Le château d’Urville à Courcelles-Chaussy.

La politique de construction de Guillaume II en Alsace-Lorraine.

Résumé et traduction par Fernand BAUER de l’article de Niels WILCKEN : DIE KAISERLICHEN BESITZUNGEN WILHELMS II IM REICHSLAND ELSASS-LOTHRINGEN paru dans le « Cahier Naborien » numéro 11

Guillaume II, empereur d’Allemagne depuis 1871 et souverain du “Reichsland” Alsace-Lorraine, poursuivit sur cette terre une vaste politique de construction. Dans les lignes qui suivent on étudiera les motivations politiques du monarque ainsi que les réactions publiques à ces projets.

Les propriétés d’Urville et de Courcelles-Chaussy.

Urville

Par l’intermédiaire du Bezirkspräsident von Hammerstein, Guillaume II entra, le 15 juillet 1890, en possession du château d’Urville, ainsi que des fermes Mesnils et Pont-à-Chaussy.

Guillaume II aimait venir dans le “Bezirk Lothringen”. Il s’intéressait à l’urbanisme de Metz et avait besoin d’un quartier général qui lui permettrait de diriger les manœuvres de printemps et d’automne dans les environs de Metz. La suite qui lui était réservée dans l’ancienne préfecture lui semblait inadéquate à la longue. La construction d’un palais impérial s’avérait politiquement et financièrement injustifiée car il y avait déjà une résidence impériale à Strasbourg (l’actuel Palais du Rhin). L’achat du domaine d’Urville s’imposa après que son propriétaire eut manifesté le désir de se fixer définitivement en France.

Le bâtiment fait partie d’une série de châteaux situés dans le Pays messin, le Pays de la Nied ou le Pays saulnois. Construit à la fin du XVIème siècle, le château a trois niveaux, avec quatre tourelles d’angle et un grand toit en croupe. Au début du XIXème siècle, on avait appliqué sur la façade principale, entre les tourelles, jusqu’à la hauteur du premier étage, une façade néo-classique, alors que le côté jardin avait été allégé par une avancée polygonale. Un grand parc, dans lequel se trouve une statue de l’impératrice Auguste Viktoria, œuvre du peintre et sculpteur berlinois Reinhold Begas (1831-1911), entoure la propriété.

Après le changement de propriétaire, on modifia quelque peu le bâtiment. Les quatre tourelles d’angle furent surélevées d’un demi étage, on inséra dans la façade le blason impérial, alors que l’intérieur fut plus largement modifié. Le château fut meublé pour la plus grande partie par des œuvres régionales.

L’empereur prit possession des bâtiments le 5 septembre 1893 à l’occasion d’une grandiose manifestation qui rassembla plus de 10 000 personnes dont 3 200 enfants de nombreuses écoles de la Terre d’Empire. L’accueil de la Cour impériale, ainsi que le nombreux personnel de service exigea la construction de dépendances. Sur la lancée, la gare de Courcelles fut dotée d’un pavillon d’accueil pour l’empereur.

Aujourd’hui, le château abrite le Lycée agricole d’État.

L’église impériale de Courcellcs-Chaussy.

Après une visite de la modeste église protestante de Courcelles en septembre 1893, Guillaume II décida de faire construire une nouvelle église, digne du passé de la communauté huguenote et apte à l’accueillir lors de ses séjours à Urville. L’architecte de la cathédrale de Metz, Paul Tornow (1848-1921), eut la mission d’élaborer un projet, les frais (65 000 Mark) étant pris en charge par l’empereur sur sa cassette personnelle. Quand le monarque eut examiné et approuvé les plans en novembre 1893, se montrant satisfait, on put procéder à la pose de la première pierre, en mai 1894, en présence du gouverneur d’Alsace-Lorraine, le prince von Hohenlohe-Schillingsfürst (1819-1901). Le terrain prévu pour la construction empiétait sur une partie de la place du village, près de la mairie.

La population était plutôt contre le projet de construction, estimant que l’ancienne église suffisait encore, d’autant plus que des liens étroits liaient la communauté et le vieux bâtiment, symbole du passé français.

Le plan de base a la forme d’une croix, la façade comportant une tour carrée avec un porche ouvert, alors qu’à l’opposé se trouve une abside à trois pans. Des constructions annexes ainsi que des entrées latérales, une sacristie et l’escalier menant à la loge impériale s’ajoutent au bâtiment.

L’architecte a précisé qu’il s’était inspiré du style gothique primitif, style des vieilles églises du pays, mais dans les formes les plus modestes à cause du coût. . Le bâtiment, sobre, bien que s’inspirant des églises du pays, n’est pas typiquement lorrain. La pierre utilisée provient des carrières de Jaumont.

