Le 21 novembre 1918 à Saint-Avold selon les journaux de marche des régiments.

extraits de l’article de Patrice Deschamps : “Le retour de l’armée française à Saint-Avold” paru dans le numéro 27 du Cahier du Pays Naborien

L’armistice du 11 novembre et ses conséquences

Alors que les négociations avec les plénipotentiaires allemands sont en cours depuis plusieurs jours à Rethondes, des rumeurs d’armistice commencent à circuler le 10 novembre parmi les troupes françaises, suivies par l’annonce officielle de la signature par le maréchal Foch, le lundi 11 novembre à 5 heures du matin, d’un armistice prenant effet ce même 11 novembre à 11 heures du matin (ordre général 687 de l’armée).

Les hostilités cessent sur toute la ligne de front. Cet armistice met fin à 4 années et 3 mois de guerre. Deux millions de soldats allemands et 1 million quatre cent mille soldats français ont laissé leur vie au cours des combats, effroyable bilan auquel se rajoutent un nombre plus important de blessés, les victimes directes ou indirectes dans les populations civiles et les destructions dans les zones de combat.

Selon la deuxième clause de l’armistice, les troupes allemandes doivent quitter les territoires français occupés et l’Alsace-Lorraine annexée sous 2 semaines. Le mouvement de retraite commence dès le 13 novembre pour les troupes du front. Malgré l’apparition de drapeaux et de cocardes rouges dans la troupe et la désorganisation apportée par les conseils de soldats les officiers qui ont partagé avec leurs soldats des années de combats, arrivent à maintenir un minimum de discipline et d’ordre dans les bataillons ou groupes de marche pour suivre l’itinéraire et le calendrier fixés pour le retour en Allemagne. . Le 14 novembre, en exécution de cette clause de l’armistice, l’instruction générale 693 fixe les conditions de l’avance des armées françaises. La progression en Lorraine annexée des unités d’infanterie et de l’artillerie qui leur est attachée se fera en 2 phases:

  • une marche le 17 novembre vers Metz, Bionville, Faulquemont, Grostenquin, Fénétrange, et Berthelming ;
  • une nouvelle avance le 21 novembre pour atteindre la Sarre (ligne 2) le lendemain, avec l’occupation des villes allemandes de Sarrebruck et Sarrelouis ( conditions définies par l’ordre d’opération 705 du 18 novembre 1918). L’objectif du 21 au soir est la ligne de chemin de fer Thionville - Sarreguemines - Haguenau.

Une distance de 10 kilomètres doit être respectée entre les troupes allemandes en retraite et l’avantgarde des troupes françaises pour éviter les incidents. Les ordres du haut commandement rappellent l’exigence de discipline et de bonne tenue des unités lors de leur marche vers l’Allemagne.

La 10e armée doit avancer dans le secteur compris entre la Moselle et Fénétrange, avec une installation de son quartier général (QG), qui s’est avancé de Tantonville à Champigneulles, prévue pour le 22 novembre à Saint-Avold. Le secteur compris entre Fénétrange et le Donon (avec QG à Saverne) est attribué à la 8e armée.

Des contacts sont établis dès le 12 novembre avec l’ennemi, pour localiser les champs de mines dans les régions devant être évacuées et les dépôts de matériel et de munitions qui seront abandonnés par l’armée en retraite conformément aux clauses de l’armistice.

Le 13 novembre, des civils délégués par différentes municipalités du Reichsland ainsi que des parlementaires allemands, prennent contact avec le commandement du GAE pour demander une occupation rapide des grands centres d’Alsace-Lorraine dès le départ des troupes allemandes. Le 14, le général en chef donne l’autorisation d’entrer en relation directe avec le commandement allemand en vue de l’occupation anticipée de toutes les villes où la situation locale rendrait cette occupation nécessaire. Le 15 novembre, possibilité est donnée à la 10e armée d’envoyer des détachements légers pour maintenir l’ordre, sur demande des habitants ou du commandement allemand après le départ de ses troupes.

Pour régler le problème de l’évacuation des prisonniers civils ou militaires alliés à rapatrier, des centres de triage doivent être mis en place au fur et à mesure de l’avance en Alsace-Lorraine.

Extrait du journal de marche de la 1ère division : 21 novembre

La division se porte dans la région de Saint-Avold. Q.G. à Walmen, I.D. à St Avold. l “ R.I. à Vahlebersing, Lixingen, Lellingen, 201e R.I. à Saint-Avold, 233e R.I. à Oberhomburg.

Les ouvrages d’art situés dans la zone de stationnement de la D.I. sont gardés par des détachements des unités les plus voisines. Ces détachements sont relevés le 22 novembre par des éléments de la 69e D.I.

La division fait, à la demande de la population de Saint-Avold, une entrée solennelle dans cette ville. Le général Grégoire entre à cheval à la tête du 201e R.I. Il est précédé d’une escorte de chasseurs à cheval et suivi de son état-major.

