« L’Immaculée Conception » et « Saint Antoine de Padoue » deux tableaux réalisés en 1729 (Musée régional de Posavje)
La formation artistique de Valentin Metzinger
Extraits de l’article de David KRASOVEC paru dans le « Cahier du Pays Naborien » n° 17
Valentin Metzinger est né à Saint-Avold le 19 avril, jour de Pâques, de l’an 1699 de François Metzinger et de Marie Goutt, fille d’un échevin. Il est le huitième d’une famille de treize enfants dont l’aînée, Agnès, épouse Nicolas Melling, sculpteur, premier d’une lignée de grands artistes. Valentin quitte sa ville natale pour se fixer en 1727 à Ljubljana (Slovénie) où il meurt le 22 mars 1759.
Saint-Avold en 1699 : une petite ville représentative du développement et de la repopulation de la Lorraine
Que savons-nous des premières années du peintre Valentin Metzinger ? Il est baptisé avec son frère jumeau Jean-Philippe le 19 avril 1699. Son père François fait des emprunts le 16 avril 1720 et le 21 juillet 1721. La maison, dont les propriétaires sont ses frères et son père, est revendue pour moitié à un seul de ses frères, Pierre. Le 18 octobre 1721 le père de Valentin meurt, sa mère le 24. Le 26 tous les biens des parents sont revendus à l’un des fils. Toutes les transactions se font au nom et avec l’autorisation de Valentin absent ; le fait qu’ il ne soit pas présent le 26 octobre pour ces transactions prouve qu’il est trop loin pour pouvoir assister aux obsèques de ses parents. Plus tard, en 1727, son nom apparaît dans le livre des contributions directes de Ljubljana, qui est la capitale de la province autrichienne de Carniole, géographiquement proche de Venise, ainsi que sur la liste des nouveaux arrivants de la ville.
Outre ces documents, on peut se faire une idée assez précise du milieu dans lequel il a vécu pendant ses années d’enfance. Son père est boucher, sa famille s’occupe de l’un des deux grands hôtels de Saint-Avold, l’hôtel de la Charrue, sur le Kornmarkt, avec des écuries qui peuvent contenir jusqu’à cent chevaux. Plusieurs des treize frères et sœurs de Valentin seront plus tard ou bouchers, ou aubergistes, ou brasseurs. La langue administrative officielle est l’allemand jusqu’en 1693 ; au catéchisme et dans les écoles on parle l’allemand littéraire, tandis que dans la rue on parle un dialecte francique. Chez les Metzinger on parle l’allemand, les documents en français qui concernent la famille portent des signatures dans la version germanique des prénoms, untel désigné Pierre Metzinger signant « Peter Metzinger » ; il est douteux que la famille Metzinger ait parlé le dialecte francique de la région, le grand-père de Valentin Metzinger n’étant pas originaire de la contrée. Le jeune Valentin doit vite s’habituer à voir passer toutes sortes de gens dans l’hôtel que tient sa famille, non seulement en raison de la nature de l’établissement, mais parce que les nouvelles dispositions législatives de 1698 autorisent quiconque à faire commerce de son savoir-faire en Lorraine sans justificatif officiel, à l’exception des apothicaires et des orfèvres, et qu’après la guerre de Trente Ans (1618-1648) les nouveaux immigrés peuvent prendre possession des biens abandonnés. Rappelons que la ville de Saint-Avold qui comptait 2000 âmes avant la guerre, n’en compte plus qu’une centaine en 1645 et 912 en 1708. Outre les nouveaux habitants aux origines les plus diverses, l’armée française occupe le duché indépendant de Lorraine pendant la guerre de Succession d’Espagne, et s’établit à Saint-Avold de 1708 à 1713.
Les seuls liens artistiques que nous pouvons certifier dans les jeunes années de Valentin Metzinger, ce sont les liens avec des architectes et des sculpteurs de la famille des Melling. Seules les générations plus jeunes se consacreront aussi à la peinture. Récusons au passage l’idée fausse selon laquelle il existerait un lien de parenté entre la famille des Melling de Saint-Avold et les Mellins de Nancy, dont le membre le plus connu est Charles Mellin, compagnon de Simon Vouet à Rome au début du XVIIe siècle, et qui meurt dans la ville des César léguant ses biens à ses neveux résidant en Lorraine. L’argument selon lequel Valentin Metzinger aurait eu des liens avec Rome en raison de sa parenté est bien faible quand on connaît l’écart chronologique qui sépare les deux peintres, et bien sûr il s’écroule quand on sait que ce lien de parenté n’existe pas.