A l’intérieur de l’église, la seule décoration consiste en versets bibliques peints sur les trois murs du chœur, en allemand et en français. La loge impériale est décorée de carreaux façonnés provenant de Mettlach.

Après que les cloches provenant de l’atelier Collier de Berlin, fondues à partir de canons français pris comme butin de guerre, furent livrées le 18 juillet 1895, l’église fut inaugurée le 17 octobre 1895 en présence du couple impérial.

Un mois après la consécration de l’église, le couple impérial décida d’établir une fondation pour les membres âgés de la commune, protestants et catholiques, qui devait porter le nom de Wilhelm-Viktoria-Stift, Toujours sur proposition du couple impérial, le vieux château de Courcelles fut transformé en “Établissement d’éducation pour filles protestantes “. En l’an 1900, fut également bâti un nouveau presbytère protestant.

Le choix d’Urville et de Courcelles-Chaussy obéissait à des motivations politiques. Urville se trouvait dans la zone de langue française avec une population presqu’entièrement catholique. En s’installant en ces lieux, Guillaume II voulait se défaire de son aura de souverain de l’empire allemand et donner l’image de conciliation et de confiance d’un propriétaire foncier germano-lorrain. Sa présence, les nombreuses visites de sa famille, devaient conforter l’idée que l’union avec l’empire allemand allait se fortifier.

Le but de Guillaume II était néanmoins la consolidation des rapports de puissance et de propriété allemande dans l’espace culturel français: “Ils sont Allemands et vont le rester, que Dieu et le glaive allemand nous aident à le réaliser” dit-il au cours d’un banquet réunissant des officiers dans le casino militaire de Metz.

Ne craignant pas l’absurde, quelques publications essayèrent de légitimer historiquement la prise de possession du château par l’empereur : “pour l’ancienne propriété seigneuriale du pays de la Nied commença une ère nouvelle et brillante , Comme autrefois les rois austrasiens avaient leur palais à Metz, et plus tard les Carolingiens leurs maisons de campagne à Thionville et à Florange, il faut qu’après une interruption de presque mille ans il y ait de nouveau, sur le sol lorrain, une résidence princière érigée par un empereur de la maison des Hohenzollern “. Il faut préciser, contrairement à ce que disent les lignes ci-dessus, que ni les rois austrasiens ni les Carolingiens n’étaient des souverains spécifiquement “allemands” et que la partie ouest du pays de la Nied ne fut jamais entièrement de culture germanique. Le journal “Le Lorrain” vit dans le choix d’une propriété en Lorraine francophone le désir de germanisation de la région voulue par Guillaume II et supposa que son exemple allait provoquer des investissements de la part des industriels d’Allemagne.

La construction d’une église protestante correspondait à l’engagement de l’empereur pour le développement du protestantisme sous l’égide de la maison des Hohenzollern. Avec la revitalisation du protestantisme dans ce village lorrain, on renouait avec le temps de la Réforme qui avait conduit les protestants du pays messin à fuir vers Courcelles après la prise de possession de Metz par la France en 1552. L’accueil de la communauté huguenote par Frédéric Guillaume de Brandebourg, “ der grosse Kurfürst”, en Prusse, après la révocation de l’Edit de Nantes, ainsi que la revitalisation du protestantisme à Courcelles par Guillaume II, furent jugés être la volonté de Dieu.

Le château de Landonvillers. Un monument de caractère germanique en Lorraine.

Le château de Landonvillers est le meilleur exemple de l’activité constructrice soutenue par le gouvernement dans le but d’opérer la germanisation de la région. Le bâtiment acheté en 1891 par le député prussien et grand industriel John von Haniel (1849-1912), de Moers en Westphalie, fut présenté comme une “preuve heureuse que des Vieux-Allemands pouvaient eux aussi collaborer au travail du sol culturel lorrain “. Le voisin impérial se réjouit particulièrement de voir d’autres Allemands s’installer, comme lui, en Lorraine.

Von Haniel fit ajouter, à partir de 1903, une aile de style néo-renaissance au Châtelet du XVIIIème siècle. Bodo Ebhardt, l’architecte du Haut-Koenigsbourg, fit ajouter, de 1904 à 1906, une imposante tour d’habitation de style néo-roman, “selon le modèle des châteaux allemands du Moyen Âge “. Le propriétaire précisa qu’il fallait élever, au milieu de la Lorraine francophone, un bâtiment construit selon les idéaux artistiques de l’architecture allemande du Moyen Âge et de la Renaissance.

