Baptême du drapeau de l’association des anciens combattants le 21 mai 1882
Le culte impérial à Saint-Avold de 1870 à 1918.
par Pascal Flaus (extraits de l’article paru dans le numéro 24 du Cahier du Pays naborien)
La guerre de 1870, déclarée par la France et voulue par la Prusse, a pour conséquence la cession de l’Alsace-Lorraine au nouveau Reich victorieux, suite au traité international de Francfort du 10 mai 1871 reconnu par la France et par toutes les puissances européennes.
Cette intégration, qui s’est faite dans la douleur , entraîne bien sûr un changement profond du cadre économique et administratif déjà étudié par les historiens. Le transfert de souveraineté de la France, devenue républicaine après la chute de Napoléon III, à la monarchie prussienne devenue impériale, est voulu et encouragé par les autorités de tutelle allemandes. Un nouveau culte, vecteur de la germanisation, se développe autour de la figure des empereurs d’Allemagne : Guillaume Ier (1797-1887), Frédéric III (1831-1888) et Guillaume II (1854-1941), empereur en 1888 et dont le culte ne cessera de se développer . Notre étude se propose d’analyser les Kaisers-geburtstag dans une ville de garnison.
Un nouveau cadre politique se dessine : 1870-1871
La ville est occupée jusqu’en 1878 par deux escadrons bavarois de chevau-légers. Le roi de Prusse, en route vers Pont-à-Mousson, constitue un gouvernement général d’Alsace et de Lorraine, suivi le 21 août par la création du gouvernement de la Lorraine . L’ordonnance du 26 août rattache les arrondissements de Château-Salins, Sarreguemines, Metz et Thionville au gouvernement général d’Alsace et de Lorraine allemande. Ce traité consacre le transfert de souveraineté du Reich sur l’Alsace et la Lorraine. Lorsque la loi dite de réunion est promulguée, le 9 juin 1871, le jeune empire n’a qu’une jeune législation commune. Il lui est donc impossible d’imposer à la nouvelle Terre d’Empire (Reichsland) la législation en vigueur dans tel ou tel état du Bund. La loi d’empire, du 30 décembre 1871, partage la région annexée en trois districts (Bezirke), dont celui de Lorraine (Lothringen). À leur tête est nommé un préfet (Bezirkspräsident) qui, pour la Lorraine, siège à Metz. Chaque district est divisé en cercles (Kreise), qui font fonction d’arrondissements. Celui de Lorraine en comporte huit, dont celui de Forbach, créé par ordonnance impériale du 12 mars 1871, qui regroupe les cantons de Forbach, Saint-Avold, Sarralbe et Grostenquin. À la tête du Kreis est désigné un Kreisdirektor, sorte de sous-préfet qui exerce une autorité de tutelle sur les communes. Enfin l’empereur désigne un Oberpräsident (président supérieur) qui réside à Strasbourg, la nouvelle capitale politique et administrative de la Terre d’Empire.
Au niveau communal, les autorités de tutelle laissent subsister l’organisation et le droit français, notamment les lois municipales du 5 mai 1855 et du 24 juillet 1867 sur les attributions des conseils municipaux, puis, dans un sens encore plus autoritaire, la loi du 22 juillet 1870 sur la nomination du maire et de son conseil. Cette loi française votée sous le Second Empire fait du maire un auxiliaire du pouvoir. Tout conseil peut être suspendu par le Statthalter et dissout par décret impérial jusqu’en 1879. Pour suppléer aux démissions et aux départs de certains maires, les autorités allemandes complètent les lois françaises par la loi municipale du 24 février 1872 et celle du 14 juillet 1887, dite loi des maires de carrières, qui permet la nomination des maires et adjoints pris en dehors du conseil municipal et rémunérés sur les deniers de la ville.
