Gravure de J.-M. Nehr : Saint-Avold en 1843

La révolte de mai 1789 à Saint-Avold

Extraits de l’article de Jean-Henri PIROT paru dans le « Cahier du Pays Naborien » n° 17

Lieu de passage entre la France et l’Allemagne, située au sein d’un espace agricole vaste et riche, Saint-Avold, peuplée d’environ 2800 habitants à la veille de la Révolution française, possède au XVIIIe siècle les traits d’une ville prospère. En effet, la présence d’un marché ouvert à un large public témoigne de cette vitalité. Ancien siège de prévôté, la cité dépend depuis 1751, administrativement, politiquement et juridiquement, du bailliage de Boulay.

Ville de garnison depuis 1737, française depuis 1766, elle se doit de nourrir en grain et pain les hommes de la troupe et les chevaux. Or, d’après les délibérations du Conseil de ville, Saint-Avold connaît à maintes reprises des problèmes de subsistance. Ainsi, profitant de la situation, boulangers et meuniers sont souvent mis à l’amende. En cette année 1789, la crise couve. Les mauvaises conditions climatiques entraînent une récolte insuffisante et, par ricochet, provoquent la hausse du prix du grain et du pain.

Début mai apparaissent quelques mouvements d’humeur à l’encontre des boulangers. Les 12 et 13 mai 1789 éclatent des émeutes, comme en témoigne le procès instruit par le Conseiller du roi au bailliage de Boulay, sous l’égide du Procureur général du roi au Parlement de Nancy. Les faits et gestes ainsi relatés discréditent la thèse communément répandue selon laquelle Saint-Avold fut épargnée des émeutes préfigurant les évènements de 1789.

Les causes de la révolte de mai 1789

Malgré de nombreuses crises frumentaires, le XVIIIe siècle apparaît, par comparaison avec le précédent, plus civilisé, plus facile à vivre. Certes, les difficultés existent et perdurent, notamment dans l’approvisionnement alimentaire et en particulier pour ce qui concerne le pain, mais la famine cède la place à la disette. Nous vivons dans une société où le pain joue un rôle vital. Il symbolise le corps et le partage du Christ et constitue la nourriture quotidienne de base. Ce dernier élément est à l’origine de l’histoire qui nous tient en haleine.

Les causes naturelles

L’abondance du pain, aliment vital, dépend évidemment de la richesse des récoltes qui, elles, sont liées à des conditions climatiques favorables. Dans le cas contraire, les moissons peuvent être endommagées par les pluies, la grêle et le froid. Les réserves de blé peuvent également être détruites par les inondations. Dans ces circonstances, le grain vient à manquer, les étals des boulangers sont moins garnis et les prix grimpent. C’est le cas en 1758 et 1759 où les officiers de la ville constatent les dégâts causés par le gel sur les fruits et grains du ban de Saint-Avold. Les édiles veulent faire reconnaître ces dévastations par des experts. En 1760, d’abondantes pluies balaient les récoltes dont les maigres réserves sont anéanties. En janvier 1763, suite à une froidure terrible « qui occasionne de la glace », les autorités municipales demandent à l’évêque de Metz l’autorisation de « faire gras à Carême prochain ». Durant cette période de la seconde partie du XVIIIe siècle, les catastrophes naturelles abondent (pluies continuelles, ouragan, orages) détruisant les récoltes et provoquant ainsi une pénurie de blé. Les pluies torrentielles des 16 et 17 juin 1788 ravagent toutes les moissons. Elles sont suivies d’un hiver 1788 très rude jusqu’en mars 1789 : la couche de neige est si importante que de nombreux travaux sont impossibles à réaliser. Poussées par la faim, des hordes de loups s’aventurent dans les faubourgs de la ville.

Les causes structurelles

Liées aux causes naturelles, elles se définissent surtout par la hausse des prix. Après la disette de 1763, Saint-Avold connaît quelques années de répit et de prospérité. Les récoltes sont bonnes, le cours du prix du blé raisonnable. Mais à partir de 1768, les tarifs flambent, le marché n’étant plus approvisionné en grain. En 1769 la quarte de blé se vend à 220 sols au début de l’année, jusqu’à 236 sols en avril. Nous sommes dans la période dite de la soudure : au sortir d’un hiver long et rigoureux, la récolte s’amenuise considérablement et la prochaine se fait attendre. L’instant est fatidique. Au fur et à mesure que la réserve de blé diminue et que l’estimation de la nouvelle moisson est connue, les prix baissent ou augmentent. Ainsi, de 1770, année de la crise dite « prémonitoire », l’une des plus longues que la ville ait jamais connues, à la veille de la Révolution Française, apparaissent de nombreuses difficultés économiques marquées par diverses augmentations du prix du grain.

