Jean-Victor PONCELET.
par Bernard Becker
Jean-Victor Poncelet naquit à Metz le 1er juillet 1788 à 8 heures du soir et fut baptisé le lendemain à la paroisse Saint-Victor. Il était le fils naturel de Claude Poncelet et de Anne-Marie Perrein. Claude Poncelet, bourgeois fort aisé, riche propriétaire, avocat au Parlement de Metz, tout d’abord embarrassé de cet enfant, l’envoya à Saint-Avold et le confia aux soins de la famille Olier qui sut l’aimer et lui permit de vivre une enfance heureuse.
Il se montra, dès l’école, d’une intelligence supérieure à celle de ses condisciples et, dans le domaine des jeux, d’une audace et d’une subtilité qui permettaient déjà de déceler en lui des qualités de chef. Il avait à peine dix ans quand il emmena ses camarades explorer les galeries abandonnées de la mine du Bleiberg, “sombres souterrains peuplés d’araignées et de bêtes nuisibles”, véritable labyrinthe et, comme il avait pris la précaution d’emmener du papier et un crayon, il ramena sa petite troupe après six heures d’exploration. À onze ans, il acheta une montre, la démonta entièrement et sut la remonter ce qui témoigne de son sens de l’observation et de ses facultés de raisonnement. Les mathématiques surtout le passionnaient.
Quand il eut 14 ans, son père l’ayant reconnu le fit venir à Metz et, après un passage dans une institution privée pour compléter ses connaissances, il l’inscrivit au Lycée impérial (actuel Lycée Fabert). Dans le but de devenir ingénieur, le jeune homme prépara l’École polytechnique. Il étudia les mathématiques, le dessin, la langue latine. À cette époque, les futurs ingénieurs devaient connaître le latin qui, sans être d’une grande utilité pour les études scientifiques, était néanmoins appelé à rendre souvent de réels services. Poncelet, dans le cours de sa carrière, ne regretta jamais la connaissance de cette langue; elle lui permit entre autres de lire les œuvres de Descartes qu’il utilisa maintes fois pour composer ses nombreux ouvrages. Pendant ses vacances, il revenait à Saint-Avold où il retrouvait les endroits qui avaient charmé son enfance.
Napoléon Bonaparte choisit la ville de Metz pour figurer parmi les villes qui accueilleraient les premiers lycées français. Le maire de Metz, Jean François Goussaud d’Antilly, choisit d’installer le lycée dans l’ancien couvent de Saint-Vincent. Le 6 mai 1803 parut le décret portant la création du lycée de Metz ; celui-ci ouvrit ses portes en octobre 1804.
Après trois années d’études intensives, il fut admis à l’École polytechnique en novembre 1807. Il y manifesta sa prédilection pour la géométrie. En 1808, malade, il dut interrompre ses études pendant plusieurs mois et vint se reposer à Saint-Avold, dans cette ville chère à son cœur, et la famille Olier eut de nouveau le bonheur de le recevoir. Selon un de ses biographes, « ce séjour dans les lieux qui lui rappelaient les joies naïves de son enfance, l’air pur des montagnes, les promenades fréquentes qu’il fit dans les environs et surtout dans les bois, tout cela contribua fortement à rétablir sa santé et il put bientôt reprendre ses études ». Jean Victor Poncelet rattrapa très vite son retard et présenta en 1809 un manuscrit traitant des “Problèmes relatifs au cercle tangent à trois autres sur un plan et à la sphère tangente à quatre sphères dans l’espace” qui sera imprimé dans le tome II de la correspondance de l’École polytechnique. En juillet 1810, il quitta l’École polytechnique avec le grade de sous-lieutenant.