Le général Dauvé commande les troupes et les fait défiler devant le général Grégoire. La population de Saint-Avold a préparé une très belle réception. Partout des drapeaux, des oriflammes, des guirlandes de fleurs. Les soldats passent sous plusieurs arcs de triomphe portant des phrases de bienvenue.

La population enthousiaste se presse dans les rues de la ville. Une estrade est dressée sur la petite place où sont groupés les notables et des groupes de jeunes filles et de jeunes femmes portant le costume national.

Au passage des poilus, au salut du drapeau, ce sont des ovations sans fin. Soldats et Lorrains sont très émus et ont les yeux humides. de vieilles gens endimanchées pleurent à chaudes larmes.

Dans l’après-midi, un Te Deum officiel chanté auquel assistent toute la population et le général Dauvé au milieu d’un gr

Dans l’après-midi, un Te Deum officiel chanté auquel assistent toute la population et le général Dauvé au milieu d’un grand nombre d’officiers et de troupiers.

Le soir un grand banquet où règne une joie débordante d’affection profonde permet des toasts chaleureux et pleins d’une ardente foi patriotique dans la grandeur de la France. Exaltée par cet accueil qui a dépassé ce que les plus convaincus pouvaient imaginer, la division a quitté le lendemain matin Saint-Avold, heureuse et fière d’avoir eu sa belle part dans la réalisation de ces heures magnifiques.

Le général Grégoire à Saint-Avold

Journal de marche du 201e R.I.

Dans chacun des villages traversés on aurait voulu s’arrêter et goûter à l’aise la joie d’être fêté, mais nous ne pouvions la cueillir qu’en courant. Arrivés à Baronville, à 2 heures de l’après-midi, nous en repartions le lendemain matin dès 7 heures et par une longue route de près de 30 kilomètres par un vent glacial qui nous soufflait au visage, nous nous acheminions vers la petite ville de Saint-Avold.

Nous y étions attendus et nous devions y être l’objet d’une réception officielle.

Sur toute la route, chaque fois que nous traversions un village, nous étions acclamés par une foule en fête et nous croisions tantôt des groupes de soldats lorrains libérés de l’armée allemande dont beaucoup portaient la cocarde rouge et tantôt des prisonniers français, anglais, italiens, roumains qui, les traits fatigués et les vêtements usés, portaient cependant dans les yeux une flamme de joie. Et tout cela nous disait mieux que nous n’avions pas souffert en vain, mais que vraiment nous apportions avec nous la liberté.

À 2 h 30, le régiment pénétra dans Saint-Avold. Nous passons sous un Arc de Triomphe, tout est pavoisé de drapeaux français, la foule massée sur notre passage acclame notre défilé et les cris de « Vive la France » s’élèvent en une telle clameur qu’elle couvre les accents de notre musique militaire.

Sur la place, une tribune a été dressée où ont pris place les autorités municipales. Nous défilons superbement devant le général Grégoire qui commande la 1ère division, ne sentant plus la fatigue, mais tout transportés d’émotions, par l’enthousiasme de cette foule aux yeux de laquelle nous représentons la France. Beaucoup de femmes et de jeunes filles du pays ont revêtu le costume lorrain, le joli bonnet de dentelles blanches et le tablier si gracieux d’étoffes multicolores. Elles jettent, dans ce spectacle militaire déjà si poignant, une note de fraîcheur et de gaieté qui l’embellit singulièrement.

Et quand le défilé terminé, sur la tribune officielle envahie par la foule, les organisateurs de la fête souhaitent la bienvenue au Général Grégoire, d’immenses acclamations de joie s’élèvent de toutes parts. Vraiment si nous ne l’avions pas encore compris, nous avons eu ce jour-là la preuve directe que nous avions été pendant cette longue guerre les soldats du Droit, que vraiment la Lorraine était un morceau de France, injustement arraché à notre patrie et maintenu de force sous le joug : nous sentions sa reconnaissance.

Puis tandis que les soldats gagnaient leurs cantonnements, M. l’Archiprêtre de Saint-Avold adressait à son tour sur le perron de l’église, le salut de bienvenue aux autorités militaires : la Lorraine catholique à la France libératrice. Et il entrait suivi d’un grand nombre d’officiers et d’une foule immense dans la magnifique église, brillamment illuminée pour y chanter le Te Deum. En un clin d’œil toutes les places étaient prises et notre aumônier, toujours brillant orateur, « emballait » ses « bien chers frères de Lorraine », par des paroles du plus pur patriotisme.

Le soir à 7 heures, un grand banquet réunissait familièrement aux côtés des notables de la ville tous les officiers du régiment sous la présidence du général Dauvé. Rien ne manquait de ce qui fait complète une fête de famille : la fraternisation était toute simple, toute cordiale et toute franche. Il ne lui manqua que de durer. Nous passions et le lendemain déjà nous devions pénétrer en Prusse. Le contraste fut on ne peut plus saisissant. Jusqu’à Forbach ce ne fut encore que gens en fête, maisons pavoisées, accueil chaleureux.