Les causes humaines

La période des crises frumentaires profite à certains. Propriétaires fonciers, fermiers, seigneurs et ordres monastiques influent sur la fluctuation des prix du blé. Aux périodes de carences de l’approvisionnement en grains du marché, ils alimentent avec parcimonie ce dernier, de sorte que les prix augmentent inévitablement. Certains préfèrent conduire le grain sur des marchés avoisinants et le vendre au plus offrant. Les religieuses sont accusées de stocker du grain alors que les gens souffrent. Ces basses manœuvres épuisent physiquement et moralement une population en proie aux pires difficultés alimentaires.

Les causes politiques et administratives

Le commerce du grain est réglementé par les autorités supérieures, ducales puis royales. Elles se préoccupent de ce problème et sont soucieuses d’enrayer les disettes. Les édiles prennent tout au long du siècle un panel de mesures, néanmoins inefficaces :

  • par ordonnance du duc Léopold en 1721, interdiction est faite aux bourgeois de thésauriser du grain pour deux ans,
  • depuis la disette de 1770, la distribution du pain peut être organisée,
  • les commerçants ont l’obligation d’approvisionner en grains le marché. Contrairement à la première moitié du siècle où il est interdit d’acheter du blé en dehors de la ville, après 1750, les autorités incitent les boulangers à chercher le grain ailleurs (thèse des Physiocrates).
  • les boulangers sont autorisés à cuire du pain brun et du pain de seigle et d’en présenter à toute heure de la journée. Le prix de la miche de pain bis ne cesse de flamber. Il s’agit d’un pain rond de couleur grise, base de l’alimentation du peuple. Pourtant ces mesures ne suffisent pas et le mécontentement gronde à la veille de la Révolution.

Situation à la veille de la révolution française

La situation administrative de la ville

Depuis 1751, Saint-Avold n’est plus le siège de prévôté. La ville intègre le bailliage royal de Boulay. En 1789, le maire royal se nomme Louis Hyacinthe Gérardy. Avocat au Parlement de Nancy depuis 1773, il est secondé par son frère, Nicolas Pascal, procureur syndic, avocat au Parlement, juriste et historien local. En tant que maire, il est assisté d’un conseil de cinq officiers, de religion catholique, qui ont acheté leurs charges. Le maire achète la sienne 2400 livres de France puis est nommé par l’intendant. Les officiers sont issus de la bourgeoisie de robe et du commerce, riche et enracinée à Saint-Avold.

La situation socio-économique

Le bilan est plutôt mitigé. Les activités liées aux marchandises agricoles et du textile se portent bien. Au contraire, celles liées à l’industrie, au commerce spécialisé et aux métiers de bouche sont peu florissantes. La perte du statut de chef de prévôté handicape Saint-Avold. La ville, en cette année 1789, est endettée. Le budget de la commune est affecté par des dépenses trop lourdes générées par l’emploi d’un personnel municipal important (médecin, sage-femme, régent d’école) et par l’entretien lié à la présence de la troupe (réparation des écuries). Enfin, les taxes perçues par la ville sont impopulaires et injustes.

Les Etats Généraux

Le 28 février 1789 est lancée l’ordonnance de publication des lettres de convocation aux Etats Généraux. Les Naboriens caressent le grand espoir de voir leurs problèmes pris en compte. Quatre représentants de la ville sont désignés pour les représenter au bailliage de Boulay et y porter leurs doléances le 7 mars 1789. Il s’agit de François Nicolas Spinga, notaire et échevin municipal, Nicolas Luc Mangin, lieutenant municipal du roi, Jean Georges Solver, ancien échevin et Jean André, marchand.

La révolte de Mai 1789 et le procès

Les événements

Le 12 mai 1789

En début d’après midi, Sébastien Nicolay, manœuvre, accompagne François Carmelin, juré aux grains de la ville, pour l’aider à mesurer et ensacher du blé à la ferme de la veuve Krautt. Arrivé dans la cour de la ferme, il surprend une forte dispute entre la veuve et un homme dénommé Besclon, particulier de Nancy, à qui elle a vendu son grain. Les paroles proférées par Besclon expriment sa volonté d’en obtenir le maximum. La veuve, indignée, tient tête avant de lui céder 39 quartes de blé. Elle lui exprime pourtant son mécontentement, car elle préférerait donner son blé aux pauvres malheureux de la ville.

