L’Apocalypse

étude sur les pertes démographiques de la région pendant la guerre de Trente Ans.

Extraits de l’article de Xavier Blum paru dans le « Cahier Naborien » numéro 4

Au cours de la décennie 1618-1628, alors que dans le Saint Empire Romain Germanique, le cataclysme de la Guerre de Trente Ans (1618- 1648) faisait rage, la population de la seigneurie de Hombourg-Saint-Avold poursuivait une croissance commencée aux alentours des années 1580-1585 et depuis lors quasi continue, exception faite des dix dernières années du XVIe siècle, où des passages de troupes et des épidémies avaient momentanément interrompu l’essor démographique.

Si le mouvement s’était nettement ralenti par rapport à la période qui s’étend de 1585 à 1618, il n’en restait pas moins perceptible. À Saint-Avold, ville principale de la seigneurie, la pression démographique était devenue telle qu’en 1622, le Prince de Phalsbourg fit dresser un plan d’une « ville noefve » qu’il désirait faire bâtir pour agrandir l’agglomération ancienne, devenue trop étroite. En juillet 1625, les habitants arguant du fait que la population augmentait « de jour en jour » et s’entassait à raison de plusieurs familles par maison, au risque de faciliter les épidémies, obtenaient la permission de faire construire « un faubourg proche de la ditte ville sur le chemin tirant à Longeville … ».

Dans les villages de l’avouerie, la crainte de voir s’implanter de nouvelles localités au détriment des forêts poussa les habitants à réagir. En août 1628, les communautés de Macheren, Petite-Ebersviller et La Chambre obtinrent, moyennant le versement annuel de 100 quartes d’avoine, la garantie des droits de vaine pâture, glandée et affouage et l’assurance « qu’il ne sera construit un nouveau village au bois de Fresne ».

Prélude au désastre (1630-1634)

Les années 1628 à 1630 marquèrent la fin de la progression démographique de la région de Saint-Avold. Favorisées par les mouvements de troupes, les épidémies de peste et de typhus atteignirent la Lorraine.

La position stratégique de l’office de Hombourg prédisposait celui-ci à loger les troupes de passage et surtout en quartiers d’hiver. Or, à partir de la fin de l’année 1631, la seigneurie dut entretenir tous les ans des soldats de toutes nationalités. À l’automne 1631, les troupes de Louis XIII prirent leurs cantonnements à Saint-Avold et dans les environs où elles restèrent jusqu’au printemps. À la même époque, des régiments suédois logeaient dans la seigneurie de Sarreguemines. Ces armées, qui selon la coutume, traînaient à leur suite une infinité de valets, de femmes et de non-combattants vivant aux dépens des pays où elles séjournaient, étaient des vecteurs tout désignés pour les épidémies. Les Suédois, qui avaient parcouru l’Empire, apportaient sans doute dans leurs bagages bon nombre de maladies qui se propagèrent sans mal dans tout le bailliage.

Entre 1628 et 1631-1634, la ville de Saint-Avold perdit les 3/l0e de sa population. En septembre 1634, le nombre total des feux était à peu près égal à celui de 1585 ! Deux à trois années avaient suffi pour réduire à néant près d’un demi-siècle de croissance démographique. Dans le village traditionnellement le plus peuplé de la seigneurie, La Chambre, la chute atteignait 37 % entre 1628 et 1632 !

L’apocalypse (1635-1654)

L’année 1635 marqua le début de terribles épreuves pour la population de la Lorraine en général et celle de la seigneurie de Hombourg-Saint-Avold en particulier. À la fin du mois de juin, les Suédois, alliés des Français et commandés par Bernard de Saxe-Weimar s’étaient échelonnés depuis Kaiserslautern et Sarrebruck jusqu’aux environs de Fénétrange où ils se préparaient « puissamment à bien attaquer et bien se défendre » contre les troupes impériales alliées du Duc de Lorraine et sous les ordres du général Gallas. Le 22 juin, le sieur de Feuquières représentant de Louis XIII arriva à Saint-Avold où Weimar le rejoignit le 28 dans le but d’agir de concert contre les Impériaux.

