La vie à l’orphelinat de Biding au temps de Catherine Filliung.

par Noël Gabriel d’après la conférence présentée par Laurent Filliung le 27 février 2015

Une première conférence à la S.H.P.N., en 2012, par Gilles Berceville, prieur du couvent dominicain des Tanneries à Paris, avait permis de présenter la vie de la fondatrice de l’orphelinat de Biding Catherine Filliung, dont cette année on commémorera en juin le centenaire de la mort.

L’œuvre a débuté en 1878 avec la construction, dans son village natal, d’un premier orphelinat, grâce aux dons d’une famille nancéienne. À partir de 1884, Catherine entreprend de construire un autre bâtiment, bien plus grand et majestueux, où seront accueillies gratuitement les orphelines.

Celui-ci, œuvre de l’architecte allemand Max Meckel (1847-1910), sévèrement endommagé par un bombardement en 1940, ne sera pas reconstruit. Si les lieux ont en grande partie disparu, de nombreux documents permettent cependant de reconstituer l’œuvre de Catherine Filliung et la vie au quotidien de ses bénéficiaires.

Le pavillon construit par Catherine Filliung en 1878

En 1878, lors de la construction du premier bâtiment, les curés de Puttelange puis de Biding, l’abbé Mayer (de 1882 à sa mort en 1894), manifestèrent leur hostilité à de multiples reprises, ainsi que les évêques successifs de Metz. On ne sut jamais vraiment pourquoi, d’autant plus qu’aucune autorité ecclésiastique ne vint jamais sur place. Par contre, les papes Léon XIII puis Pie X, à qui Catherine rendit successivement visite, manifestèrent leur intérêt, mais sans intervenir.

Des bruits couraient, Catherine fut même incarcérée le 3 avril 1890, puis acquittée en 1891, mais pour irresponsabilité (à cause de ses extases). Elle ne pouvait donc plus gérer l’institution ; c’est là qu’intervint le professeur Ernst Fischer, qui créa un centre de soins local pour les pauvres, et assuma la direction de 1894 à 1899.

En 1878, le premier orphelinat avait été construit Grand’Rue à Biding sur la route d’Ebersing, entre un petit jardin d’agrément et un verger. En 1884 la construction fut agrandie ; il y avait alors 30 sœurs et 20 orphelines. Le chantier fut interrompu momentanément suite à plusieurs plaintes.

L’orphelinat construit par Catherine Filliung de 1884 à 1886 à Biding

Le bâtiment

Le grand orphelinat fut terminé à l’hiver 1886 ; 180 ouvriers y avaient travaillé. Cette bâtisse étonnante (surtout en pleine campagne) avait les dimensions suivantes : longueur 37 m, largeur 27 m, pour une hauteur de 27 m.

On y trouvait :

  • à la cave (en fait de plain-pied) : à gauche le réfectoire des sœurs, celui des orphelines, la cuisine ; un réfectoire pour le personnel masculin ; des salles de bains ; le fourneau (des éléments de construction subsistent toujours). Au milieu, une grande entrée suivie d’un couloir. A droite, une chapelle richement décorée avec sa sacristie ; des parloirs et une infirmerie (convertis ensuite en salles de classe) ; un cabinet médical avec salle d’attente et salle d’opération ;

La chapelle de l’orphelinat

  • au premier étage : les cellules des sœurs dont sœur Catherine (1,80 m x 4 m x 2,75 m de haut) ; les lits étaient les cercueils dans lesquels à leur mort les sœurs devaient être inhumées ;
  • au deuxième étage : les dortoirs des orphelines (hauteur 4,50 m) pour 200 enfants, avec les lavabos ;
  • les combles servaient à l’entretien du linge.

Les plans originaux de l’architecte francfortois Max Meckel ont été perdus, mais des doubles existent toujours.

Les terres alentour comportent 17 ha mis en culture et 20 ha de prés, ce qui assurait une certaine autonomie économique ; en outre, en 1880 fut achetée la ferme du Leyweiler Hof (1,5 km au nord-ouest de Biding).

La vie quotidienne et la composition des personnes hébergées

Ainsi le bâtiment était à la fois un orphelinat, un couvent et un hôpital, lieu d’habitation et lieu de travail.

Jusqu’en 1898 il y eut une communauté de sept sœurs laïques ; vêtues d’une robe noire avec un tablier bleu et portant une sorte de bonnet, elles s’occupaient des enfants et des tâches ménagères. Elles avaient dû déposer l’habit religieux en 1903.

Les enfants devaient être orphelins (certains l’étaient de leurs deux parents), et sans ressources. Pour les pauvres l’accueil était gratuit. L’alimentation était excellente, et les maladies graves rares. Un rapport était envoyé chaque mois par le docteur Fischer au Kreisdirektor.