Les acteurs du nouveau culte impérial
Les Naboriens choisissent, pour une très grande majorité, de rester dans le Reichsland. Ils acceptent le changement de souveraineté et leur nouveau souverain Guillaume Ier, proclamé roi de Prusse et empereur d’Allemagne, dans la galerie des glaces au château de Versailles, le 18 janvier 1871. N’ont-ils pas déjà été sujets d’un royaume de 1852 à 1870 ? Le 1er janvier 1874, la constitution d’empire est applicable en Alsace-Lorraine. Les premières années semblent être marquées par une protestation toute relative puisque les optants qui disposent de biens dans le Reichsland peuvent les gérer à leur guise de France. Quant à la prétendue protestation locale, elle se caractérise par une grande instabilité municipale, nuisible au développement de la ville déjà en mal d’industrie, à laquelle mettront fin les autorités allemandes par la nomination de maires de carrière : Robert Hein (1894-1908) et l’Alsacien Joseph Koestel (1908-1918). Les élections cantonales et celles au Reichstag concrétisent, après 1888, cette fin de la protestation stérile, car ce n’est pas en refusant de siéger au Reichstag de Berlin que les élus mosellans défendent habilement leur territoire et leurs électeurs. Les Naboriens votent pour les candidats qui travaillent avec les autorités de tutelle.
Au niveau local, la bourgeoisie du commerce et des services, qui a déjà manqué le pari de la révolution des transports en laissant s’échapper le train, bombardent le Kreisdirektor de missives pour que se poursuive l’installation de régiments allemands en ville, mouvement qui a timidement débuté sous le Second Empire. Pauvre en activités industrielles, Saint-Avold voit sa population baisser au détriment de Forbach qui profite du dynamisme sarrebruckois. La ville cède de nombreux terrains à l’armée et les premières casernes sont construites entre 1877 et 1882 à l’emplacement de l’actuel Lycée Poncelet. Il s’agit d’un ensemble de bâtiments appelés Ketzerrath-Kaserne et Berg-Kaserne, mais parfois aussi Uhlanen-Kaserne, du nom du régiment qu’il héberge. Cette prestigieuse unité, appelée 2e régiment des Uhlans, s’installe à Saint-Avold le 1er avril 1886. Les notables de la ville, commerçants et entrepreneurs de travaux publics, profitent de cette aubaine. Ils équipent les régiments et font de fructueuses affaires. L’armée allemande est de plus en plus présente puisqu’en 1887 la ville héberge déjà 567 hommes et autant de chevaux. Ce mouvement s’amplifie après 1890. Cette présence militaire, voulue et appréciée des civils, favorise le culte impérial : l’empereur est le chef suprême de l’armée, Oberster-Befehlshaber, et les régiments lui font serment d’allégeance.
L’empereur est aussi célébré à l’école. Rappelons qu’en 1870 plus des deux tiers des élèves comprennent et parlent l’allemand grâce à un bilinguisme scolaire intelligent maintenu et encouragé par Napoléon III qui parle l’allemand couramment, ce qui est assez exceptionnel pour un dirigeant français. L’introduction de l’allemand comme langue d’enseignement ne posera aucun problème aux jeunes de Saint-Avold à la rentrée 1871. Les manuels scolaires rédigés selon les instructions officielles exaltent le sentiment national et les hauts faits de l’histoire du peuple allemand. Le petit livre d’Atorf, professeur à l’école « réale » de Forbach, présente aux écoliers 42 tableaux historiques, dont ceux, à la fin de l’ouvrage, de Guillaume Ier et de son petit-fils Guillaume II. On insère, ce que le système français s’est toujours refusé de faire, l’histoire de la Heimat dans la nouvelle histoire nationale et l’on insiste sur le caractère germanique de la région . L’empereur Guillaume Ier, patriarche tutélaire et bienveillant, est présenté comme un noble vieillard attentif au bien du peuple dont Dieu lui a confié la charge. Ce culte est aussi présent dans des chants et poèmes à connotation nationale qui exaltent l’Allemagne et la famille régnante des Hohenzollern. L’idéologie par l’histoire se retrouve aussi dans les écoles de la IIIe République en France et répond à des préoccupations de même nature. Les jeunes Naboriens, qui ont choisi la France avec leur famille, sont entrainés dans un compte à rebours qui est un compte de revanche. Dans les petits Lavisse, publiés dès 1884, on trouve : « C’est à vous, enfants, élèves aujourd’hui dans nos écoles, qu’il appartient de venger nos pères… et, quand vous aurez 20 ans et que vous serez sous les armes, d’être de bons soldats obéissant bien à vos chefs ».