Jusqu’à la fin de juillet, les Suédois, dont le camp était installé près de Hombourg-Haut sur la Sauerbach exercèrent d’innombrables exactions aux dépens des habitants de la région. Non contente d’imposer aux communautés déjà lourdement endettées et démographiquement affaiblies, des réquisitions de vivres et de fourrages, l’armée suédoise forte d’environ 10 000 hommes dont beaucoup de cavaliers, incendiait les villages et massacrait leurs habitants. C’est à cette époque que Hombourg-Bas fut mis à feu et à sang. Pour un cas connu de village incendié, combien d’autres localités subirent le sort de Hombourg-Bas ?

La situation devenait intenable pour les habitants des alentours des campements suédois. La ville de Hombourg, point stratégique doté de remparts, constituait un lieu de refuge traditionnel pour les sujets de l’avouerie. En outre, Feuquières qui tenait à limiter les dévastations dans des territoires qu’il considérait comme plus ou moins rattachés définitivement à la France, avait envoyé aux habitants de Hombourg un régiment commandé par le colonel Vilteisen et une autre compagnie « pour les conserver et défendre de la force de l’armée suédoise campée auprès de ladite ville ». La présence de ces faibles troupes destinées à tenir en respect les dangereux alliés qu’étaient les Suédois constituait une protection plus psychologique que réelle, mais néanmoins importante pour les populations désemparées. Aussi, de toutes parts, des villages entiers arrivaient à Hombourg « avec tous leurs biens, chevaux, vaches, porcs, femmes et enfants ». C’étaient les habitants de Macheren, Seingbouse, Béning, Henriville, Farébersviller, Cocheren, Folkling, Emmersviller, Guenviller, Betting, Barst, Cappel, Holbach, Rosbruck et Théding, Petite-Rosselle, Merlebach, Freyming, Marienthal, L’Hôpital et Forbach. Certaines de ces localités ne faisaient pas partie de la seigneurie, tandis que des villages en dépendant, comme La Chambre, ne sont pas cités. Il est vraisemblable que des communautés aient trouvé refuge derrière les remparts de Saint-Avold.

À la lecture de cette énumération de noms de lieux, une remarque s’impose d’emblée : au début de l’été 1635, les ravages des maladies ainsi que les massacres des soldats avaient déjà éliminé bon nombre d’habitants de la région. En effet, on s’expliquerait mal sans cela, comment la ville de Hombourg, relativement exiguë, ait pu contenir les familles et le cheptel d’autant de localités.

Le 24 juillet 1635, l’armée française de secours sous les ordres du Cardinal de la Valette arriva à Freyming, puis se joignit le 27 du même mois à Sarrebruck aux Suédois de Bernard de Saxe-Weimar. La jonction faite, les Franco-Suédois s’enfoncèrent dans l’Empire en direction de Mayence, à la poursuite de Gallas. La seigneurie de Hombourg-Saint-Avold était momentanément débarrassée de ses terribles hôtes. Mais un autre fléau avait refait son apparition : la peste.

Elle prit en 1635 des proportions encore jamais atteintes lors des années précédentes. Dans la région de Saint-Avold, la maladie commença à sévir dès début d’août, juste après le départ du gros de l’armée suédoise. À Rémering-lès-Puttelange, la première victime succomba le 8 août, suivie d’une grande partie du village qui eut à déplorer entre août et septembre 73 morts. Dans toute la Lorraine, les fosses communes débordaient de cadavres, des familles entières disparaissaient en quelques jours ou quelques semaines. La petite ville de Boulay perdit 206 de ses habitants entre le 22 octobre 1635 et le 12 avril suivant.

Un témoin de cette époque tragique, le curé d’Ottonville, notait dans sa chronique : « Auparavant on avait des procès pour acquérir et posséder des terres; cette année on se disputa avec acharnement l’espace nécessaire pour un tombeau. Partout les cimetières furent remplis et agrandis, quoique souvent à Boulay 10 ou 12 corps fussent inhumés dans une seule fosse. Dans les villages, un grand nombre attendirent pendant 8 jours, beaucoup attendirent même des mois entiers et dans quelques maisons 4 ou 5 cadavres restèrent sans sépultures. La peste, la famine, la fièvre de Hongrie et d’autres calamités semaient la mort de tous côtés; le plus robuste était par cela même plus violemment atteint et plus rapidement enlevé. Celui qui apparaissait avoir échappé une fois à la maladie, ne tardait pas à succomber après 3 ou 4 rechutes ».

