Les tanneurs (ici en 1910) : un métier aujourd’hui disparu à Saint-Avold

Travail et Hierarchies sociales à Saint-Avold au XVIIIe siècle

Extraits de l’article de Philippe MARTIN et Pascal FLAUS « APPROCHE DE LA DÉMOGRAPHIE NABORIENNE » paru dans le « Cahier Naborien » n° spécial de mars 1994

Les métiers à Saint-Avold

Le travail du textile

Le travail du textile est très ancien à Saint-Avold. La première approche quantitative de cette activité est possible grâce au registre des Entrées annuelles des maîtres des hans et des gens reçus en apprentissage à Saint-Avold de 1584 à 1632. À cette époque, sur une population totale s’élevant à environ 1200 personnes, 122 artisans œuvrent autour des métiers du textile. On compte alors 9 ateliers de drapiers, 51 tailleurs couturiers et 38 tisserands.

Les guerres qui ravagent l’espace lorrain au XVIIe siècle stoppent l’expansion économique jusqu’au début du siècle suivant. Les fabrications commencent alors à se développer et la proportion des travailleurs du textile ne cesse de croître : en 1784, ils représentent 26% de la population active contre 13,5% en 1724.

À la fin du XVIIIe siècle, la ville réalise surtout du tissu. D’ailleurs près de la moitié des gens du textile sont des tisserands ou des fileurs qui achètent leur fil dans les pays germaniques, car il n’y a pas de droits de douane avec ces régions, et qui vendent leurs produits dans toute la Lorraine, y compris à Nancy. Les confections plus élaborées, comme les vêtements, sont rares et réservées à la clientèle locale : moins de 20% des artisans du textile sont des tailleurs et seuls 3,5% d’entre eux sont des drapiers.

En quelques générations, certains artisans du textile se hissent au sommet de la hiérarchie naborienne et se spécialisent dans le commerce, à l’image de la famille Delesse. Au milieu du XVIIIe siècle, Joseph est en relation avec de multiples places européennes, que ce soit Francfort, Mulhouse, Amiens, Zurich … Les bénéfices acquis sont souvent réinvestis dans l’achat de terres et son père s’était déjà porté acquéreur de 23 parcelles près de Tritteling.

Le commerce

Grâce à sa situation géographique, Saint-Avold est au centre d’une activité commerciale importante. À la fin du XVIe siècle, quatre foires se déroulent dans la ville : à Noël, à la Mi-Carême, à Quasimodo et le lundi après la Saint Adelphe. Au début du XVIIe siècle, ce calendrier s’enrichit. Les foires ont lieu le premier lundi après le 14 janvier, le deuxième lundi de la Mi-Carême, le troisième lundi après la Quasimodo, le quatrième lundi après la Pentecôte et le cinquième jour de la décollation de Saint Jean Baptiste. La Guerre de Trente Ans, là comme ailleurs, va provoquer ruines et destructions : en 1720, il n’y a plus qu’une foire qui se tient le deuxième lundi après la Mi-Carême. Saint-Avold ne retrouvera jamais l’activité passée, malgré la création d’une autre foire quelques décennies plus tard. À la fin du siècle, quand il rédige l’histoire de la ville, Nicolas Pascal Gérardy écrit : “il y a deux foires annuellement; la plus célèbre c’est celle du lundi d’après la Mi-Carême, et l’autre se tient le lundi de la fête qui est le dimanche le plus prochain de la fête de la décollation de Saint Jean Baptiste “.

À cette époque, le commerce est d’autant plus difficile que les routes sont en mauvais état. Celle qui relie Longeville à Hombourg est défoncée par les lourds chariots venus de Sarre. En 1789, le Cahier de Doléances de Saint-Avold demande l’amélioration du réseau routier et en particulier l’achèvement des travaux effectués sur les axes menant à Puttelange, à Sarrelouis et à Sarrebruck.

Pour la majorité des Naborîens, ce commerce inter-régional tient moins d’importance dans leur vie que les marchés hebdomadaires. Vers 1780, “il se tient tous les lundis et vendredis sur la place de Saint Nabor un marché pour les provisions de bouche… les lundis depuis onze heures ( se tient ) jusqu’à midi un marché de grains” affirme Nicolas Pascal Gérardy.

Une foule de petites boutiques anime aussi l’activité commerciale de la ville. En 1785, 7,5% de la population active s’occupe du négoce d’aliments, bouchers ou boulangers par exemple, et 5% sont des cabaretiers.