Une voiture garée dans la cour est chargée de sacs de blé par Nicolay et deux compères, le dit Georges, cloutier de son état, ainsi que son frère. Puis, ils se rendent tous les trois au quartier abbatial des révérends pères bénédictins où les attend une seconde charrette dont le chargement en blé est commandé par le parlement de Nancy au fermier Steinmetz, admoniateur de la mense abbatiale de Saint-Avold et Bouzonville. Dans le quartier, ils ne rencontrent personne et s’en retournent vers la ferme de la veuve Krautt située dans le faubourg de la route de Longeville.

En chemin, ils rencontrent la femme de Laurent Lempfriede dont le tablier renferme des grains, ainsi que d’autres femmes inconnues de lui. Environ deux cents personnes manifestent dans la cour. Cette émeute démarre vers les quatre heures du soir. Les deux battants de la porte cochère sont grand ouverts et paraissent même fracassés. La populace menace de casser les vitres de la maison. La raison de cette poussée de fièvre : la famine qui guette la ville.

La population sait qu’une voiture remplie de grains est prête à prendre la route de Nancy. La foule veut en empêcher le départ. Des femmes supplient la veuve Krautt de leur vendre du blé. Elle refuse en prétextant qu’il ne lui en reste que pour sa propre subsistance. La charrette pleine de sacs de grains est prise d’assaut, des garçons grimpent sur celle-ci et jettent un sac à terre. Une femme, Jeanne Juskoff, dite Lajeunesse, munie d’un couteau, fend le sac. Femmes et enfants remplissent leurs tabliers de grains. Alerté, le commandant Bazaille de la maréchaussée, se rend sur les lieux en compagnie d’un cavalier. Tout le long du chemin, il voit des enfants emporter du grain. Dans la cour, la voiture stationne entourée de la foule. Du blé est répandu à terre. Bazaille prie la population de se calmer et de se retirer. À cet instant survient le commandant Marsillac, chef du Régiment des Flandres en garnison dans la ville, accompagné du comte de Filquemont, gouverneur de Saint-Avold. Ils font décharger la voiture et transporter le grain dans les greniers de la ferme en promettant à la populace qu’il sera vendu sur le marché le lendemain. Les gens doutent de la sincérité des propos de Marsillac et menacent ceux qui déchargent la voiture. Enfin, à force de persuasion, les gens se retirent. Le commandant Bazaille et le cavalier Hetzel sont envoyés par Marsillac au quartier abbatial afin de prévenir toute émeute et d’empêcher que le blé ne sorte de la ville. L’échevin trésorier les accompagne. Dans la cour de l’abbaye, ils trouvent un chariot vide mais dans les greniers du monastère soixante-sept sacs regorgeant de blé sont découverts. Steinmetz reçoit l’ordre de déverser les sacs sur le champ. Bazaille et Hetzel restent sur place jusqu’à huit heures du soir. Puis ils s‘en vont patrouiller en ville où règne le calme.

Le 13 mai 1789

Sœur Augustine en cette fin d’après-midi traverse le jardin du couvent des bénédictines situé dans l’actuelle rue de l’hôpital. Elle remarque la présence de deux individus perchés sur le mur d’enceinte. Des bruits proviennent de l’extérieur. Elle s’en retourne vers le monastère avertir la Mère « procureuse ». Celle-ci fait vraisemblablement sonner les cloches pour alerter les autorités qu’un danger les guette. En effet, une foule pressante se masse contre la porte du jardin à l’arrière du couvent qui donne sur l’ancienne route menant à Dieuze.

La religieuse se rend sur le seuil de la porte et fait face à la population qui réclame du grain et veut empêcher qu’une carriole chargée d’un tonneau ne quitte le monastère. Elle se fait insulter. Le commandant Bazaille est informé de cette émeute et la signale au Procureur royal chargé de la police de la ville. Celui-ci accorde peu de crédit à ses propos. Pourtant, Bazaille enfourche son cheval et fonce vers le couvent en empruntant l’ancienne route de Dieuze. Devant la porte du jardin, une centaine de personnes grondent et menacent. Bazaille les persuade de se calmer, car la charrette affrétée par les moniales est destinée à quitter l’abbaye pour Metz et là d’y charger du vin. Une femme obstinée ne croit pas ces paroles, car elle remarque un sac sur la voiture. « Il s’agit d’avoine pour nourrir les chevaux, lui rétorque Bazaille ».

