Le centre de Saint-Avold aujourd’hui.

Quelques maisons naboriennes construites sous le règne du Duc Léopold

par Bernard Becker

Le règne de la reconstruction.

Après les tragédies du XVIIe siècle, les traités de Ryswick et de Paris de 1697 et 1718 voient la paix s’installer enfin dans notre région et les troupes d’occupation évacuer Saint-Avold. Le duc Léopold 1er, dit Le Bon, (1679-1729) entreprend la reconstruction de ses états afin d’effacer les traces des années de guerres qui ont ravagé les duchés de Lorraine et de Bar pendant trois quarts de siècle. Il commence par réformer le gouvernement, nomme quatre secrétaires d’état et découpe les duchés en dix-sept bailliages et cinquante-huit prévôtés. En 1719, il achète le comté de Ligny-en-Barrois et les terres de son cousin, le prince de Vaudémont, afin de pallier le morcellement de ses états. Il réforme la fiscalité afin d’en améliorer le rendement. Pour repeupler les duchés, il encourage l’immigration et fait remettre en état le réseau routier avant de créer de nouvelles routes (les Ponts et Chaussées sont l’un des quatre secrétariats d’état créés). À la fin de son règne, on peut circuler dans les duchés sans encombre et en toute sécurité.

Saint-Avold devient le chef-lieu d’une prévôté de vingt-trois villages dans un bailliage d’Allemagne reconstitué avec pour nouvelle capitale Sarreguemines. Cette prévôté s’étend sur 440 km2 et compte, au moment de sa création, 2304 habitants dont 912 à Saint-Avold. Les routes étant redevenues sûres, la ville profite à nouveau de sa situation de carrefour et le commerce connaît un nouvel essor. La reprise économique des années 1715-1730 voit la construction de nombreuses maisons parmi lesquelles la belle résidence d’Antoine de Hennin achevée en 1729 (l’actuel Hôtel de Ville). La démographie naborienne est rétablie en 1750-1760, fortifiée par l’apport tyrolien des années 1700-1720.

Caractéristiques communes.

Les maisons sont généralement rectangulaires avec un couloir central de part et d’autre duquel les pièces sont réparties. L’escalier d’accès aux étages est le plus souvent situé au fond du couloir. La plupart des maisons ont deux étages d’habitation et un étage sous combles.

Toutes les façades sur rue ont une ordonnance régulière. Le nombre de travées varie de trois à douze. Dans toutes les maisons, les niveaux sont séparés par des plates-bandes moulurées et la façade est surmontée par une corniche de couronnement. Les baies du dernier niveau sont, sur une même façade, souvent plus petites. Toutes les baies offrent la même modenature et s’ouvrent sous un arc surbaissé à crossettes ou sous un arc segmentaire interrompu au centre par une clef décorée ou non. Les portes piétonnes, réalisées par Jean Melling, architecte et sculpteur sur bois, sont surmontées d’une imposte percée d’un oeil-de-boeuf vitré et parfois orné de grille en fer forgé.

Plusieurs toits à brisis percés de lucarnes abritent un étage sous combles surmonté de deux niveaux de combles (le plancher du second niveau, accessible par un escalier de meunier, repose sur le faux-entrait des fermes). Les autres toits sont à deux versants parfois avec une demi-croupe.

L’ancien hôtel de la Poste aux Chevaux.

Cet ensemble, sis aux 36 - 38 rue Hirschauer et construit en 1723, est particulièrement intéressant d’autant plus que, contrairement à la plupart des autres, le rez-de-chaussée a été préservé et n’est pas occupé par un magasin. Rappelons, pour nos jeunes lecteurs, qu’au XVIIIe siècle les courriers acheminaient les dépêches d’un bureau à l’autre grâce aux relais de la Poste aux Chevaux. Ils parcouraient toute la ligne Metz -Sarrebruck et changeaient de chevaux à chaque relais. Ils étaient accompagnés d’un postillon, chaussé de lourdes bottes et chargé de les guider jusqu’au relais suivant puis de ramener les chevaux “à vide” à leur relais d’origine. Les relais de poste étaient distants de 7 lieues soit 28 km environ, d’où les fameuses bottes de sept lieues du conte de Charles Perrault : “Le Petit Poucet”.

L’ancien hôtel de la Poste aux Chevaux, 36 - 38 rue Hirschauer.