Le groupe social formé par les commerçants n’est pas homogène : au XVIIIe siècle, tout un monde oppose Joseph Delesse qui laisse à sa mort 38 000 livres de France et Jean-Georges Mathieu dont les héritiers ne reçoivent que 2 750 livres de France. C’est cependant parmi ces commerçants qu’on découvre les bourgeois les plus riches. Ainsi, ce sont eux qui achètent les offices municipaux, à l’exemple de Mathis Becker, maire en 1711, ou de Jean Cavillon, échevin en 1783.

Les autres activités

Outre le travail du textile et le commerce, les habitants de Saint-Avold sont occupés à de multiples activités mais aucune n’emploie plus de 12% de la population active en 1784. Malgré un long déclin tout au long du XVIIIe siècle, les tanneurs et cordonniers restent importants puisque leurs ateliers absorbent près de 11% de la main d’œuvre. Les métiers du bois et du métal sont moins bien représentés avec, respectivement, 6,5% et 4,5% des travailleurs de la cité. Ce qu’on pourrait aujourd’hui qualifier d’administration occupe 14% de la population active de la ville en 1724. Mais cela tombe à 2,5% en 1784. En effet, en 1747, Saint-Avold perd sa recette des finances et sa gruerie. La décadence est accrue en 1751 quand la cité perd le siège de la prévôté.

Le sous-sol fournit un peu de besogne aux Naboriens. Certains travaillent dans les mines de plomb du Bleiberg qui resteront ouvertes jusqu’en 1790. Près de 10% de la population active s’occupe du transport du bois nécessaire aux forges situées à Hombourg, Sainte Fontaine ou Creutzwald.

L’organisation du travail : les hans

Durant l’Ancien Régime, la majorité des professions de l’artisanat et du commerce sont organisées en corporations. À Saint-Avold, ces associations, appelées aussi Zünfte ou hans, sont dotées de statuts par les évêques de Metz dès le XVe siècle.

Le han doit à la fois préserver les intérêts de ses membres et servir l’intérêt général. Le règlement de la corporation des tanneurs et cordonniers instituée par l’évêque de Metz en 1486 est caractéristique de ce qui se passe à Saint-Avold.

L’association, placée sous le patronage de Sainte Barbe, s’occupe de la formation professionnelle. Les maîtres sont les seuls à pouvoir travailler pour leur propre compte, ouvrir une boutique et embaucher du personnel. Celui qui prend un apprenti doit verser dix escalins de deniers à l’évêque et cinq aux confrères. En outre, il offre deux livres de cire à la statue de Sainte Barbe. Le jeune élève doit rester trois ans auprès de son maître avant de recevoir son certificat d’apprentissage et de devenir compagnon.

Le han limite le nombre d’employés que peut embaucher chaque maître : un apprenti et un compagnon. Par cette mesure, on veut éviter que la profession soit envahie. Mais on tient aussi à ce que l’activité économique d’un maître ne puisse surpasser nettement celle des autres. L’entrée dans le han n’est pas libre. Les postulants doivent payer quatre livres à l’évêque de Metz, deux à la confrérie et offrir trois livres de cire à la statue de Sainte Barbe. Si l’apprenti est fils légitime d’un maître, il bénéficie d’importants avantages : il ne verse qu’une livre de deniers aux confrères et une livre de cire à la sainte.

Un autre objectif du han est de surveiller le travail des artisans. Les statuts de l’association précisent les modalités pour acheter du cuir ou le travailler. Il est indiqué, par exemple, qu’ “il faut que les souliers à courroies fendues soient doublés deux fois et bien cousus en dedans et en dehors et sur le talon”. Cette réglementation doit protéger le consommateur puisque des amendes sont prévues contre tous ceux qui vendraient des produits de mauvaise qualité. Elle doit aussi éviter la concurrence entre les artisans de Saint-Avold qui doivent d’ailleurs s’entendre quand de grosses commandes sont en jeu.

Le han défend aussi ses membres et tente de maintenir le monopole dont ils jouissent en partie à Saint-Avold. Les personnes étrangères à l’association ne peuvent vendre ou produire de cuir, de chaussures et aucune autre marchandise de ce type dans la ville sauf le lundi, jour de marché. Mais pour qu’ils ne puissent pas rivaliser avec les fabricants naboriens, ils sont obligés de se plier à des horaires draconiens et ne pourront se défaire de leurs marchandises qu’après 13 heures.