À cet instant apparaît le commandant du 1er escadron de chasseurs à cheval du régiment des Flandres, Marsillac, accompagné de la troupe. Il harangue la foule en lui faisant la morale. « Justice a été rendue pour cette population affamée, dit-il, le marché étant à nouveau approvisionné en blé, aussi toute révolte n’est-elle plus raisonnablement motivée ». Margot, le menuisier, lui manque de respect. Marsillac lui assène un coup de sabre dans le dos. Le coup est si violent que la lame se brise. Un dénommé Dossé insulte le comte de Brieck, major en second du régiment des Flandres. Marsillac ordonne aux chasseurs de conduire l’individu en prison, puis il se ravise et interdit à Dossé de rester dans les environs du monastère.

La population se retire. Des pierres sont encore jetées contre la porte du jardin. Deux chasseurs en faction dans le parc l’ouvrent et aperçoivent quelques hommes qui se sauvent. Des pierres lancées manquent de toucher la Mère « procureuse » et la Mère prieure. La municipalité instaure un véritable couvre-feu avec interdiction de se rassembler. Les bénédictins approvisionneront le marché en blé au rythme de dix quartes tous les trois jours. Ainsi, en alimentant le marché, les spéculateurs influeront sur la baisse des prix.

Le procès

Typologie des témoins

L’information ou l’enquête du procès fait état de 62 témoins. Pour la plupart, ils apportent le fil conducteur principal qui nous permet de relater les événements de la révolte. Le panel représentant la société naborienne semble complet. Ainsi hommes, femmes et enfants paraissent devant les officiers municipaux de la ville qui établissent faits accomplis et propos tenus par les Naboriens acteurs de ces journées épiques. L’âge des témoins varie entre 13 et 66 ans. Quelques témoins, par leurs attitudes ou leurs rôles divers, passifs ou actifs dans le déroulement des faits, transmettent des données essentielles, de nature à compléter, préciser et saisir l’esprit de ces évènements.

• Les édiles

Louis Hyacinthe Gérardy, 69 ans, maire royal, avocat au Parlement de Nancy, conseiller du roi. Il est malade, travaillé par la goutte. L’émeute lui est rapportée par Besclon, l’intermédiaire de Nancy. Garant de l’ordre et de la sécurité de ses concitoyens, il prend la décision d’envoyer la brigade de maréchaussée sur les lieux de la révolte et décrète le couvre-feu.

Pascal Nicolas Gérardy, 73 ans, n’est pas présent au moment des faits. Il enregistre officiellement les rapports qui lui sont communiqués à ce propos.

• Sébastien Nicolay

Manœuvre, quarante ans. Son témoignage abonde de détails et nous révèle une face cachée de l’histoire de ce 12 mai, notamment une discussion particulièrement houleuse entre la veuve Krautt et Besclon ainsi que son trajet jusqu’à l’abbaye des moines bénédictins où une carriole devait être chargée en grains. Sur le chemin du retour il reconnaît certaines femmes dont les tabliers sont remplis. Cette affirmation sera très importante pour la suite du procès.

• La famille Krautt

Marie d’Avranville, âgée de soixante-six ans, est la veuve d’un médecin stipendié de la ville de Saint-Avold. Son témoignage fourmille de détails. Elle évoque sa discussion avec le particulier de Nancy. Lui tenant tête, elle refuse dans un premier temps de lui vendre plus de blé que n’en fait état le contrat qui la lie avec Besclon. Elle nous transmet certains éléments sur l’origine de la vente et ses répercussions morales. Elle donne de nombreuses précisions sur les accords de la vente trois mois avant les évènements de mai : elle a reçu des arrhes, 24 louis de France, sur la vente conclue avec Besclon. Celui-ci a envoyé une voiture le lendemain de Pâques pour réclamer son dû. Or, vu les difficultés de subsistance des Naboriens, la veuve a renvoyé vide la voiture et adressé à Besclon une lettre pour lui annoncer qu ‘elle se dédisait et lui remboursait les arrhes versées. Ce dernier reviendra à la charge, muni d’une lettre du Procureur général du roi ordonnant à la veuve de respecter le contrat.

Catherine, sa fille, qui reconnaît la femme de Lajeunesse, cabaretier en ville ; elle prétend l’avoir vu découper à l’aide d’un couteau un sac de grains. Anne, deuxième fille, abonde dans le sens du témoignage de sa sœur et parle de menaces proférées par les manifestants sans autres précisions.

• La maréchaussée et le régiment des Flandres en garnison à Saint-Avold

Le commandant Bazaille dirige la maréchaussée de la ville. Son témoignage détaillé des faits qui se sont déroulés apporte une lumière nouvelle quant à la tension et l’état d’esprit qui habitent la population. Personnage important de cette crise, il intervient sur les deux émeutes et déploie une énergie ainsi qu’un sens de la modération remarquables.