Comme il se destinait à l’arme du Génie, il entra en octobre à l’École d’Application de l’Artillerie et du Génie de Metz commandée par le colonel Lamogère. Comme son nom l’indique, cette école avait pour mission de mettre en application tout ce qui avait été appris en théorie à l’École polytechnique. Jean-Victor Poncelet s’y montra particulièrement brillant et sortit de l’école le 11 février 1812 avec le grade de lieutenant du Génie et, comme à cette époque on avait plus que jamais besoin de soldats et d’officiers, il fut envoyé, sans avoir fait de pratique, en Hollande, à l’île de Walcheren. Cette île, à proximité de l’Angleterre, risquait d’être envahie par les ennemis et Napoléon avait ordonné des travaux considérables. C’est ainsi que le jeune lieutenant participa aux travaux de fortification entrepris à Ramekens au sud-est de l’île. Quatre mois plus tard, le 17 juin 1812, il reçut l’ordre de rejoindre la Grande Armée en Russie et fut attaché à l’État-Major Général du Génie.
Prisonnier à Saratov
Jean-Victor Poncelet rejoignit la Grande Armée à Vitebsk. Pendant les mois d’août, septembre et octobre 1812, à l’exception d’une mission de reconnaissance des remparts de Smolensk sous le feu de l’adversaire, on le chargea principalement de travaux de construction d’ouvrages défensifs, de bâtiments et de ponts. Il ne participa pas à la terrible bataille de Borodino et n’alla pas à Moscou. Au moment où l’armée quitta cette ville, il était à Smolensk où Napoléon séjourna du 9 au 14 novembre. Il fut incorporé dans l’arrière-garde, formée de 7 000 hommes commandés par le Maréchal Ney, qui sortit de la ville le 17 novembre, sans artillerie, pour rejoindre Orcha vers l’ouest.
Le 18 novembre à Krasnoï, au bord d’un ravin où coule la Loosmina, une petite rivière qui va se jeter dans le Dniepr à deux lieues plus au nord, les Français se heurtèrent au barrage d’artillerie soigneusement installé par le général Miloradovitch. Après une canonnade meurtrière, le maréchal Ney, à la faveur du brouillard, de la neige et du crépuscule, parvint à faire retraite et à gagner le Dniepr qu’il traversa sur des glaces encore mal consolidées. Le 20 novembre il rejoignit l’armée à Orcha accompagné de 1 200 rescapés.
Mais le lieutenant Poncelet appartenait au bataillon de sapeurs qui, chargeant à la baïonnette, s’efforçait désespérément de neutraliser l’artillerie russe. Après plusieurs tentatives infructueuses, les survivants se retrouvèrent isolés, puis furent capturés à la fin de la journée du 18 novembre.
Si Napoléon sauva son armée de l’anéantissement complet à Krasnoï, ce fut au prix d’énormes pertes humaines, les commandants français ayant presque systématiquement été défaits au cours des quatre jours que dura l’engagement.
Poncelet, “privé de son cheval, dépouillé de son manteau”, fut conduit en captivité à Saratov sur les rives de la Volga, où il arriva en mars 1813 “après quatre mois de marche et de privations de toutes sortes”.