Tous les hans de Saint-Avold ont des statuts similaires à celui-ci, même si le temps d’apprentissage peut varier de l’un à l’autre. Pour surveiller leur application, tous les ans chaque corporation se dote de représentants. Choisis parmi les maîtres, ils sont élus par l’assemblée générale des confrères pour gérer les biens de l’association, faire respecter ses privilèges, surveiller l’exercice de ce métier dans la ville et régler les conflits qui pourraient éclater entre les membres.

Les corporations s’inscrivent de manière essentielle dans le paysage social et économique de la cité, d’autant plus que leur rôle est publiquement reconnu le mercredi des cendres. A l’occasion de cette fête “elles défilent de l’hôtel de ville au Felsberg après avoir été inspectées par le maire, les échevins et le bailli ou gouverneur”.

Chaque han est doublé d’une confrérie religieuse qui permet à tous les membres de se réunir une fois dans l’année pour honorer leur saint patron et pour faire un grand banquet. Les boulangers prient Sainte Catherine, les tanneurs et les cordonniers Sainte Barbe, les couturiers Saint Michel, les tailleurs Saint Pierre et Saint Paul, les bouchers Saint Nicolas. En plus de cette cérémonie annuelle, les membres de la corporation doivent assister à de nombreuses messes. Si nous prenons l’exemple de la corporation des bouchers fondée le 29 septembre 1486, nous nous apercevons qu’elle doit faire dire quatre messes, tous les ans aux Quatre Temps, à l’autel Saint Nicolas situé dans l’église paroissiale. Dès qu’un confrère décède, tous les autres membres sont priés d’assister à l’office mortuaire célébré pour le repos de l’âme du défunt. La même obligation est faite pour le décès de l’épouse ou de l’enfant d’un membre du han.

La fortune naborienne

Les hierarchies sociales

Pour connaître les hiérarchies sociales, nous disposons des documents fiscaux. Malheureusement, cette source n’est pas parfaite à cause des nombreux exemptés. Si nous observons le rôle de la subvention de 1722, nous remarquons qu’il y a 297 foyers qui paient cet impôt et 62 qui en sont exonérés, chiffre auquel il faudrait rajouter les clercs. Il s’agit bien sûr des quatre nobles, mais aussi de membres du Tiers Etat, un chirurgien, car il a 10 enfants, les nouveaux mariés, la sage-femme, le bourreau, les deux gardiens du troupeau communal, trois personnes employées par le duc de Lorraine, sans oublier celui qui a battu le “papegay” (c’est-à-dire le vainqueur du concours de tir consistant à atteindre le “papegay”, un oiseau fixé sur un mât)… Mais la majorité des exempts ne sont pas des privilégiés, ce sont les 31 indigents qui ne vivent que d’aumônes.

Parmi les 297 foyers fiscaux imposables, on observe de très grandes inégalités. Plus de 70% de la population paie moins de 10 livres, somme qui représente l’imposition moyenne en 1772. Tout au bas de l’échelle sociale, on trouve les 59 familles qui paient 2 livres ou moins : elles représentent 20% des Naboriens mais ne paient que 2,5% de l’imposition versée par la cité.

En haut de la hiérarchie sociale, on découvre les principaux imposés de Saint-Avold. Ils sont 4,7% des habitants à payer plus de 40 livres de subvention, versant ainsi plus de 27% des impôts de la ville. Les deux bourgeois les plus imposés, avec plus de 92 livres, sont le cabaretier Jean Glade et le tanneur Mathis Becker. Quel écart entre eux et Michel Metzinger ou Etienne Germain, par exemple, qui ne survivent que grâce à la charité publique !

Il est impossible de faire un tableau figé de la société naborienne en 1722 : chaque groupe professionnel possède sa propre hiérarchie. Si le quart des 81 journaliers de la ville paient 2 livres ou moins, certains, comme Noël Lacroix ou Nicolas Reder, paient plus de 9 livres. En revanche, les artisans semblent plus aisés. Sur les 35 familles travaillant dans le domaine du textile, seules 4 paient moins de deux livres. Mais quelle différence entre le tisserand Gaspart Nimbourg, ne versant que 1 livre et 12 sols et son homologue Gaspart Seipel qui s’acquitte de 28 livres 16 sols. La même disparité se retrouve dans chaque métier. Au sein du han des tanneurs et cordonniers se côtoient Mathis Becker qui paie 92 livres 16 sols et Valentin Dour qui ne règle que 1 livre 12 sols.