Parmi le personnel, un instituteur laïque aux appointements mensuels de 600 marks, somme bien correcte pour l’époque ; les élèves étaient répartis en trois niveaux, avec 30 heures d’enseignement hebdomadaires. On leur inculquait entre autres le nécessaire pour un bon comportement et plus tard entretenir un foyer.

On comptait également quatre valets hommes avec quatre enfants qui étaient logées comme orphelines, aidés dans leurs travaux par les orphelines les plus âgées ; un jardinier ; un cordonnier. Ils bénéficiaient d’avantages en nature, du logis et du couvert, et des soins médicaux.

Autres pensionnaires permanents : des personnes âgées et sans ressources, un sourd âgé de 29 ans, un garçon d’origine messine (en 1894), un quinquagénaire, un israélite souffrant de malformation et de déficience mentale. Également, des malades, hospitalisés ou soignés en ambulatoire (il y eut ainsi jusqu’à 374 patients soignés).

Pour apporter quelque argent, l’établissement hébergeait également des hôtes de passage en nombre variable : visiteurs, vacanciers, et même en cantonnement des militaires en manœuvres. L’année 1899 apporta une reconnaissance de la part des autorités allemandes.

Catherine voyageait inlassablement, et surtout en Autriche et en Suisse pour quêter et ainsi faire vivre son œuvre (cela lui était interdit en Lorraine par les autorités religieuses). Elle le fit jusqu’à sa mort le 4 août 1915. Parmi les donataires on comptait surtout de la noblesse légitimiste, et des israélites.

À partir de 1914 l’orphelinat devenait un Kriegslazarett pour soldats tuberculeux ; les orphelines et les sœurs furent alors prises en charge par l’État. La reconnaissance des soldats soignés fut apparente lors des obsèques de Catherine Filliung.

Im dauerndem innigen Gedenken unserer lieben Mutter gewidmet Die dankbaren Soldaten Kriegsjahr -15

Une pensée profonde et éternelle dédiée à notre chère mère Les soldats reconnaissants année de guerre 1914-15

Max MECKEL, l’architecte de l’ “orphelinat-château” de Bidin

Max Meckel (nom complet : Maximilian Franz Emanuel Meckel) était un architecte allemand, né le 28 novembre 1847 à Dahlen (Mönchengladbach), décédé à Fribourg le 24 décembre 1910.

Meckel est diplômé après une formation (de 1865 à 1868) de maçon et tailleur de pierre suivie auprès de l’architecte de la cathédrale de Cologne Vincent Statz. En 1870, il s’installe à Cologne. De 1871 à 1873, il travaille comme assistant du Dombaumeister Franz Josef Denz à la reconstruction de la cathédrale d’Aix de Francfort-sur-le-Main qui avait brûlé en 1867. En 1874, il s’installe dans cette ville comme architecte indépendant.

Sa tâche la plus importante est de rénover et réaménager la façade de la Romaine, la mairie médiévale de Francfort. Meckel avait remporté en 1889 un concours que le Kaiser Guillaume II avait suscité, avec un design néo-gothique pompeux Le conseil de la ville de Francfort,(et surtout son maire nommé en 1890, Franz Adickes), estimait que les coûts de construction proposés étaient beaucoup trop élevés. Il fit donc appel à Meckel, qui développa une approche plus simple, qu’il présenta en 1894. De 1906 à 1899, les Romains a été rénovée à partir de ces dessins. D’où le balcon en grès d’origine et les statues dans des niches des quatre empereurs entre les fenêtres de la façade derrière Imperial Hall.

Meckel conçut plus de cinquante églises, la plupart dans le style néo-gothique. La grande quantité de dessins est due à ses activités en tant qu’architecte diocésain des diocèses de Limburg (1887-1892), inspecteur des bâtiments de l’archevêché en 1892, et directeur de la Construction de l’archidiocèse de Fribourg en 1894. En 1900, il ouvre avec son fils Carl Anton Meckel (1875-1938) un cabinet d’architecte à Fribourg. Ils prirent tous deux part à de nombreux concours avec leurs dessins ; jnous ne retiendrons ci-dessous que quelques commandes parmi les plus importantes.

Meckel est mort en 1910 à Fribourg où il est enterré dans le cimetière principal, dans un caveau familial dont la décoration est due à Josef Dettlinger, qui avait travaillé avec lui à plusieurs reprises.

Max Meckel était le grand-père de l’écrivain Eberhard Meckel, et de l’écrivain et graphiste Christoph Meckel.

Conception de «façade romaine», 1890.