Le donjon a une base quadrangulaire, deux niveaux en sous-sol, quatre étages et une terrasse. Le bâtiment est couronné d’une toiture de forme pyramidale. La tour de 35 mètres domine la région. Une double ceinture de murs, comme dans les authentiques châteaux médiévaux, permet la construction d’escaliers qui ménagent au-dessous des embrasures de fenêtres jusqu’à trois mètres de profondeur, ce qui donne un attrait particulier aux chambres. Conformément à la tradition du Moyen Âge, le propriétaire aménagea sa bibliothèque à l’étage supérieur de la tour. L’ajout d’une pièce en saillie au rez-de-chaussée permit d’obtenir une longueur de douze mètres pour la salle à manger.

On utilisa du grés rosé de 1’ Eifel et de la région natale de von Haniel, la Westphalie. Le coût de la construction s’éleva à environ 300 000 Mark.

En opposition aux constructions allemandes on vit naître une série de manoirs, pour lesquels les maîtres d’ouvrage locaux choisirent un style résolument français. L’exemple le plus remarquable est le “Bureau Central” de la famille industrielle de Wendel, érigé en 1895 en style Louis XV à Hayange. En 1905, la veuve du vicomte lorrain Maurice de Coëtlosquet fit construire à Mercy-les-Metz un château dans le style volontairement chargé néo-baroque français, ce qui lui conféra le qualificatif de “symbole de résistance architecturale “. L’industriel Henri Cannepin fît construire à Châtel-Saint-Germain le château de Chahury selon les plans de l’architecte messin Adrien Collin, également en style Louis XV.

La politique de construction impériale dans les provinces de l’empire.

Comme son père Frédéric III (1831-1888), Guillaume II (1859-1941) avait un intérêt artistique étendu. L’architecture et les monuments le fascinaient et tous les projets d’État importants devaient lui être soumis. Il montra dans cet exercice une grande aptitude et ne fut jamais un dilettante.

Les projets de construction d’Alsace-Lorraine furent avant tout l’expression symbolique d’une prétention de régner sur une région frontalière. Face à l’opinion anti-allemande de la population autochtone au début du XXème siècle, la restauration du Haut-Koenigsbourg ainsi que la modification du château d’Urville devaient être la démonstration du statu quo définitif. Un autre but de la politique impériale était de développer dans la population d’Alsace-Lorraine une conviction loyale envers l’empire et la sensation d’être allemand. En Lorraine, Guillaume II se contraignit à avoir des contacts de “voisinage” directs et toutes ses actions visaient à obtenir de la population francophone la confiance en sa personne.

En Alsace, la culture germano-alémanique lui semblait, en revanche, évidente et il n’usa pas d’autant de diplomatie envers les Alsaciens dans ses projets de construction. La restauration de la ruine vosgienne la plus connue donna du monarque l’image d’un prince absolu et produisit un effet négatif sur l’opinion publique. Comme monument national allemand, la Haut-Koenigsbourg devint le synonyme de répression pour les opposants au régime impérial.

Guillaume II eut également une influence décisive sur le programme de construction dans la ville francophone de Metz. En 1898, selon son ordre, un agrandissement de la ville fut entrepris. Pour les bâtiments neufs, bâtiments publics ou églises, le monarque imposa par préférence le style néo-roman qui lui semblait être spécifiquement “l’expression pure du sentiment germanique”, et qui lui semblait le plus apte à exprimer la nature allemande sur le sol français.

Les exemples les plus marquants de cette volonté sont la gare de Metz, la poste centrale, l’église protestante de la ville (Temple Neuf), l’église protestante de Queuleu, l’église catholique de Saint Joseph à Montigny-les-Metz.

Les projets impériaux concernaient encore, en dehors de la restauration discutée du Haut-Koenigsbourg, la restauration de la Chapelle des Templiers à Metz, l’Hôtel des Monnaies à Vic-sur-Seille ou la restauration de la cathédrale de Metz. Tous ces travaux en Lorraine étaient contrôlés par l’empereur en sa qualité de protecteur de la Société d’Histoire et d’Archéologie de la Lorraine.

En accord avec la suppression des témoins architecturaux de l’époque française, on note la démolition partielle des murs de la ville et la conservation, sur ordre de Guillaume II, de la porte des Allemands qui devait devenir un musée du Moyen Âge. L’empereur fît également transformer la Porte Serpenoise en une sorte d’arc de triomphe qui devait rappeler l’entrée victorieuse du prince Frédéric Charles après la capitulation de Metz en 1870 ainsi que l’ancienne limite de la ville avant son extension.

L’engagement de l’empereur dans le domaine de la construction fut enfin l’objet de nombreuses publications germano-patriotiques : “Où et quand a-t-on jamais vu dans cette partie du pays un engagement compréhensif et respectueux envers la culture, l’histoire et les monuments du passé comme l’a fait Guillaume II ?”.