Enfin, les associations, qui se développent d’abord de manière sporadique, puis plus librement après 1900, grâce à un nouveau statut associatif, exaltent aussi le culte impérial. La création en septembre 1875 du Kriegerverein, ou Association des Anciens Combattants, se fixe clairement pour objectif « de cultiver la fidélité et l’amour pour l’Empereur et le Reich » (« die Treue und Liebe zu Kaiser und Reich zu Pflegen »). Cette association connaît un développement important et regroupe les anciens combattants naboriens de 1870 et les nouveaux immigrés allemands. La remise en grande pompe, le 21 mai 1882, du drapeau à cette association, après autorisation impériale, marque les esprits . En 1912, sur les 250 membres que compte cette association, 115 sont Naboriens.
En même temps, la chorale Concordia se dote de nouveaux statuts enregistrés le 15 octobre 1878 . Elle se fixe pour objectif la diffusion du chant allemand. Lors des fêtes patriotiques, le chœur d’hommes de cette chorale participe activement à l’animation des soirées et autres défilés. Lors des visites de Guillaume Ier à Metz, les Kriegervereine lorrains, dont celui de Saint-Avold, participent aux défilés de la Kaiserparade à Metz, comme celui du 24 septembre 1879 . Le 5 mai 1877, l’Empereur quitte Strasbourg ; après Haguenau, Bitche et Sarreguemines, son train s’arrête en gare de Saint-Avold. Il y est applaudi par une foule importante, le conseil municipal, les anciens combattants et les militaires de la garnison.
Par la suite, d’autres associations, tels le Garde Verein , le Vaterlicher Frauenverein , le Casino Verein , le Lokal Verein Saint-Avold zu Pflege und im Felde verwundeten und erkrankten Soldaten , le Verband Deutscher-Anwärter und Invaliden Elsaß Lothringischer Landesverband et enfin la Deutsche Kolonialgesellschaft créée en 1899, se fixent les mêmes objectifs. À ces associations à finalités patriotiques et sociales, il nous faut encore ajouter les associations sportives, omniprésentes aux défilés et à toutes les manifestations patriotiques officielles.
Le culte impérial autour de la famille Hohenzollern
L’accession au trône de Guillaume II, personnage complexe et controversé , entraîne, par-delà la personne du Kaiser, un culte plus large qui touche toute sa famille.
Saint-Avold est, aux yeux des Allemands, « ein Soldaten-Nest » de 2 500 militaires en 1913 . De plus, la situation politique et économique se détend après 1890. La protestation fait place à la défense du particularisme alsacien-lorrain dans le cadre allemand. Une nouvelle génération qui a été à l’école impériale accède aux responsabilités. Le contexte économique et social est très bon. Les habitants du Reichsland bénéficient des lois sociales les plus avancées au monde. L’économie se développe, les prix sont stables et le chômage inexistant. Pourquoi alors protester ? Enfin, en 1905, la séparation de l’Église et de l’Etat en France en refroidit plus d’un, notamment la partie francophile du clergé.
Le jeune empereur, grâce à une communication bien orchestrée, est présenté comme l’ami des ouvriers et des humbles. Il a l’ambition de faire de l’Allemagne la première puissance au monde et se lance, dès 1896, dans une course aux armements en concurrence directe avec l’Angleterre. Pourtant anglophile, il ambitionne la création d’une flotte commerciale et de guerre, la Kriegsmarine, encore inexistante en 1880. L’empereur, surnommé Reise-Kaiser, se déplace en permanence dans ses 73 châteaux répartis dans toute l’Allemagne. Hyperactif, il s’immisce dans tous les domaines et s’exprime sur tous les sujets par des discours ou des conférences de presse fracassants qui irritent la cour et les diplomates. Il visite souvent le Bezirk Lothringen pour y manifester sa souveraineté, notamment en dirigeant les manœuvres militaires de printemps et d’automne qui se déroulent tous les ans dans les environs de Metz.
Intéressé par l’architecture, il intervient directement dans les travaux de restauration de la cathédrale de Metz et dans l’aménagement très réussi du nouveau quartier impérial de la gare. Il achète discrètement, le 15 juillet 1890, le domaine d’Urville et, après sa restauration, prend possession des lieux le 5 septembre 1893 à l’occasion d’une grandiose manifestation qui rassemble 10 000 personnes dont 3 200 enfants et 300 instituteurs, ainsi que les représentants de 142 associations, acheminés à Courcelles par trains spéciaux. En l’absence de la famille impériale, il était possible de visiter la résidence et le parc.