Les fondations d’Académies des Beaux-Arts : épanouissement de l’Europe artistique et nouveau statut des artistes
Outre ce lien direct avec la famille des Melling, il est aussi légitime de considérer de façon générale la formation des peintres pendant cette période, avec cependant la réserve suivante : on ne peut comparer que les parcours de différents peintres qui ont à peu près le même âge; si on fait ce regroupement on constate que les différentes générations dans une grande partie de l’Europe ont des points communs, tandis que d’une génération à l’autre des différences significatives se font sentir.
Essayons d’en dégager les grandes lignes, tout en sachant que de trop nombreuses exceptions empêchent de définir toute règle. Il faut surtout retenir les informations qui sont particulières à un moment donné, et qui ne se retrouvent ni auparavant ni plus tard. Le phénomène principal autour de 1700 est la création d’Académies des Beaux-Arts dans le nord de l’Europe, phénomène dont l’apparition n’est possible qu’un demi-siècle après la fin officielle de la guerre de Trente Ans, à la période où le brassage de la population lorraine causé par ce conflit est encore assez sensible pour que le futur peintre en soit le témoin, le phénomène étant loin d’avoir perdu de son importance un demi-siècle après la fin de la guerre.
On ne peut qu’insister sur le phénomène de la création des Académies des Beaux-Arts sachant que le problème qui nous concerne directement est la formation artistique de Valentin Metzinger. Les motivations pour la création de ces académies sont diverses mais répondent à un seul besoin : donner une autonomie artistique à certaines régions. La condition première d’un tel projet est économique, les raisons sont ensuite, selon le commanditaire, d’ordre personnel, politique, social ou de prestige.
Le phénomène des académies, dans le cas de la formation des peintres, ne doit pas être considéré dans son aspect factuel, mais dans son aspect social et parfois polémique face aux institutions déjà existantes. Si la première académie connue est l’Accademia platonica fondée par Marcile Ficin et Pic de la Mirandole en 1462, la première académie de peinture et de sculpture est l’Accademia del disegno fondée par Vasari en 1563. Mais entre ces deux dates, dès 1530, on compte dans la péninsule italienne plus de cinq cents académies de tous genres. Ces sociétés se forment en opposition aux universités et aux corporations ; l’un des premiers acquis de l’Accademia del disegno est de libérer les peintres et sculpteurs florentins, par un décret de 1571, de l’obligation d’appartenir aux corporations. Le cardinal Borromée et le peintre Federico Zuccari fondent en 1593 à Rome la fameuse Accademia di San Luca, où les artistes acquièrent les mêmes privilèges, puis suivent les académies artistiques de Bologne, Venise, Milan, etc.
Ces institutions artistiques n’éclosent dans le reste de l’Europe qu’à partir de 1648 avec la fondation à Paris par Mazarin de l’Académie royale de peinture et de sculpture; cette dernière n’est protégée et subventionnée effectivement par le pouvoir royal qu’à partir de 1661 quand Louis XIV entame son règne personnel et entend se servir des arts pour sa gloire personnelle. Pour notre problématique, la date de 1648 est fatidique : historiquement, la paix de Westphalie met fin à la guerre de Trente Ans qui a ruiné tous les Etats germaniques et épuisé les autres Etats de l’Europe occidentale, à l’exception des Etats italiens; économiquement, socialement et sur le plan artistique on peut commencer à envisager l’avenir différemment. En 1648, la proposition du peintre Charles Le Brun, issu de l’Accademia San Luca de Rome, et du diplomate Martin de Charmois pour la fondation d’une académie artistique, vise avant tout l’émancipation des artistes des corporations et de la maîtrise, ils plaident pour la liberté des peintres et leur distinction d’avec les artisans.
Apparaît ensuite une académie d’art en Hollande puis d’autres dans les pays germaniques. Les trois premières académies qui se créent sont respectivement celle de Berlin en 1701, celle de Nancy en 1702 et celle de Vienne en 1705, bien que pratiquement l’académie de Vienne soit active dès 1688 et celle de Nancy dès 1700 . Cela nous rappelle étrangement l’aire géographique qui contient Saint-Avold et Ljubljana, c’est-à-dire les régions germaniques ou sous influence autrichienne. Rappelons que les péripéties de la cour de Lorraine de 1678 à 1739 sont intimement liées à la famille des Habsbourgs. La cour de Lorraine finira par s’installer définitivement à Vienne après les accords de 1735 passés entre la France et l’Autriche.
« La mort de Sainte Ursule » et « Saint Augustin » deux tableaux réalisés en 1749 Eglise de la Sainte Trinité - Ljubbljana
Les premières toiles de Valentin Metzinger
L’analyse des premières œuvres lève un voile sur le mystère de la formation de Valentin Metzinger. Il faut procéder par plusieurs approches, en considérant les modèles utilisés ou les types iconographiques, le style ou l’impression qui s’en dégage, et enfin la composition géométrique.