La maladie s’aggrava encore à l’automne, lorsque l’armée de La Valette, en retraite et talonnée par Gallas, se replia vers Metz en passant par le Nord de la Lorraine, au cours de la dernière semaine de septembre. L’armée du Cardinal rapportait de son séjour en Allemagne, des « flux de sang » et des « fièvres contagieuses et chaudes ». Ces maladies s’ajoutèrent à la peste et vinrent elles aussi prélever leur tribut de vies humaines. À vrai dire, la mort moissonnait abondamment parmi les Lorrains à l’organisme affaibli par l’absorption de nourritures immondes en raison des prix prohibitifs du blé et des autres denrées. À Metz, vers la saint Luc 1635 (18 octobre), la mortalité était telle que chaque jour on enterrait 300 personnes, sans compter les protestants et les soldats. Rien qu’en novembre, 6 000 bourgeois, hommes, femmes et enfants moururent. La municipalité avait du mal à recruter des fossoyeurs en nombre suffisant, et il fallait leur verser « force argent et du vin » qu’ils exigeaient pour prix de l’enlèvement et de la mise en terre des innombrables cadavres qui empestaient l’air.

Comme si ces malheurs ne suffisaient pas, les soldats de Gallas achevaient de détruire tout ce qui avait été épargné par les Suédois. Malheur à ceux qui osaient leur tenir tête ! En septembre 1635, alors que les Impériaux pillaient le village de Hellering (Hombourg-Haut), le sieur de Bourgogne, seigneur du lieu, ses fils, domestiques et tous les habitants de la localité réfugiés dans la maison-forte, tirèrent quelques coups de feu sur les soldats. Ces derniers, en représailles, massacrèrent tous les occupants du château et mirent le feu à la bâtisse.

L’œuvre la plus connue de Jacques Callot, dessinateur et graveur lorrain (1592 - 1635), est une série de dix-huit eaux-fortes intitulée “Les Grandes Misères de la guerre” et évoquant les ravages de la Guerre de Trente Ans.

La ville de Saint-Avold qui comptait une garnison française fut assiégée à la même époque (vers le 28 septembre). Tous les villages des alentours furent méthodiquement mis à sac avant d’être incendiés, les mercenaires emportant les « bled, aveine, hardes, bestailles, tout de questoit dedans (les maisons)… les bleds en grange, en paille et les menoit où ils estoient campé… ». Les soldats de Gallas et même ceux du Duc de Lorraine, originaires pour les plus tristement célèbres d’entre eux, de Croatie (les « Cravates » ou « Cravacs ») et de Hongrie, se livraient sur les populations à des cruautés épouvantables. « Tous les hommes, femmes, filles, enfants qu’ils rencontroient, écrit Bauchez, le greffier de Plappeville, ils les mettoient à martir, les ung couppoient la langue, les bras, les génitoires, les autres ils les pendoient, d’autres ils leur faisoient boire du purin de vache 3 ou 4 seaulx, puis ils saultoient sur le ventre des pauvres patients pour les crever. Jamais Attylas ny fut plus cruelle que ces tirans cravaces ». Le curé d’Ottonville déplorait pareillement que l’on « entendoit parler de tous côtés que de jeunes filles violées, de mères assassinées et d’hommes mis à la torture ».

Ce cauchemar que vivaient les habitants de la seigneurie comme tous les autres Lorrains et tout spécialement ceux du Nord, se dissipa quelque peu à partir de la fin de novembre 1635, lorsque Gallas dut battre en retraite et se retirer dans l’Empire. Cependant, la peste et les maladies persistèrent tout au long de l’année 1636, emportant des centaines de rescapés de l’épouvantable année 1635. Le prieur de l’abbaye de Saint-Avold remarquait qu’en janvier-février 1636 « les maladies de fiebvres en ont emporté bon nombre en plusieurs lieux et assez soudainement, ce qui faict conjoncturer ces fiebvres estre pestilentielles et craindre qu’au printemps elles ne se changent en vraye peste, comme l’on commence déjà à le ressentir ». Plus loin, lorsque ses pressentiments se confirmèrent, il ajoutait : « La peste s’est jectée en plusieurs lieux comme compagne inséparable de la faim, de la guerre ».