Si les documents fiscaux nous permettent d’aborder les hiérarchies sociales dans la cité, ils ne présentent pas les habitants les plus privilégiés et ne nous montrent pas comment vivent les Naboriens de l’Epoque Moderne. Pour aborder leur patrimoine et découvrir leur vie quotidienne, nous devons recourir aux inventaires après décès ou aux partages qui figurent respectivement dans les séries B et E des archives départementales.

Lors du décès d’un chef de famille, s’il y a des enfants délaissés de moins de 25 ans, c’est-à-dire mineurs, un juge, accompagné de son greffier, se rend dans la maison du défunt. Il désigne tout d’abord un tuteur, qui est le plus souvent l’époux survivant. Puis, avec l’aide de trois personnes extérieures à la famille, il procède à l’estimation des biens du défunt. Les inventaires sont aussi dressés lors du remariage d’un époux afin que les droits des enfants du premier lit ne soient pas négligés.

Ces inventaires ne sont pas exempts de critiques : ils ne sont pas toujours complets, ils ne concernent souvent que les catégories les plus riches de la population. Ces documents sont cependant indispensables pour l’historien car ils donnent un aperçu de la composition des fortunes mobilières et immobi-lières. Certains nous permettent même de pénétrer dans l’intimité de nos aïeux en nous invitant à une véritable visite commentée des intérieurs.

Afin de mieux pénétrer les différents milieux sociaux vivant à Saint-Avold au XVIIIe siècle, nous avons choisi de présenter rapidement trois inventaires. Le premier nous mettra en présence d’un sergent, le deuxième d’un cabaretier et le dernier du seigneur de Valmont.

Nicolas l’écrivain

Nicolas l’Écrivain est sergent de la prévôté de Saint-Avold, c’est-à-dire qu’il exerce des pouvoirs de police, quand il meurt en 1731. Il laisse à ses héritiers un office de sergent, dont la valeur est difficile à apprécier, et deux maisons, une située à Bouzonville, l’autre à Saint-Avold. Ses biens mobiliers sont estimés à 847 livres.

L’intérieur de Nicolas l’Écrivain comprend deux armoires, cinq lits, trois coffres, un bahut, quatorze chaises, quatre miroirs et des tapisseries. A travers le descriptif de ces objets aucun souci décoratif n’apparaît. Ceux qui procèdent à l’inventaire sont surtout préoccupés de vérifier le bon état du mobilier pour savoir s’il peut encore être utilisé. La même attitude se remarque lors de la description de l’habillement. Nicolas laisse sept chemises, trois pantalons, trois cravates, trois paires de gants, deux manteaux…

Derrière cette énumération se devine un personnage qui a la volonté de se distinguer des simples paysans ou des pauvres artisans, mais dont les revenus demeurent modestes. L’inventaire après décès note souvent que ses biens sont en mauvais état, Ainsi, on découvre qu’il a “deux mauvais lits et une vieille couverture,… un habit de drap blanc usé, … deux vieilles vestes et trois paires de vieilles culottes, …”. Même les réserves alimentaires laissées sont minimes puisqu’elles ne sont estimées qu’à 45 livres.

Georges Schiltz

En abordant le dénombrement des biens du cabaretier Georges Schiltz, on entre dans une catégorie sociale plus aisée. Ce personnage est mort le 14 mars 1735 mais l’inventaire n’est dressé que le 26 octobre 1736 quand sa veuve, Catherine Neremburger, décide de se remarier. Cette procédure est demandée par les membres de la famille qui tiennent à préserver Barbe et Agnès, les enfants du premier lit.

Outre une grande maison et quinze jours de terre, Georges Schiltz laisse des biens importants. Comme de nombreux cabaretiers, il faisait partie d’une élite sociale qui s’est enrichie par le passage des commerçants, par les foires hebdomadaires et par l’assiduité des Naboriens autour de ses tables.

La fortune laissée par le cabaretier est difficile à apprécier car l’inventaire ne mentionne pas de vêtements. Ils ont sans doute été distribués aux héritiers dès le décès. Les biens présentés montrent la richesse de la succession. Il en a sans doute été de même du mobilier puisque l’inventaire ne comprend que des lits estimés à 175 livres. La famille a déjà du se partager les armoires, les bahuts, les tables ou les chaises.