On ne peut tenir compte des modèles qu’il utilise pour éclairer ses premières années, car, par l’intermédiaire de la gravure, tout artiste européen du XVIIIe siècle peut s’inspirer des œuvres de ses prédécesseurs et de ses contemporains sans se déplacer. Beaucoup d’ateliers de graveurs ont même pour vocation de diffuser ces reproductions à seule fin de faire circuler de nouveaux modèles. Ainsi, on ne peut retenir la démarche de Vurnik qui a reconnu une œuvre d’Annibal Carrache comme modèle du Saint Antoine de Padoue de 1729 et qui a donc fait des recherches sur Metzinger à Modène où se trouvait cette toile de Carrache, aujourd’hui à Dresden . Utiliser l’origine géographique des modèles des peintres baroques n’est d’aucune aide pour localiser leur propre itinéraire ou le lieu de leur formation. Une analyse fine de ces modèles démontre l’importance des commanditaires au détriment de la liberté artistique des artistes : cette méthode perd donc toute sa pertinence.
L’observation des types iconographiques est par contre moins hasardeuse. Sans renseigner sur une aire géographique précise, à moins que certains caractères ne soient très marqués, elle permet au moins de situer un artiste par rapport aux novateurs. L’Immaculée Conception de 1729 (en haut de page) est à cet égard très éloquente : on constate que Metzinger utilise un type du XVIIe siècle où l’on reconnaît à juste titre, comme le souligne Vurnik, une attitude carrachienne. Une comparaison avec les grands contemporains – avec Tiepolo, pour illustrer l’art de la région italienne la plus proche et Altomonte, pour illustrer un aspect de l’art autrichien – montre que le peintre naborien est en décalage par rapport à eux, il ignore leur travail . Plus exactement, comparé à Tiepolo, Metzinger apparaît en retrait des novateurs ; comparé à Altomonte, qui fut le maître de beaucoup de contemporains autrichiens et qui peignit aussi pour Ljubljana, Metzinger semble ignorer ce milieu. Que l’on considère les toiles peintes pour les Franciscains de Brezice et de Novo mesto, ou celles peintes pour l’église du chapitre de Novo mesto , dans tous les cas, on constate que les types iconographiques sont ceux hérités du XVIIe siècle et que Metzinger ne les réutilise pas par la suite.
Outre le type iconographique, la couleur nous livre plusieurs indices. Les premières toiles sont sombres, tandis que Metzinger se caractérise par ses couleurs vives et attrayantes. Ce dernier aspect de ses toiles a servi d’argument pour supposer une formation à Venise, ou plus généralement en Italie, mais on ne peut que rejeter cet argument au vu des premières toiles. La seule hypothèse que l’on puisse formuler, c’est que Venise a agi sur Metzinger après coup, par son prestige et sa proximité géographique. Pour ce qui est de la formation de Metzinger, on peut supposer qu’il n’était pas encore en pleine possession de ses moyens et que sa formation n’était pas encore achevée lorsqu’il est arrivé en Carniole.
A bien regarder les premières toiles, simplement en esthète et non plus comme iconographe, on peut aussi être sensible au sentiment qui s’en dégage. Bien que la plupart des critiques plaident pour une formation en Italie, on ne peut retenir cette observation que si l’on pense à la Lombardie ou au Piémont. Une certaine familiarité avec les oeuvres des artistes contemporains polonais, florentins, romains ou napolitains convainc que Valentin Metzinger n’a rien à voir avec ce milieu ; d’ailleurs les rapprochements que font Vurnik et A.Cevc avec les artistes de ces centres, tels Réni Guido, Maratta ou Giordano Bruno, concernent des artistes des générations précédentes. On peut cependant rencontrer une sensibilité similaire chez quelques artistes de l’Italie du nord, et plus particulièrement ceux qui apparaissent comme réactionnaires, c’est-à-dire imprégnés des maîtres anciens et de la culture populaire et religieuse. Ce qui a échappé aux critiques, c’est l’air de famille qu’ont les oeuvres de Valentin Metzinger avec celles des artistes allemands et autrichiens . L’endroit idéal pour s’en convaincre est la Deutsche Barockgalerie d’Augsbourg, musée qui rassemble de nombreux peintres allemands, autrichiens, tchèques, de qualités diverses, et où le regard n’est pas troublé par la présence d’œuvres italiennes ou françaises. La région du Rhin à Vienne paraît très sous-estimée dans l’art baroque, de nombreux artistes méritent plus d’attention. Au vu de la production picturale dans cette vaste zone, qui était de plus le lien géographique et culturel entre la Lorraine et la Carniole, il faut envisager très sérieusement la possibilité d’une formation dans le sud de l’Allemagne ou en Autriche, sans devenir exclusif dans cette voie, malgré la faiblesse des arguments qui plaident pour une formation en Italie. Faute de preuves, il faut garder à l’esprit toutes ces possibilités sans radicaliser les rejets.