On nous attendait à l’entrée des villages et parfois quand nous faisions halte, sur la route même pendant les dix minutes de pause, nos soldats dansaient avec des Lorraines au son du piston. Mais nous finîmes par arriver à un village sans drapeau, aux maisons closes, aux rues désertes. Ici nous n’étions plus des libérateurs, nous étions des vainqueurs redoutés, on disait même des barbares … Nous avions mis le pied en Allemagne, dans la région de Sarrebruck.

Les cérémonies du 21 novembre à Saint-Avold

Dans son journal, l’aumônier du 201e régiment, l’abbé Achille Lienart, raconte également ces heures chargées d’émotion :

« À Faulquemont nous avions dépassé le 151e d’infanterie qui y stationnait et nous étions maintenant le premier régiment français qui passait sur la route de Saint-Avold, le premier qu’allait accueillir la délicieuse petite ville. Vers deux heures de l’après-midi, nous fîmes halte à proximité, afin de reprendre haleine, de rectifier la tenue, et de préparer notre entrée solennelle. Comme d’ordinaire, j’avais fait la route à pied, mais pour le défilé je montai à cheval et je suivis le médecin-chef. Comment décrire ce qui se passa ?

Entre deux rangées de maisons gaiement pavoisées, dont les habitants se pressent aux fenêtres, entre deux haies vivantes et touffues formées de tout un peuple en délire, qui nous attend, qui veut nous voir et qui nous acclame à ce point que sa voix couvre les accents de la musique, nous défilons d’un pas alerte en répondant aux saluts qu’on nous adresse. Et les réflexions vont leur train: « Ils ne marchent pas lourdement comme les Prussiens … », « Au moins eux, ils sourient, ce n’est pas comme les officiers prussiens …. ». Toutes les comparaisons sont en notre faveur, et nous sommes singulièrement flattés. Soudain nous débouchons sur la place, et nous voyons devant nous une tribune drapée aux couleurs nationales. Au premier rang se tient la municipalité et les personnages officiels ; derrière, une centaine de dames et de jeunes filles dans leur joli costume lorrain : bonnet de dentelle, châles de soie multicolores, donnent à la scène une note de fraîcheur et de gaieté. Le général Grégoire à cheval devant la tribune préside notre défilé. Nous lui rendons les honneurs au passage, mais dans le fond de nos cœurs nous les rendons aussi à la Lorraine, qui derrière lui nous accueille avec de telles démonstrations d’attachement.

Tandis que les compagnies gagnent les casernes, je vais saluer M. l’archiprêtre, chanoine Dicop, qui me reçoit à bras ouverts. Il m’annonce qu’à quatre heures, un salut solennel sera chanté dans son église, et m’offre l’honneur de le célébrer et d’adresser la parole aux assistants. À peine ai-je le temps d’échanger la soutane courte que je portais contre une plus convenable, et me voici devant le portail de l’église. M. l’archiprêtre reçoit sur le perron, le général, le colonel et les officiers. Il leur adresse ses souhaits de bienvenue.

Nous entrons ensuite dans la belle église où s’entasse une foule immense. Je monte en chaire pour saluer « mes bien chers frères de Lorraine » et essayer de traduire les sentiments qui s’agitent dans mon âme en un pareil moment. Puis le Te Deum éclate et fait monter vers Dieu une reconnaissance dont tous les cœurs débordent. Je me trouve revêtu d’une chape d’or somptueuse au pied d’un autel brillamment illuminé et le contraste est si grand avec nos pauvres cérémonies de guerre que j’ai comme l’impression de me trouver soudain en paradis !

La journée n’est pourtant pas encore terminée. À 7 heures du soir, la municipalité offre à tous les officiers un grand banquet et j’y suis invité.

Mais auparavant j’ai une visite à faire. Saint-Avold est la ville natale d’un de mes amis de Rome, l’abbé Louis Thomas. Je m’informe. Sa mère est ici, avec quelques membres de sa famille. J’y cours aussitôt, et c’est une joie pour eux, que le premier aumônier français qui leur arrive soit justement un ami de leur cher abbé. Ils sont inquiets sur celui-ci et sur son jeune frère, envoyés en représailles en Silésie parce que trop français. Mes vœux et mes prières se joindront aux leurs pour que bientôt les exilés reviennent.

Le banquet se déroule dans une atmosphère toute cordiale. Le général Dauvé préside. On a disposé les 150 convives de manière que les officiers français alternent avec les personnalités lorraines. Je suis, pour ma part, à côté de M. l’archiprêtre. Au dessert, les toasts chaleureux sont échangés ; ils exaltent l’union de la Lorraine et de la France, une union que rien n’a pu rompre et qui revit aujourd’hui plus fidèle et plus solide que jamais ».

D’autres photos relatives au retour de l’armée française à Saint-Avold en cliquant ICI.