Malgré tout, on se trouve en présence d’un personnage qui jouissait de son vivant de grande aisance. L’importance de sa vaisselle d’étain le prouve. Il possédait “six plats, deux cruches d’étain, une moutardière, trois écuelles, une saladière, six salières…”. Les réserves alimentaires et les animaux laissés sont importants : 2 121 livres. Cela comprend en particulier vingt quartes de seigle, vingt d’avoine, huit d’orge et huit de blé. Ces grains sont consacrés aux nombreux animaux du cabaretier : neuf chevaux, quatre poulains, trois vaches et quatre gros porcs. Ces céréales sont aussi destinées à la vente : achetées à bas prix lors de la récolte en automne ou venues des champs du cabaretier, elles seront vendues en été quand les prix augmentent.

Les héritiers de Georges Schiltz peuvent profiter des deux trains de culture que laisse le cabaretier. Ces charrues, ces attelages et ces animaux sont en effet loués aux paysans lors des gros travaux agricoles.

Anne de Forget de Barst

Née le 26 août 1684, Anne Christine de Forget épouse, le 16 août 1711, Jean Philippe de Cailloux, écuyer, seigneur de Valmont, de Barst et de Lesse. Elle meurt le 16 juillet 1727. Quand Gabriel Stock, procureur du duc de Lorraine et juge tutélaire au bailliage d’Allemagne, procède à l’inventaire de ses biens le 2l août, il se désintéresse évidemment totalement de la fortune de son mari.

Anne de Forget laisse à ses héritiers un château non désigné par son nom, mais il s’agit sans doute du château Furst à Valmont. Son importante fortune mobilière, qui s’élève à 3 455 livres, est en partie composée d’importantes réserves alimentaires destinées à être revendues quand le prix des céréales aura augmenté.

L’inventaire des biens est particulièrement intéressant car il décrit les pièces du château les unes après les autres. La première salle située à droite en entrant comprend : une douzaine de chaises, deux fauteuils, une grande glace de bois doré sculpté, une table, deux guéridons, un vieux coffre de bois et une armoire contenant du linge, serviettes ou nappes. Aux murs sont accrochés deux médiocres portraits, représentant la maîtresse de maison et son époux, une dizaine de petits cadres, un crucifix de plâtre et une tapisserie de Bergame.

On parcourt ainsi toute la bâtisse et c’est le cadre de la vie quotidienne de cette riche famille qui se présente à nous. Partout on remarque le même souci de s’entourer d’objets luxueux. Les murs sont décorés de tableaux, certains représentant des membres de sa famille, d’autres des saints ou des scènes religieuses. Plus encore que la décoration, ce sont les habits, en particulier ceux de damas, qui traduisent son goût. Sa vaisselle est aussi très abondante. Dans la cuisine, on trouve huit douzaines d’assiettes et vingt quatre plats d’étain.

Indirectement la vie des domestiques apparaît dans cet inventaire. Une servante vit dans une petite pièce près de la cuisine dont la fenêtre ouvre vers l’Est. Le mobilier se compose d’une “espèce de couchette posée sur des tréteaux garnie de deux lits de plume …. d’une très vieille armoire de bois de sapin “.

Conclusion

La population de Saint-Avold au cours de l’Époque Moderne est tout à fait révélatrice de ce qui se passe dans la reste de la France au même moment. Baignant au sein d’un monde très christianisé et encore lié aux travaux de la terre, les Naboriens calquent leurs comportements démographiques à la fois sur le calendrier religieux et sur celui des récoltes. Même l’évolution générale de la population est conforme à ce qui existe ailleurs. À un beau début du XVIIe siècle succède une époque catastrophique et il faudra des décennies pour rattraper les pertes démographiques. Phénomène qui est observé dans le reste de la Lorraine.

L’originalité de Saint-Avold tient surtout à la persistance de crises au cours du XVIIIe siècle. Même si elles perdent de leur importance, leur répétition est caractéristique d’une ville de frontière fréquentée par les marchands de l’Europe Centrale et les troupes. Souvent, on a l’impression que le calendrier des épidémies est plus proche de ce qui se passe en Allemagne que de ce que connaît la France. Cette hypothèse reste encore à être étayée par une étude systématique des perturbations à l’Epoque Moderne.

Nous n’avons pas la prétention d’avoir épuisé le sujet. Nous avons participé à l’ouverture d’un chantier et nous souhaitons que d’autres études suivent la nôtre. La reconstitution des familles en partant des registres paroissiaux ou l’analyse des crises frumentaires en observant les registres des mercuriales : les travaux ne manquent pas, d’autant plus que les fonds conservés à Saint-Avold sont d’une exceptionnelle richesse. Toutes ces études à venir devraient permettre de donner sa véritable profondeur à l’histoire de Saint-Avold. Celle de ses habitants anonymes, eux qui sont nos ancêtres à la fois si proches de nous et si différents.