Enfin, la composition des premières œuvres apporte les dernières informations. Le Saint Jean Népomucène confessant le reine Jeanne de 1728-1729 montre une scène très confuse, où personnages, allégories et symboles s’ajoutent à la scène principale en l’étouffant . On est loin de la prestance sculpturale des saints, si typique chez Metzinger, et cette toile est même la seule qui offre l’exemple de l’utilisation abusive des symboles et allégories. On observe la même accumulation de personnages en bas du Saint Antoine de Padoue de 1729 (en haut de page), ou d’anges autour de l’Immaculée Conception de l’église des Franciscains de Novo mesto, en 1730. Cependant, ce qui caractérise le Saint Antoine de Padoue et l’Immaculée Conception de 1729, malgré l’apparence plus mouvementée, c’est leur solide structure géométrique, structure qui est beaucoup plus discrète dans les œuvres postérieures bien qu’elles semblent plus posées. Vurnik aussi a été sensible aux diagonales qui s’imposent sur le Saint Antoine de Padoue ; le schéma qu’il en propose n’est que l’un de ceux possibles pour les détails . C’est ce même type de diagonales qui isolent l’Immaculée Conception du domaine céleste. Elle s’appuie sur la pointe du quadrilatère qui l’encadre, et qui lui confère une certaine instabilité. L’alignement des têtes et des zones claires, le parallélisme de ces lignes et l’impression globale d’instabilité révèlent chez Valentin Metzinger son attachement à des méthodes de composition encore scolaires et un métier qui n’est pas encore complètement maîtrisé. Cela témoigne aussi d’un apprentissage classique, car ce type de construction est élémentaire en peinture.
Á gauche : « La mort de Saint Joseph » - 1754 - Eglise Saint-Etienne - Vipava Á droite : « Saint Jean Népomucène » - 1744 - Presbytère - Ribnica
Conclusion provisoire
Faute de documents sur les années de formation de Valentin Metzinger, on ne peut avancer des affirmations sûres.
Nous avons montré qu’il existe un cadre général dont il faut tenir compte, et la création des académies des Beaux-Arts n’est que l’élément le plus visible et le mieux documenté qui évoque des transformations profondes : la décadence de l’Italie comme lieu de formation, l’émergence de nouvelles écoles nationales, l’apparition d’un nouveau statut social de l’artiste. Mais très probablement étranger à cette élite, Valentin Metzinger, par son milieu, se rattache à la grande famille des artisans et artistes modestes, ainsi qu’au monde germanique. Il faut aussi tenir compte du fait, au-delà de l’activité artistique européenne, que la circulation intellectuelle emprunte elle aussi de nouveaux chemins, parfois dans le sillage de la Réforme catholique, parfois s’en écarte, souvent en suivant les émigrés qui réinvestissent une Europe marquée par la guerre de Trente Ans. Saint-Avold est justement l’une de ces villes qui renaissent dans ce mouvement et le jeune Valentin a grandi dans l’une des deux grandes auberges qui accueillaient les visages les plus différents.
Ce n’est pas non plus une simple coïncidence s’il fut en relation avec Lucas Kracker, considéré comme l’un des pères de la peinture baroque hongroise, mais qui n’alla jamais en Italie bien qu’il descendît jusqu’en Carniole.
Ensuite, en tenant compte de la formation des contemporains et des indices que livrent les premières toiles de Valentin Metzinger, on peut seulement conclure qu’il a fait son apprentissage dans un milieu modeste, en retard sur les novateurs de l’époque. Ce qui caractérise le mieux son art, Valentin Metzinger l’a acquis plus tard, lors de son installation à Ljubljana. Après cette constatation, il faut malheureusement renoncer à la plupart des arguments en faveur d’un apprentissage en Italie centrale ou méridionale.
Il faut surtout se garder des dangers d’extrapolation quand l’on passe du général au particulier. Ce qui est vrai pour un milieu artistique souffre mille contre-exemples dans sa confrontation aux cas particuliers. Si on considère, en fonction de l’évolution générale, que les artistes vont de moins en moins en Italie et que des ressources financières importantes sont nécessaires pour ce séjour, le cas de Fortunat Bergant est bien un contre-exemple. Né en 1721, il est formé par l’Académie Saint-Luc de Rome, et, au contraire de Valentin Metzinger, loin d’être en retard sur l’art de son époque, il rapporte en Carniole un art très neuf et très personnel.
Avancer des affirmations sur la formation de Valentin Metzinger est donc difficile. Mais en restant dans un contexte général, on peut privilégier des hypothèses de formation en Italie du nord, dans le sud de l’Allemagne ou en Autriche, sans pour autant exclure d’autres possibilités. Seul un nouveau document sur les jeunes années de Metzinger pourra confirmer une des hypothèses ou faire douter d’une possibilité.