant que celui-ci ne ranime la contre-révolution et ne renforce l’hostilité des monarchies européennes. Mais, la découverte de l’Armoire de fer aux Tuileries le 20 novembre 1792 rend le procès inévitable. Les documents trouvés dans ce coffre secret prouvent sans contestation possible la trahison du roi. L’Assemblée, le 3 décembre 1792, déclare Louis XVI jugeable, et s’institue Haute Cour de justice. Elle décide que « sera dressé un acte énonciatif des faits reprochés à Louis. Louis comparaîtra en personne. Des consens de défense lui seront accordés. La Convention prononcera son jugement sur appel nominal de chacun de ses membres présents ».

Le 15 janvier 1793, à l’issue de débats passionnés, les 749 députés sont appelés nominalement pour répondre à deux questions :

  1. Louis Capet est-il coupable de conspiration contre la liberté publique et d’attentats contre la sûreté générale de l’État, oui ou non ?
  2. Le jugement de la Convention nationale contre Louis Capet sera-t’il soumis à la ratification du peuple, oui ou non ? À la première question, 718 députés étant présents, 673 votent “oui”, 32 font diverses déclarations, 3 ne répondent pas et 10 se récusent ou s’abstiennent. À la seconde question, 721 députés étant présents, 286 votent “oui”, 423 votent “non”, et 12 se récusent ou s’abstiennent.

Concernant la culpabilité du roi, Joseph Becker explique son vote : « Je ne m’étendrai point ni sur les crimes, ni sur les trahisons de Louis. Et je ne parlerai pas de toutes les manœuvres que ce Roi perfide a employées pour relever son trône et anéantir cette liberté, de laquelle cependant il a voulu se faire un moyen triomphant dont sa défense en se prévalant du titre glorieux de restaurateur de la liberté française que la Nation lui avait accordé. Faits qui ne sont que trop publics, prouvés et connus ».

Les 16 et 17 janvier, les députés sont à nouveau appelés nominalement à donner leur avis sur la peine à infliger à l’accusé. Joseph Becker donne son avis : « Souvent il a été répété : “ Que Louis meure ! Qu’il soit sacrifié aux mânes des trois milliers d’âmes péries sous le fer ! Que sa mort venge les veuves et les orphelins des citoyens morts en défendant la Patrie contre la tyrannie de Louis !” Ah ! si par cette mort on pouvait rappeler à la vie ces braves citoyens qui ont péri pour la liberté ! Si elle pouvait rendre aux estropiés leurs membres et produire les subsistances nécessaires pour ces malheureux et les veuves et les orphelins ! Mais cette mort ne leur sera d’aucun avantage. Tandis que Louis conservé dans sa prison nous offrira l’avantage de retenir bien des puissances dans une neutralité qui, en épargnant le sang de nos frères, éloignera et culbutera d’autres projets non moins dangereux que la guerre même ».

L’appel nominatif des députés commence à vingt heures et se poursuit jusqu’au lendemain matin à quatre heures. Le vote a lieu face aux tribunes populaires où se presse une foule frémissante : femmes élégamment parées, gens de la rue buvant et fumant comme au cabaret, garçons bouchers en costume de travail, foule excitée qui bruyamment exprime ses exigences : « La mort !… Et la mort sons délai ! »

C’est au tour de Joseph Becker de voter. Il succède à son collègue de la Moselle Thirion qui vient de voter la mort. Il tient avec un courage certain dans cette ambiance surchauffée à expliquer son vote. D’une voix ferme, il prononce posément ces paroles : « Ni les menaces dont cette tribune a retenti, ni cette crainte puérile dont on a cherché à nous environner ne me feront trahir mon sentiment. Je vote pour la réclusion ». Il sera le seul député de la Moselle à ne pas voter la peine de mort. 726 députés étant présents, 387 votent “la mort”, 44 “la mort avec sursis”, 290 votent pour d’autres peines, 5 s’abstiennent ou se récusent.

On remarque, parmi les députés de Paris, de nombreux hommes en vue parmi les montagnards : les frères Robespierre, Danton, Collot d’Herbois, Billaud-Varenne, Camille Desmoulins, Marat, David. Tous votent la mort, certains ajoutant pour plus de sûreté « dans les 24 heures ». Le nom de Louis-Philippe Egalité retient l’attention. C’est le duc d’Orléans, arrière-petit-fils du régent et donc cousin du roi Louis XVI. Libéral bien avant la Révolution, il renonce à tout privilège et obtient auprès de la Commune de Paris « un nom de famille pour se faire reconnaître ainsi que ses enfants ». C’est donc sous le nom de Philippe Egalité qu’il se fait élire à la Convention, où il siège à l’extrême gauche. Il vote la mort du roi. Cela ne l’empêchera pas d’être arrêté en novembre de la même année (c’était le plus proche héritier du trône présent en France) et d’être guillotiné le jour même de son procès.

À la question portant sur le sursis de l’exécution, 320 votent “oui”, 380 “non”, 2 votent sous condition et 10 s’abstiennent ou se récusent.

L’accusé est donc condamné à mort, le sursis temporaire à l’exécution de la peine n’étant pas retenu.

L’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793 Louis XVI est mort avec un courage et une dignité qui jettent sur l’homme une lumière plus favorable que sur le roi. On ne voit pas ici , derrière l’épaisse barrière de troupes, le peuple auquel il n’a pas pu s’adresser au dernier moment. (Reconstitution sur Youtube et l’exécution de Marie-Antoinette)

LE TESTAMENT DE LOUIS XVI est en ligne sur YOUTUBE

L’exécution du roi crée une situation dont les régicides sont loin de porter seuls la responsabilité. Elle approfondit encore la division du pays. Non seulement la rivalité des partis s’échauffe au sein de l’Assemblée, avec la nouvelle défaite des Girondins; mais encore les modérés se détachent plus largement de la Révolution : les catholiques, notamment, qui croyaient le sort de la religion indissolublement lié à celui de la monarchie. Toutefois, on doit se souvenir que la Contre-Révolution a tout fait pour compromettre le roi et que, par son action, elle a provoqué le durcissement d’une Révolution contrainte de s’écarter du cours constitutionnel qu’elle avait voulu suivre depuis la fin de 1789.