Au moment des moissons et de la vendange (août-septembre), « la mortalité parmy la Lorraine estoit sy véhémente tant par la famine qui y estoit et la pauvreté, qu’il y eust les trois parties (3/4), hommes, femmes et enfants morts qui se mangeoient le plus souvent par les bestes brutes ».

J. Bauchez précisait que « Plume ni mains ne sçauroient descrire le malheur et la pauvreté qui estoit pour lors en celluy pays (Lorraine)… on ne rencontroit que dans le corps mort (= on ne rencontrait que des cadavres), tout fut abandonné, les villaiges et les maisons. On faisoit 5 à 6 lieues (20 à 30 km) de pays sans trouver de villaiges, gens, ni bestes ».

Selon un document de 1643, les habitants de la seigneurie de Hombourg-Saint-Avold auraient encore payé les rentes seigneuriales et les impôts ducaux en 1636. C’était vrai en tout cas pour Saint-Avold où les bourgeois avaient acquitté l’Aide Saint-Rémy (payée le 1er octobre) jusqu’en 1636. À Hombourg-Haut, ce fut également cette année-là qu’on versa les redevances pour la dernière fois avant 1648. En tout état de cause, bien des villages de la seigneurie furent dès 1636 incapables de payer quoique ce fût comme impôt.

Tableau de l’évolution de la population de l’office de Hombourg-Saint-Avold de 1628 à 1649 Les chiffres sont donnés en conduits (foyers) sauf indication contraire comme à L’Hôpital

Comment se présentait le tableau de la population de la région de Saint-Avold à la fin de l’année 1636 ? En l’absence de chiffres précis, étant donné que toute vie administrative avait cessé, il faut se tourner vers les témoignages des chroniqueurs déjà cités. Bauchez, témoin digne de foi, bien renseigné et en contact direct avec les misères de son temps, affirme qu’au cours des années 1635 et 1636, les Suédois et les Impériaux auraient massacré un tiers de la population de Lorraine. Puis la famine et les maladies auraient emporté les 3/4 des survivants. Si l’on tient compte des pertes démographiques déjà éprouvées entre 1628 et 1634, vraisemblablement plus des deux tiers des habitants recensés en 1628 étaient morts de la conjugaison des épidémies, de la faim et des massacres. La survie des rares rescapés tenait du miracle, encore n’étaient-ils qu’au commencement de leurs épreuves !

À l’exception de Saint-Avold et de Hombourg-Haut, toutes les localités avaient été complètement ou en grande partie incendiées, les moulins, pressoirs et « usynes » de la seigneurie étaient hors d’usage. D’ailleurs à quoi auraient-ils pu servir puisqu’il n’y avait plus de blé à faire moudre et que toute vie économique était impensable dans un pareil contexte.

En raison du peu d’espoir de voir la situation politico-militaire s’améliorer, il devenait de plus en plus évident que la seigneurie n’avait aucune chance de bénéficier d’un répit lui permettant non pas de se rétablir, car les dévastations matérielles et la saignée démographique étaient trop grandes, mais simplement de reprendre son souffle. Dès lors, les survivants se scindèrent en deux catégories : d’une part ceux qui décidèrent de rester sur place, vivotant misérablement mais refusant de quitter leur patrie et d’autre part, ceux qui préféraient « s’absenter » et attendre dans un exil provisoire, le retour de la paix. De terribles souffrances les attendaient tous.

La survie des habitants de l’office

C’est bien de la survie et non pas de la vie de ceux qui choisirent de rester qu’il faut parler. En effet, il n’y eut pour ainsi dire jusqu’en 1654-1655, pas une seule année au cours de laquelle des troupes françaises, lorraines, impériales ou suédoises ne traversèrent la seigneurie de Hombourg, pour le malheur des rares habitants. La ville de Saint-Avold, plusieurs fois prise et reprise par les Français, les localités des environs, les seigneuries voisines, ne connurent aucun répit. Les comptes pitoyables rendus au cours de ces années par les receveurs de l’office ne sont qu’une litanie de plaintes au sujet des violences, pillages, réquisitions en tous genres exercés aux dépens des communautés par les troupes la plupart du temps à cheval qui sillonnaient les campagnes enlevant les biens et les personnes ou les régiments en quartiers d’hiver à Saint-Avold.