Le commandant Marsillac du régiment des Flandres apparaît sur la scène et donne l’impression de vouloir « régenter » l’ensemble des acteurs y compris Bazaille. Pourtant, le commandant Marsillac arrive toujours en retard sur les lieux, contrairement à Bazaille qui intervient dès le début des hostilités afin d’influer sur le cours des évènements et de calmer les esprits frondeurs.

• Les moniales

La communauté des bénédictines est composée d’une vingtaine de religieuses dirigées par une Prieure. Ce couvent doit son origine à quelques filles dévotes qui renoncèrent au monde et s’installèrent dans l’actuelle rue de l’hôpital en 1631. Elles firent appel aux sœurs bénédictines de Saint-Nicolas pour les instruire des devoirs et obligations de la règle de Saint-Benoît. Cette congrégation possède de nombreuses propriétés et des droits aux alentours de Saint-Avold jusqu’aux portes de Forbach. Dans leurs différents témoignages, les moniales n’accablent pas la population en rébellion. Il faut noter que leurs propos concernant le déroulement des faits vont dans le même sens. Le témoignage le plus important émane de Sœur Augustine, âgée de 42 ans, qui révèle un caractère fort et peu impressionnable. Dame Victoire Albert, âgée de 65 ans, Mère « procureuse » du couvent déclare, elle, ne rien savoir !

• L’ instigatrice principale

Jeanne Georges, femme de Hannissé Juskoff, cabaretier, excite la populace, s’insurge contre le comportement de la veuve au point de faire jeter des sacs de blé à terre. Des témoins la voient fendre un sac avec un couteau. Mais ses propos, à l’opposé de ses actes, montrent son souci de ne point voler la veuve. Elle exhorte la foule à payer comptant le blé qu’elle aura pris.

La sentence

Elle est prise le 20 juin 1789 dans le cadre d’un procès qui démarre le 22 mai sur ordre du Procureur général du roi au Parlement de Nancy. Il charge de cette enquête le Procureur du roi au bailliage de Boulay. Sous la conduite de Jean Joseph Flosse, conseiller du roi au bailliage de Boulay, les 62 témoins défilent pour exposer leurs versions des évènements. L’information prend fin le 30mai. L’interrogatoire à charge se tient les 4 et 5 juin.

Le 20 juin, dans ses conclusions définitives, Jean Joseph Flosse requiert contre :

• Jeanne Georges, femme de Hannissé Juskoff

  • un emprisonnement d’un mois,
  • l’exposition au pilori sur la place publique, les jours de marché,
  • le paiement de la moitié des frais de procès et d’une amende de dix louis au profit du domaine du roi ;

• Jean Lauman et Catherine Veir

  • un emprisonnement de 15 jours,
  • un blâme sur la place publique, tête nue et à genoux,
  • la restitution de l’équivalent des blés volés, solidairement avec Jeanne Georges ;

• Jean Dossé, Anne Mairel, Jean Margot, Anne Lalèvre et Anne Schmit Un avertissement public à faire preuve à l’avenir de plus de circonspection dans leur comportement.

Dans le verdict, il est précisé que toutes les sentences seront lues et affichées dans les différents lieux publics de la ville.

Le procès nous révèle l’état d’esprit de la bourgeoisie naborienne regrettant les privilèges passés que leur conférait la commune en tant que chef de prévôté. La révolte exprime un mécontentement enraciné au sein de la population depuis des décennies ; ses origines résident principalement dans les problèmes de subsistance et les carences des autorités liées à la lourdeur d’une administration hiératique, de plus en plus centralisée depuis 1766, qui marque l’entrée de la ville dans le giron du Royaume de France.

Saint-Avold semble avoir été la seule ville de la contrée à subir des manifestations populaires. Une deuxième émeute, le 31 juillet 1789, menée par l’épouse du cabaretier Knöpfler rassemble quelques mécontents, bientôt rejoints par des hommes menés par le boulanger Jean Philippe Dossé. Tous se dirigent vers la maison du maire royal pour l’injurier et le menacer, le rendant responsable de leurs malheurs. Ainsi s’ouvre à partir du mois d’août une période trouble jalonnée par des heurts et bousculades aggravés par la disette les jours de marché. Le maire impose la loi martiale le 12 novembre 1789. Le 21 du même mois, le calme revient et cette mesure est abolie. Dans le comté de Forbach, aucune sédition n’éclate. Pourtant, les difficultés quotidiennes sont criantes, concernant en particulier le prix du pain et l’approvisionnement des grains.