Voici comment il relata les événements le concernant dans une lettre écrite à son retour et adressée au général de Caux, lettre conservée aux Archives du Ministère de la Guerre : « … J’ai été fait prisonnier dans l’affaire du 18 novembre 1812, près de Krasnoï; je me trouvais alors sous les ordres de Monsieur le Colonel du Génie Bouvier, qui avait été chargé de la démolition de Smolensk et était resté dans cette place avec l’arrière-garde de l’armée. Il reçut l’ordre, à notre sortie de cette ville, de prendre le commandement des troupes du Génie, qui formeraient l’avant-garde du corps d’armée. Arrivé à la position de Krasnoï, que les Russes occupaient avec trente ou quarante mille hommes et environ trente pièces de canon, le Maréchal Ney nous fit charger à la baïonnette afin d’enlever les batteries de l’ennemi. Ce fut là que mon colonel ainsi que les deux autres capitaines du Génie furent tués par la mitraille. Quant à moi je n’eus que mon cheval de tué sous moi, mais je tombai entre les mains des Russes, ce qui est pis pour un militaire, au moment où le Maréchal Ney se retirait avec les débris de son corps d’armée. Sur la droite de la position pour passer le Dniepr, le Maréchal nous ayant caché son mouvement afin de donner le change aux Russes en leur faisant croire qu’il se trouvait avec le gros de l’armée, nous nous sommes trouvés isolés et enveloppés de toutes parts et forcés de nous rendre, après avoir fait mille tentatives infructueuses. On nous a fait partir de là quelques jours après pour nous diriger sur Saratov, capitale du gouvernement du même nom et qui est située sur la Volga à plus de mille lieues de Paris. Je ne vous dépeindrai pas, mon Général, toutes les misères et toutes les vexations que j’ai souffertes dans une aussi longue route, faite presque toujours à pied, mal vêtu, dans une saison d’une rigueur inconnue de nos climats. Hélas ! j’en ai tant vu périr plus malheureux encore ! Il en est tant qui vivent et qui ont été aussi malheureux que moi, que mon sort quelque triste qu’il ait été se confond avec celui de tous ceux qui ont été enveloppés dans cette triste retraite. Il est sans doute inutile de vous dire que j’ai tout perdu, chevaux, effets et argent, cela se conçoit aisément et peut se réparer de même avec le temps, mais ce qui ne se réparera jamais, ce sont les rhumatismes dont je suis couvert, qui proviennent de ce que j’ai été gelé dans plusieurs parties du corps, ce sont deux hernies qui proviennent des fatigues d’une campagne si pénible pour tout le monde; c’est peut-être aussi mon avancement, je crains d’être arrivé trop tard et que le grand éloignement, où je me trouvais n’ait rendu mon empressement inutile. Je suis cependant venu de Saratov ici en deux mois et demi, j’ai profité de l’argent que mes parents m’ont fait parvenir pour prendre la poste une grande partie du chemin… ».
Durant son emprisonnement, privé de tout ouvrage scientifique et réduit à ses souvenirs des cours et des lectures de Monge et de Lazare Carnot, il commença ses recherches sur la géométrie projective. C’est ainsi qu’un jeune prisonnier de 25 ans, inventa un nouveau chapitre des mathématiques dans “l’extrême isolement” d’un exil au milieu des steppes. Poncelet lui-même, tout en se défendant de comparer “ce livre modeste” avec le chef-d’œuvre de Chateaubriand, n’évoquait-il pas d’ailleurs comme titre possible, dans sa préface de 1865, les “Mémoires d’outre-tombe” ?
C’est que le manuscrit de Saratov portait en germe toute l’œuvre ultérieure de Poncelet. Dans le premier cahier, il étudiait les systèmes de cercles sur un plan et introduisait la notion de corde imaginaire. Le deuxième cahier contenait un exposé analytique de la théorie des coniques. Les quatre suivants exposaient la méthode des projections et formaient comme une première esquisse de ce qui allait devenir le “Traité des propriétés projectives des figures” : les troisième et quatrième cahiers traitaient des principes fondamentaux de la projection centrale et des polygones inscrits ou circonscrits à une conique, le cinquième cahier, du système de deux coniques sur un plan, et le sixième, des polygones inscrits et circonscrits à deux coniques. Enfin, le septième et dernier cahier contenait le début d’un mémoire reprenant la matière des cahiers précédents que Poncelet se proposait de présenter à l’Académie de Saint-Pétersbourg mais qu’il dut brusquement interrompre à la notification de la paix en juin 1814.
De retour en France, Jean-Victor Poncelet fit paraître en 1822 son “Traité des propriétés projectives des figures” (réédité en 1865) qui allait lancer pendant tout le XIXe siècle les mathématiques sur la voie de la géométrie pure.
De la géométrie à la mécanique
À son retour en France, nommé à Metz sur sa demande, Jean-François Poncelet fut affecté aux travaux de fortification de la place. À partir de 1817, il publia des articles consacrés à la géométrie et simultanément rédigea plusieurs mémoires sur des problèmes pratiques relatifs aux installations et ateliers dont le Génie était responsable.