Oeuvres architecturales majeures :

Églises :

  • 1874 : plans de Meckel pour l’église catholique de la paroisse de Saint-Josef dans Bornheim, la première à être construite à Francfort depuis la Réforme. Meckel s’est inspiré de l’ancienne église gothique Saint-Jean de la vieille ville, détruite en 1874 ; le bâtiment fut consacré en 1877, modifié de 1893 à 1895 (par Meckel), et agrandi en 1931.
  • 1877 : achèvement de l’église Saints-Pierre et Paul à Kronberg-im-Taunus ; achèvement de l’église de briques St -Josef à Francfort-Bornheim dont certains éléments (nervures de la voûte, clés de voûte et Fenstermasswerke) se sont aussi inspirés de l’église Saint-Jean
  • 1882-1885 : construction de l’église protestante paroissiale de Flonheim
  • 1885 : restauration de la basilique de Saint-Martin (Bingen)
  • 1885-1886 : construction de Saint-Boniface à Wirges (Westerwald)
  • 1886-1888 : église de Saint-Aegidius dans Obertiefenbach (Beselich)
  • 1887-1889 : église de Saints-Cosmas et Damian à Gau-Algesheim
  • 1889-1891 : Sacred Heart Church à Weimar
  • 190-1893 : Sacred Heart Church dans Oberrad
  • 1892 : projet de l’église Saint-Bernhard dans Karlsruhe, construite de 1896 à 1901 ; plans de la Sacred Heart Church de Fechenheim, édifiée de 1895 à 1896
  • 1892-1894 : Saint-Pankratius à Kirn
  • 1892-1897 : église du Sacré-Coeur de Fribourg
  • 1893-1895 : élargissement de la nef de l’ancienne Sainte-Eglise-de-Joseph dans Francfort-Bornheim
  • 1892-1906 : reconstruction de Saint-Marien, et de l’ancienne abbatiale du monastère, à Gengenbach
  • 1893-1894 : construction de Saint-Boniface à Apolda
  • 1893-1895 : édification de la Rochuskapelle à Bingen
  • 1893-1895 : construction des églises Marie Auxiliatrice dans Wiesbaden, et Saint-Josef à Hausen im Wiesental
  • 1894-1895 : reconstruction de Saint-Boniface à Emmendingen, étendue de 1911 à 1913 à la nef et à la tour
  • 1895 : extension du sanctuaire Marie Couronnement de Lautenbach
  • 1898 : construction de la cathédrale St James à Neustadt (Forêt Noire)
  • 1899-1901 : édification de l’église de pélerinage sur le Allerheiligenberg dans Lahnstein Niederlahnstein, située au-dessus de l’embouchure de la Lahn, et qui a été consacrée comme « mémorial de guerre chrétien »
  • 1902-1904 : construction de l’église de garnison catholique St-Georg à Ulm
  • 1907-1910 : église du Saint-Esprit de Bâle, avec l’architecte bâlois Gustav Doppler (achevée en 1912)

Monuments divers

  • 1885-1887 : tombe de Mgr Peter Joseph Blum dans la cathédrale de Limbourg
  • 1887 : plaque commémorative pour les défunts évêques Jacob et Johann Wilhelm Bausch
  • 1907-1909 : monument de Nicolas Copernic à Frombork (avec Julius Seitz)
  • 1910 : réfection des puits du marché dans Rottenburg-sur-le-Neckar

Références et bibliographie

  1. Bernhard Vedral : Max Meckel 1847-1910 Carl Anton Meckel 1875-1938 in Peter Kalchthaler, Walter Preker : biographies Freiburg, Promo, Freiburg 2002
  2. Archives ouest allemandes pour l’architecture et le génie civil, Université de Karlsruhe (1H)
  3. Klöster Wolfgang (éd.) : Les gens . Encyclopédie historique 2e volume M-Z (Publications de la Commission historique de Francfort . XIX, No 2) Waldemar Kramer, Franfurt am Main 1996
  4. Werner Loup Holzäpfel : L’architecte Max Meckel 1847-1910. Etude de l’histoire de l’architecture des églises en Allemagne. Josef Fink, Lindenberg 2000.

Source : Wikipédia

Avec une telle œuvre architecturale dans l’art religieux, il n’est nullement étonnant que Max Meckel ait été choisi par Catherine Filliung pour la construction de « son » orphelinat. Et quel bâtiment formidable ce fut !

Conclusion

En constatant l’ampleur du travail accompli, on reste ébahi. L’on est d’autant plus irrité par le comportement des autorités religieuses, envers la fondatrice mais aussi à l’encontre de l’établissement qu’elle avait créé, et qu’elles ne daignèrent jamais visiter. Ces serviteurs de Dieu ne firent preuve d’aucune charité envers ce qui était malgré tout une œuvre de bienfaisance, tout en bafouant « généreusement » le 8e commandement du Décalogue : « Faux témoignage ne diras Ni mentiras aucunement ».