Au rez-de-chaussée, le bâtiment est divisé par un passage voûté en plein cintre en deux ailes comportant chacune un couloir central prolongé par une cage d’escalier. La façade est à trois niveaux et douze travées. Les niveaux sont séparés par des moulures à trois bandeaux. Le portail central, d’ordre dorique, est flanqué de pilastres cannelés montés sur deux plinthes. Les voussoirs moulurés alternent avec des voussoirs à bossage vermiculé. Entre la plinthe supérieure et la base des pilastres, apparaît un bloc figurant une scène de l’Enfer : un personnage nu, debout, jambes à demi-fléchies, bras tendus vers le haut, est dévoré par les flammes. La clef de l’arc est sculptée d’une tête d’angelot joufflu dans lequel certains ont cru voir une représentation du dieu Éole, dieu du vent, capable de freiner le voyageur ou de lui être favorable. L’entablement, qui atteint l’appui des fenêtres du second niveau, présente, au centre d’une frise, une niche en plein cintre, ornée d’une guirlande sur le pourtour, et qui a peut-être abrité autrefois une représentation de Saint Christophe, patron des voyageurs. La niche est surmontée d’un socle rectangulaire à pans coupés portant le millésime “1723” gravé en creux au-dessus duquel est placé un vase godronné en demi-relief.

Les portes piétonnes, situées à gauche et à droite du porche, présentent une modénature identique à celle des fenêtres. Le vantail est surmonté d’une imposte garnie d’une grille dont les enroulements spiralés convergent vers une rosace étoilée. La décoration est différente d’une porte à l’autre. La porte n° 36 présente sur le panneau inférieur transversal, au centre, une coquille ornée de graines réunissant des branches de rosiers fleuries tandis que sur les deux panneaux rectangulaires figurent des corbeilles d’osier garnies de roses trémières. Quant aux panneaux supérieurs, ils sont sculptés d’une tête de chérubin au visage de garçonnet encadré de longues mèches raides, s’opposant à une chute de trois branches de rosier et feuilles de chêne. La porte n° 38 présente une décoration sculptée plus rude et légèrement différente. Sur le panneau inférieur, la coquille striée est plus élaborée, mais les rosiers sont remplacés par des trèfles et des feuilles de chêne. Les corbeilles sculptées sur les panneaux médians sont également garnies de roses plus largement épanouies. Les deux panneaux supérieurs représentent des têtes d’anges sous l’apparence de gros bébés joufflus, au nez épaté et aux courtes mèches bouclées, surmontant un bouquet inversé au dessin large et sommaire.

Angelots de la porte n° 36 et de la porte n° 38.

La porte n° 38 et la mansarde du milieu.

D’autres maisons remarquables.

Dans les trois exemples suivants, on retrouve les caractéristiques des maisons naboriennes construites à cette époque : des fenêtres à encadrement mouluré, de taille décroissante selon les niveaux, des corps de moulures délimitant les niveaux et des portes piétonnes à tympan à oculus et vantail sculpté (sauf dans le dernier exemple).

La “maison Faust”, 72 rue Hirschauer

Achevée en 1730, cette maison a un plan trapézoïdal. Le rez-de-chaussée a été entièrement remanié : la partie droite a été transformée en magasin, la partie gauche comporte trois travées : deux fenêtres et une porte piétonne. Celle-ci est tout-à-fait remarquable : six panneaux sculptés en demi-relief décorent le vantail. Les quatre panneaux inférieurs, presque carrés, portent des têtes de lion aux gueules menaçantes. Les deux panneaux supérieurs sont rectangulaires verticaux et portent des têtes d’homme à bouche grimaçante et aux longues moustaches terminées en grosses virgules aplaties. Une acanthe part de la naissance du nez jusqu’à l’encadrement supérieur.

La “maison Grison”, 40 - 42 rue Hirschauer

Formant aujourd’hui deux maisons, cet immeuble a été construit en 1719. La façade présente trois niveaux et huit travées. Le premier niveau présente deux vitrines de magasins mais la porte piétonne a heureusement été conservée. L’huisserie comporte une porte pleine et une imposte grillagée. Comme dans l’exemple précédent, le vantail est orné de six panneaux sculptés en demi-relief. Les quatre panneaux inférieurs portent une tête de lion à la crinière bouclée et les deux panneaux supérieurs une tête de bœuf broutant un bouquet de roses et de marguerites. Entre le premier et le deuxième niveau se trouve une rose épanouie, entre le deuxième et le troisième niveau, une tête d’homme sur fond de pétales. Sur la façade, le bandeau continu mouluré qui couronnait le premier niveau est toujours en place sur la maison n° 42 mais a disparu au numéro 40.

Trois maisons pour une même façade, 10 - 12 - 14 rue Poincaré

Il s’agit d’un ensemble de trois édifices construits entre 1720 et 1725 derrière une façade commune. Ici aussi le premier niveau a malheureusement été transformé par l’installation de devantures de magasins. Les agrafes des fenêtres à linteau en arc segmentaire et encadrement mouluré sont toutes décorées d’entrelacs et de motifs floraux différents de l’une à l’autre.

Photos : B. Becker et D. Bastien