Jusqu’en 1824 il poursuivit ses réflexions sur la géométrie en mettant à profit les loisirs que lui laissait son activité d’officier. Mais en 1825, sur l’amicale pression de François Arago, alors examinateur à l’École d’Application de Metz, Poncelet accepta de professer dans cette école un cours sur la science des machines. Il prit cette responsabilité très à cœur et consacra à la préparation de ses cours un temps qui n’était plus disponible pour la géométrie pure. Poncelet mathématicien qui figure parmi les fondateurs de la géométrie projective devint Poncelet mécanicien : rares sont les domaines de la mécanique physique et de ses applications qui ont échappé à l’emprise de son génie. On lui doit, entre autres : un pont-levis massivement utilisé par la suite ; les roues hydrauliques qui portent son nom ; un appareil dynamométrique pour mesurer le travail des moteurs et des machines ; un appareil pour découvrir expérimentalement les lois du mouvement varié des machines. En 1826, il publia un livre de 549 pages intitulé : “Cours de mécanique appliquée aux machines”.
Jean-Victor Poncelet fut celui qui alla le plus loin dans la voie des applications de la théorie mécanique à l’art de l’ingénieur. Il fut le père incontestable de la théorie moderne des machines, en traitant en détail moteurs et mécanismes de toutes sortes et produisit des contributions durables en matière de résistance des matériaux (résistance aux chocs notamment).
À gauche : Mécanisme propre à régulariser spontanément l’action du frein dynamométrique. À droite : Manivelles conduisant un balancier à mouvement alternatif. Figures extraites du “Cours de mécanique appliquée aux machines”.
Jean-Victor Poncelet enseignant
De 1825 à 1834, Jean-Victor Poncelet fonda et dispensa le cours des machines à l’École d’Application de l’Artillerie et du Génie de Metz devant un public d’élèves ingénieurs sortis de l’École polytechnique et destinés à une carrière militaire. En même temps qu’il élaborait le premier enseignement complet de la science moderne des machines, il s’appliqua à mettre à la portée de la communauté de l’industrie les notions fondamentales relatives à l’action et au travail des forces. Il enseigna également, de 1827 à 1830, la mécanique industrielle aux ouvriers de la ville de Metz. La Sorbonne marqua la dernière étape dans l’activité d’enseignement de Poncelet : il dispensa un cours de mécanique physique et expérimentale à la Faculté des Sciences de Paris, de 1838 à 1848.
Mais il ne s’adressa pas uniquement à des élèves. À côté de ses travaux didactiques, plusieurs articles à l’attention des ingénieurs-praticiens élargissaient la diffusion de ses idées. Il s’évertua à mettre sous forme facilement exploitable par les praticiens des résultats contenus dans la littérature technique de l’époque. De même qu’il adaptait le langage mathématique de ses cours au niveau d’instruction de son public, il se conforma constamment, dans ses travaux de vulgarisateur, aux “us et coutumes” de la communauté des praticiens. Mais il ne tarda pas à viser un public beaucoup plus large et il rédigea un rapport monumental, épais de quelque 1200 pages, relatant les découvertes et inventions relatives aux outils et machines manufacturières depuis la nuit des temps jusqu’à son époque.
École d’Application de l’Artillerie et du Génie de Metz (1802 - 1870)
Jean-Victor Poncelet militaire
Lorsque le jeune Jean-Victor Poncelet, âgé de 14 ans, annonça à son père en venant de Saint-Avold qu’il voulait entrer dans la carrière militaire et préparer l’École polytechnique, celui-ci en fut ravi et s’engagea à payer tous les frais. On a vu plus haut quels furent les débuts du jeune homme dans la carrière. Il revint de sa captivité en Russie en 1814 avec le grade de capitaine. puis il obtint le grade de Chef de bataillon en 1831 et dix ans plus tard, en 1841, le grade de lieutenant-colonel. Au fur et à mesure que sa renommée augmentait dans le monde scientifique et celui de l’industrie, il fut l’objet de multiples sollicitations et d’offres diverses, mais il ne voulut pas abandonner la vie militaire et en particulier cette arme du Génie qu’il avait choisie et où il restait encore tant de choses à faire.