Suite à une succession d’hivers longs, rigoureux ou pluvieux, la famine faucha des familles entières.. Saint-Avold qui comptait 250 feux en 1634 tomba en janvier 1638 à 80 feux dont 45 disparurent très rapidement. En quatre ans, les 8/10e des habitants de la ville étaient morts pour la plupart, en fuite pour quelques-uns d’entre eux.

Un tableau des feux dénombrés dans la seigneurie entre 1643 et 1662 permet de mieux apprécier la dépopulation de la région à cette époque.. En 1652, les communautés comptaient des feux de réfugiés (rf.) qui étaient sans doute des personnes d’autres seigneuries qui s’étaient fixées momentanément dans l’office car les territoires d’où elles venaient étaient encore plus dévastés que la région de Saint-Avold. Les chiffres de Saint-Avold pour 1648, 50 correspondent à l’« Aide Saint-Rémy ». Les rôles de 1628, 49, 52, 55 et 62 constituent des documents fiables, souvent nominatifs et indiquant les francs (chanoines de Hombourg, meuniers, pauvres, etc.).

À cet égard, les dénombrements de 1655 et 1662 sont d’un grand intérêt pour l’histoire de la population de la région durant la période ultime des « grandes guerres » du XVIIe siècle. En ce qui concerne les chiffres de 1643, 48, 50, ils doivent donner une image relativement fidèle du nombre réel des feux qui subsistaient. La différence entre le total des conduits imposables et des conduits existants reste un problème qui n’entre pas ici en ligne de compte d’une manière déterminante. En 1643, le relevé des conduits est avant tout un dénombrement effectué par le représentant de la Princesse de Phalsbourg pour chiffrer l’ampleur de la dépopulation. Les relevés des années suivantes participent de la même optique, avant tout plus démographique que fiscale.

Tableau de l’évolution de la population de l’office de Hombourg-Saint-Avold de 1650 à 1662 (rf = réfugiés venus d’autres seigneuries)

Les receveurs, conscients de la misère générale, en tenaient largement compte et se contentaient souvent, comme dans le cas de L’Hôpital et de pratiquement toutes les localités, de mentionner le nombre dérisoire des conduits et de les exempter en raison de leur extrême pauvreté.

Les sujets de la seigneurie en exil

En octobre 1640, les habitants de Saint-Avols déploraient qu’en raison des misères de la guerre « une bonne quantité de leur bourgeoisie depuis un an en ça et plus se sont absentés du dit Saint-Avold ». Il est probable que la phase la plus importante de l’émigration se situe entre 1635 et 1640. Après cette date, il put y avoir encore des départs, mais très faiblement alimentés car la seigneurie était pratiquement déserte. En 1653, Bigot remarque, toujours en raison des dévastations exercées par les soldats, que « la plus grande partie » des habitants quittaient et abandonnaient la région « pour chercher à vivre où ils peuvent ».

Vers quel pays, quelle région « les troupes de pauvres gens de Lorraine » se dirigeaient-elles en cette fin d’année 1635 et les années qui suivirent ? Les principaux points de chute se répartissent de la façon suivante :

  1. Le Luxembourg. Relativement peu éloignée de la région de Saint-Avold, la forteresse de Luxembourg attira très tôt des réfugiés de tous horizons. En janvier 1636, écrit François Lascombes, « la ville est bourrée de réfugiés qui y vivent dans des conditions incroyables au point qu’il en meurt une vingtaine par jour de froid et de faim ».

  2. La vallée du Rhin : Cologne, Coblence, Mayence. L’autre grand axe d’exil était la Rhénanie. Comme toujours, ce sont les villes qui attirèrent les Lorrains. À vrai dire, les campagnes étaient, comme en Lorraine, ravagées et sans protection; les murailles des villes inspiraient de ce fait davantage confiance. Cologne fut indéniablement une métropole qui compta entre 1637 et 1662 une importante colonie de réfugiés lorrains et tout spécialement des habitants de la région de Saint-Avold - Forbach. Les deux villes de Mayence et Coblence, situées sur le Rhin au sud de Cologne accueillirent également; quoique dans une moindre proportion, des réfugiés de notre région.