Pour l’occasion, 14 membres du corps des sapeurs-pompiers de Saint-Avold accompagnent une délégation du conseil municipal qui fait le déplacement. La présence de l’empereur aux manœuvres à Morhange, le 16 mai 1905, donne lieu à une cérémonie de réception grandiose avec un déplacement de nombreuses écoles des cantons de Grostenquin, Sarralbe, Forbach, Saint-Avold, accompagnées de leurs professeurs et du conseil municipal. Les frais de déplacement des élèves sont pris en charge par une délibération du conseil municipal du 13 mars 1905, qui vote une subvention de 500 Marks pour l’envoi de 270 écoliers des grandes classes avec leurs professeurs.
En fait, tous les événements importants liés à la famille des Hohenzollern donnent lieu à une manifestation officielle qui se traduit, le plus souvent, par une fête scolaire à la salle Germania ou salle Apollon. C’est aussi là que sont célébrées, en grande pompe, le mardi 27 février 1906, les noces d’argent du couple impérial. Il en est de même pour les 25 années de règne de l’empereur le 17 juin 1913, qui marque une certaine apothéose avec discours, chants, poèmes. À cette occasion, Johann Thill, professeur à la Mittelschule, fait un discours émouvant sur les mérites de la famille Hohenzollern. À la messe de 10 heures, qui suit l’imposante fête scolaire, l’archiprêtre Nicolas Dicop (1867-1929) loue Guillaume, empereur de la paix, modèle de vertu familiale.
Ce thème de l’empereur prince de la paix est repris par la St Avolder Zeitung dans son édition du 17 juin 1913 qui cite Guillaume II, prince aimé de son peuple et redouté pour sa puissante armée, qui assure le bonheur de ses sujets grâce à un fulgurant développement économique. Le 19 juin, la garnison organise un défilé à la caserne d’infanterie, suivi d’une très grande fête sportive organisée par tous les régiments de la garnison, ouverte aux civils, avec une multitude d’activités sportives : match de football, courses à pied, sauts d’obstacles. Près du Chêne des sorcières, l’armée installe de nombreux stands et propose des rafraîchissements aux nombreux badauds présents. Le très beau temps contribue à la bonne humeur générale. Il est d’ailleurs appelé « Hohenzollern Wetter ». La célèbre course automobile « Prinz Heinrich Fahrt », avec ses 150 voitures à laquelle participe le plus jeune frère de l’empereur, Heinrich (1862-1929), grand amiral de la flotte et mordu du sport automobile, passe à Saint-Avold le 7 juin 1910 entre 12h30 et 18h30. À cette occasion, les maisons sont pavoisées. Une foule imposante envahit les rues pour voir passer cet hôte illustre . Par contre, l’anniversaire de l’impératrice Augusta, épouse de Guillaume aimée pour ses œuvres de bienfaisance, donne lieu à un simple pavoisement des rues et des bâtiments publics et à une modeste fête scolaire.
L’anniversaire de l’empereur : le Kaisersgeburstag
Cet anniversaire a marqué des générations de jeunes Mosellans par l’aspect festif de ses cérémonies. Elles donnent lieu à toute une série de manifestations, amplifiées à Saint-Avold par l’importante garnison. Une analyse du journal local pro-gouvernemental et légitimiste, crée par Carl Konrad en 1899, le St Avolder Anzeiger qui devient en 1910 la St Avolder Zeitung, nous a permis de retracer assez facilement l’ensemble des cérémonies célébrées à la fois par les civils et les militaires. Si nous analysons les thermes abordés par les 11 éditoriaux du journal local parus entre 1899 et 1914 qui sont parvenus jusqu’à nous, 8 insistent sur le rôle de Guillaume II comme prince de la paix ou « Friedensfürst ». Le journal justifie la course aux armements de l’Allemagne par son souci du maintien de la paix . Le thème du développement d’une flotte militaire est un sujet récurrent dans les éditoriaux de 1900 à 1904. En 1900, il est dit que les bateaux allemands sillonnent désormais les mers, que le label « made in Germany » garantit des produits de qualité à bon marché. L’empereur est aussi célébré comme garant de l’unité nationale en 1906, 1909 et 1914. Il fait de l’Allemagne une nation respectée (1903) ; certaines nations (non citées) sont jalouses des réussites allemandes (1910). Les journalistes insistent aussi sur les progrès économiques, la confiance en l’avenir à l’orée d’un nouveau siècle. En effet, le commerce et l’industrie se développent (1906) grâce à l’empereur garant de la « pax germania » (1913).