En 1843, âgé de 55 ans, il décida de se marier mais dut au préalable obtenir l’autorisation du ministre de la Guerre. Voici la lettre qu’il adressa, le 15 janvier, au maréchal Soult, ministre secrétaire d’état au département de la Guerre : « Monsieur le Maréchal, Désirant m’unir par les liens du mariage à Mademoiselle Louise-Palmyre Gaudin, fille majeure, domiciliée à Paris, j’ai l’honneur de vous adresser ci-jointes les pièces qui constatent qu’elle remplit les conditions de moralité et de fortune exigées par la loi, en vous suppliant de vouloir bien m’accorder l’autorisation nécessaire en ma qualité de lieutenant-colonel du corps royal du Génie pour contracter prochainement cette union. Daignez, Monsieur le Maréchal agréer l’expression des sentiments de haute et respectueuse considération avec lesquels j’ai l’honneur d’être votre très humble et très obéissant serviteur ». Cette demande fut visée par le lieutenant-général qui adressa de son côté une autre lettre au ministre. Celle-ci annonçait en particulier que Mademoiselle Gaudin avait 28 ans et qu’elle jouissait d’un revenu de 2 660 francs en rentes 5% sur l’État. Il demandait donc au ministre d’autoriser ce mariage. Le 18 janvier, ce fut au tour du lieutenant-général Pajol, pair de France, commandant la première division militaire d’écrire : « L’union projetée me paraissant réunir toutes les conditions exigées tant sous le rapport de la fortune que sous celui des convenances sociales et de la moralité, je vous prie de bien vouloir l’autoriser ». Le maréchal Soult donna son accord le 20 janvier et le mariage eut lieu le 26. L’année suivante, Jean-Victor Poncelet fut nommé colonel.
En 1848, sous l’impulsion des libéraux et des républicains, le peuple de Paris, à la suite d’une fusillade, se souleva et parvint à prendre le contrôle de la capitale. Louis-Philippe, refusant de faire tirer sur les Parisiens, ‘abdiqua en faveur de son petit-fils, Philippe d’Orléans, le 24 février. Le même jour, dès 15 heures, la Seconde République était proclamée par Alphonse de Lamartine, entouré des révolutionnaires parisiens. Vers 20 heures, un gouvernement provisoire était mis en place, mettant ainsi fin à la Monarchie. François Arago devint ministre de la guerre et, à ce poste, il n’oublia pas son ami Jean-Victor Poncelet. Dès le 20 avril, il fit signer par tous les membres du gouvernement provisoire de la République un décret le nommant général de brigade. Le 29 avril, il nomma le nouveau général de brigade commandant de l’École polytechnique en remplacement du général Augier (le beau-père de Charles Baudelaire). Pendant les deux années qu’il passa à la tête de l’École, Jean-Victor Poncelet donna une grande impulsion aux études scientifiques et littéraires. Il fut secondé dans cette tâche par le chef d’escadron d’artillerie Lebœuf, futur maréchal de France et futur ministre de la Guerre.
Jean-Victor Poncelet député
Après le renversement de l’Ancien Régime, en février 1848, il devint nécessaire de recourir à des élections pour former une nouvelle Chambre qui devait à son tour donner à la Nation une nouvelle constitution. Les élections furent fixées aux 23 et 24 avril et, dès le mois de mars, on vit des luttes ardentes entre socialistes et républicains modérés. Le nombre de candidats voulant siéger à l’Assemblée Constituante était considérable.