Joseph Becker, dit “l’Intègre”

Joseph Becker s’investit totalement dans la chose publique sans le moindre enrichissement et même au détriment de ses affaires personnelles. Il n’en est pas de même pour tous ses collègues et il n’hésite pas à dénoncer les dérives de certains d’entre eux. À maintes reprises, malgré les risques et les menaces, il monte à la tribune pour dénoncer des irrégularités notamment en ce qui concerne la vente des biens nationaux.

Après les émeutes des 4 et 5 septembre 1793, la Terreur est légalisée par la loi des suspects (17 septembre 1793). Elle vise les nobles et les prêtres réfractaires, les émigrés et leur familles, les officiers suspects de trahison, les agitateurs. Les principaux organes de la Terreur sont le Comité de Salut Public, le Comité de sûreté générale, le Tribunal révolutionnaire, les comités de surveillance et les représentants en mission dans les départements. Le 17 octobre, un arrêté du Comité de salut public envoie en mission Saint-Just et Lebas à l’armée du Rhin. Les deux hommes demeurent trois mois en Alsace, y assurant la réorganisation et la démocratisation de l’armée, après le revers de Wissembourg ; ils font des réquisitions de grains, de fourrages et d’habits, lèvent un emprunt forcé sur les riches, épurent les autorités locales et militaires — notamment les administrateurs de la Meurthe, traduits au Comité de sûreté générale par l’arrêté du 22 brumaire (12 novembre), sur la plainte d’administrateurs des subsistances, pour n’avoir « fait qu’avec mollesse, et pour éluder la responsabilité, les réquisitions des représentants en mission pour obtenir les contingents en grains et fourrages », et sur la conviction « qu’il existe, parmi quelques administrations, une coalition pour affamer l’armée ». À la tribune, le 5 décembre, Joseph Becker s’insurge avec véhémence contre la brutalité de Saint-Just et de Lebas pendant cette mission.

Par un décret du 3 janvier 1795 (14 nivôse an III) Joseph Becker est envoyé comme représentant du peuple en mission à Landau, le point le plus à l’est de la France, ville française depuis 1648 (mais que la France perdra en 1814). En cours de route, il s’arrête, le 11 janvier, dans sa ville natale. Au cours d’une séance solennelle à la mairie de Saint-Avold organisée en son honneur, il prononce un grand discours dans lequel il fait appel à l’union de tous. Conformément à son ordre de mission, Joseph Becker se rend à Landau afin de se rendre compte de l’état d’esprit de la population de la ville et de la région. Indigné autant par les atrocités qui ont été commises que par les exactions auxquelles des gens sans scrupules se sont livrés, il fait un rapport virulent contre les agents et sous-agents employés par la commission d’évacuation du Palatinat. Ainsi a-t-il également à sévir, le 10 avril 1795 (12 germinal on III), contre des accapareurs de grains. Les coupables sont arrêtés ou dénoncés ou Comité de sûreté générale, le 19 juin 1795 (10 messidor on III).

La nouvelle Constitution de l’an III est votée par la Convention le 29 messidor (17 août 1795) et ratifiée par plébiscite en septembre. Elle est effective à partir du 4 vendémiaire (26 septembre) de la même année et fonde le nouveau régime du Directoire. Le 27 octobre 1795 (5 brumaire an IV) à l’issue des élections, 511 conventionnels retrouvent leurs sièges. 167 sont tirés au sort parmi les plus de quarante ans mariés ou veufs et rejoignent 63 nouveaux élus choisis de la même manière parmi les 230 nouveaux venus pour former le Conseil des Anciens. Les autres sont appelés à siéger au Conseil des Cinq-Cents. Les Cinq-Cents,s’installent aux Tuileries dans l’ancienne salle de la Constituante dite salle du manège avant de prendre possession du Palais-Bourbon en 1798. Les Anciens occupent la salle de la Convention aux Tuileries. Joseph Becker (portrait ci-contre), désormais député des Anciens, s’occupe essentiellement du travail législatif préparatoire, mais il lui arrive encore de monter à la tribune. Le 26 août 1797 (9 fructidor an V), par exemple, il intervient en faveur de la rentrée des fugitifs des deux départements du Rhin.

Il est ensuite nommé inspecteur général des forêts en Belgique, fonctions dont il s’occupe avec le zèle et l’opiniâtreté dont il est coutumier.

En reconnaissance des éminents services rendus à la Révolution et à la République par Joseph Becker, le Premier Consul le nomme Percepteur à vie des contributions directes à Saint-Avold mais ses moyens financiers ne lui permettent pas de verser le cautionnement légal. Son fils, l’Adjudant-général chef de brigade, Joseph-François Becker (1768-1824) et son gendre, le Maréchal Gabriel-Jean-Joseph Molitor (1770-1849), fournissent les fonds nécessaires.

Joseph Becker s’éteint dans sa ville natale, le 14 février 1812.

En savoir plus : • Marc BOULOISEAU, La République jacobine, Paris, Seuil, 1989. • Étienne GEORGIN, Quatre Naboriens représentant de la Nation élus au Parlement français, Saint-Avold, 1980. • François FURET, La Révolution, t. 1, De Turgot à Jules Ferry : 1770-1880, Paris, 1988, réed., coll. « Pluriel », 1992.