Mais à côté des grandes villes, de petits foyers de peuplement lorrain avaient essaimé au hasard des itinéraires. Composés de quelques familles, parfois d’une seule, ils sont très difficiles à dénombrer et à identifier étant donnée l’orthographe souvent phonétique ou fantaisiste dans laquelle ils sont mentionnés.

Jacques Callot : Campement.

Vers un commencement de relèvement démographique

À partir de 1654, la Lorraine cessa d’être un champ de bataille permanent et on peut noter, à compter de cette date, un très timide début de récupération démographique. Trois explications principales peuvent être données à ce phénomène. En premier lieu, une hausse de la natalité et de la nuptialité, vérifiée par les registres paroissiaux de Saint-Avold. On put assister par ailleurs à partir de 1655 au début d’une phase d’immigration étrangère et pour l’essentiel, tyrolienne. Des tailleurs de pierres, maçons et charpentiers originaires de cette province sont cités à Saint-Avold dès 1656, 1659 et 1660, sans que l’on connaisse leur nombre exact. Toutefois, la vague d’immigration des Tyroliens n’en était qu’à son commencement et elle allait se poursuivre jusqu’aux premières années du XVIIIe siècle.

Enfin, il faut tenir compte du retour des anciens habitants de la seigneurie, exilés par la force des choses. L’observation attentive du dénombrement du 27 décembre 1655 laisse entrevoir un mouvement de retour d’exil assez important entre 1654 et la fin de 1655. Mais la plupart, plus prudents, attendirent le retour définitif de la paix et le mouvement de retour s’étala sur des années, au moins jusqu’en 1662-1663. En 1659, le receveur de Saint-Avold, toucha de la confrérie des tanneurs et cordonniers, 12 frs 6 gros pour un « pauvre cordonnier qui est de retour d’Allemagne ».

II fautt tenir compte du fait qu’un certain nombre de réfugiés lorrains étaient irrémédiablement perdus pour la seigneurie, car ils ne reviendraient jamais. Quant aux autres, quels mobiles pouvaient les pousser à quitter un pays où ils avaient vécu durant une vingtaine d’années pour retourner dans une patrie qui n’était qu’un désert humain parsemé de ruines et de friches ? Sans doute le désir de revoir et de mourir dans leur patrie, l’appel de la terre de leurs ancêtres, la volonté de rentrer dans leurs biens (immobiliers) plutôt que de végéter en terre étrangère furent-elles les principales raisons du retour des anciens habitants et de leurs enfants.

Beaucoup déchantèrent à leur arrivée. Le spectacle de désolation qu’offrait la seigneurie, les dettes communales immenses au remboursement desquelles on s’empressa de chercher à les faire participer, les « charges extraordinaires de la Lorraine et ensemblement de l’Evesché de Metz » qui s’abattirent de 1660 à 1662 sur l’office de Saint-Avold, en dégoûtèrent plus d’un.

Aussi, la population diminua-t-elle à nouveau vers 1659-1662, comme le montre le tableau. Le 20 avril 1662, on déplorait que 20 habitants de Saint-Avold avaient renoncé à leur droit de bourgeoisie et demandé « leur congé », « dès avant le mois de février ». Plusieurs d’entre eux allèrent s’installer « en l’Evesché (de Metz) où ils ont fait leur établissement, les autres en d’aultres seigneuries en Lorraine ».

En août de la même année, les habitants de Saint-Avold se plaignaient encore qu’en raison de ces charges, non seulement une « bonne partie d’entre eux s’est retirée ailleurs », mais les autres étaient « tellement affaibly qu’il leur est impossible de subsister ny s’augmenter de nombre ».

Sans doute ne connaîtra-t-on jamais avec une précision absolue le nombre de morts et de familles éteintes au cours de ces trente années. Il faudrait disposer pour cela d’une documentation idéale, comportant des registres paroissiaux bien tenus, des dénombrements nominatifs comme celui de 1634 à Saint-Avold, permettant de comparer, localité après localité, les familles présentes vers 1630 et 1665 : cette documentation n’existe pas. De longues décennies seront nécessaires à la région pour rattraper sa population de 1628.