Le général Poncelet qui n’avait jamais fait de politique fut élu sans même avoir posé sa candidature ! Les électeurs de la Moselle l’élurent par 93 237 voix sur 97 423 votants, sans doute en raison de sa réputation de désintéressement et de compétence dans les domaines de l’industrie et de l’économie locale. À Metz, son élection fut triomphale. Les jeunes ouvriers messins, devenus des hommes dans la fleur de l’âge, n’avaient pas oublié leur ancien professeur. Le canton de Saint-Avold le classa premier ex-æquo avec un nommé Woirhaye. Il était juste que Saint-Avold portât ses voix sur l’un de ses enfants car si Poncelet n’est pas né à Saint-Avold, il y avait passé les quatorze premières années de sa vie et y revint à plusieurs reprises. Le fait que le maire de Saint-Avold soit à l’époque le notaire Théodore Poncelet, son demi-frère, n’est sans doute pas étranger à ce choix.
Le 15 mai 1848, alors que les émeutiers avaient envahi la Chambre, il rassembla un demi-bataillon d’élèves de l’École polytechnique et vint participer au “rétablissement de l’ordre”. Le 19 juillet, il prit pour la première fois la parole à l’Assemblée puis intervint à plusieurs reprises sur des sujets relatifs à l’Instruction publique. Par la suite, il vota le bannissement de la famille d’Orléans, pour le maintien de la peine de mort et contre l’incompatibilité des fonctions. Le 13 mai 1849 eurent lieu les élections à l’Assemblée législative qui, cette fois,furent favorable aux conservateurs. Les républicains furent battus. Poncelet fut battu par le colonel Edgar Ney, le quatrième fils du maréchal Ney.
La vie politique du général Poncelet fut donc de courte durée. Le 10 novembre 1850, il pouvait écrire en connaissance de cause : « La France est riche en hommes d’esprit qui discutent ; elle est pauvre en hommes sérieux qui administrent et gouvernent ».
Les dernières années
,Jean-Victor Poncelet, désormais retraité, resta très actif pendant plusieurs années. En 1852, membre du jury international de l’exposition universelle de Londres, il fut élu par ses pairs Président du jury chargé des machines. Il consacra ensuite six ans aux recherches préparatoires et à la rédaction d’un volumineux rapport sur les machines et outils employés dans les manufactures. Pour chaque type de machine il restitua le contexte historique, décrivit les procédés et appareillages, et chercha à déterminer, avec la plus grande rigueur possible, l’origine exacte des inventions. Lorsqu’il parut, l’ouvrage eut un succès considérable. À partir de 1858, sentant sa santé se dégrader, il entreprit de rassembler et de publier ses travaux et ses cours avec la collaboration de quelques anciens élèves. Il mourut le lundi 23 décembre 1867 à une heure du matin sans avoir pu mener cette tâche à son terme.
Le 24 décembre 1867, le “Journal des Débats” publia l’article suivant : « Les funérailles de M. Poncelet, général du Génie, membre de l’Institut, ancien commandant de l’École polytechnique ont été célébrées aujourd’hui en la paroisse de Saint-Sulpice, au milieu d’une nombreuse assistance… Une division d’élèves de l’École polytechnique ayant à leur tête le général Favé, commandant l’École, faisait partie du cortège où l’on remarquait plusieurs personnages appartenant aux sciences et aux lettres. Les honneurs militaires étaient rendus par une compagnie du 94e de ligne commandée par un chef de bataillon. Le général Poncelet a été inhumé au cimetière Montparnasse ».
Jean-Victor Poncelet était officier de la Légion d’honneur, chevalier de l’Ordre de Prusse et membre de plusieurs académies et sociétés savantes comme la Royal Society de Londres, l’Académie de Berlin, l’Académie des sciences, l’Académie impériale des sciences de Saint-Petersbourg, l’Académie des sciences de Turin… Son nom est inscrit sur la Tour Eiffel face au Trocadéro aux cotés de Tresca, Laplace, Lavoisier, Ampère, Navier et Legendre entre autres. Dès 1868, son épouse créa le prix Poncelet pour récompenser des travaux scientifiques. L’Académie des sciences s’y associera en 1876 en ajoutant une somme d’argent et ciblant les travaux en mathématiques pures. Plusieurs lycées portent aujourd’hui le nom de Jean-Victor Poncelet dont celui, bien sûr, de Saint-Avold.