Les qualités de l’homme, bon père de famille, protecteur du monde du travail, figure d’intégration de toutes les classes sociales, des ouvriers et des patrons, sont soulignées dans les éditions de 1909, 1913 et 1914. L’éditorial de 1906 insiste sur la générosité de l’empereur après l’aide apportée par l’Allemagne aux sinistrés du tremblement de terre de Sicile. Son caractère divin n’est jamais abordé, mais il est rappelé que la main de Dieu guide les actions de l’empereur et les bienfaits de l’impératrice Augusta qui milite en faveur des plus démunis en soutenant de multiples fondations et en aidant à la construction de très nombreuses églises de toutes les confessions.
Le journal, de plus en plus précis, relate toutes les festivités qui vont en s’accroissant pour culminer en 1914. Elles se déroulent le 26 janvier au soir et durent toute la journée du 27, mais le développement associatif après 1890, avec la création de 18 associations recensées, multiplie les célébrations autour de cette date. En 1914, elles s’échelonnent du 26 janvier au 7 février par manque de salles disponibles.
Un des grands moments de cet anniversaire est sans conteste la fête scolaire. L’école cultive le loyalisme monarchique. Le personnel des écoles communales prête serment d’obéissance devant le maire et son conseil. Le 15 juillet 1900, les instituteurs font le serment suivant : « Moi, (nom), je jure devant Dieu tout puissant et omniscient, fidélité et obéissance à sa majesté l’empereur d’Allemagne. Je respecterai les lois et je remplirai en mon âme et conscience et avec l’aide de Dieu, les devoirs propres à ma fonction ». Comme au temps de Guillaume Ier, la fête scolaire, avec ses chants patriotiques et ses poésies récitées par les élèves, marque le point culminant de toute une longue préparation qui débute, la veille de son anniversaire, par une grande fête à l’école préparatoire impériale qui dure 2 heures. Cette manifestation mêle poèmes, chants et discours patriotiques dont celui très attendu des directeurs successifs de l’école : en 1902, Kieffer célèbre les vertus et la puissance du Deutschtum ; en 1905, année du centième anniversaire de la mort de Friedrich von Schiller (1759-1805), Wilmouth construit son discours autour de l’écrivain et des vertus prussiennes « preussischen Tugenden », qui sont le respect, l’honnêteté, la foi en la patrie, le devoir d’abnégation ; enfin, en 1908, Prévot célèbre l’art allemand de la Renaissance au IIe Reich.
Le 27 janvier, ce sont les autres écoles de la ville, y compris le pensionnat, qui organisent de 9 heures à 10 heures une cérémonie séparée, puis, à partir de 1906, elles ont lieu toutes ensemble à la salle Germania. Avant 1906, les enfants juifs et protestants, peu nombreux, se retrouvent à l’école des garçons. Les élus, notables, parents et officiers se répartissent sur les trois manifestations. En 1906, sur demande du maire, elles sont regroupées en un lieu unique, ce qui facilite la tâche des élus et des organisateurs et permet de recevoir les parents de manière décente . Le discours central est toujours prononcé par le directeur de la Mittelschule sur des thèmes divers de culture allemande. En 1907, Nikolaus Collet fait l’éloge de Guillaume II, protecteur des Arts et des Lettres et Peter Frisch, Lorrain de souche (1870-1950), professeur et directeur de l’école des garçons, futur président de la S.H.A.L. Saint-Avold, se distingue par la qualité de ses discours patriotiques qui enflamment l’auditoire. En 1909, il présente la reine Louise de Prusse, comme un modèle de vertu prussienne qui s’oppose au « Corse et parvenu Napoléon venu pour démembrer son pays ». Il termine ses propos par un hymne à l’empereur et un triple vivat.
En 1912, Frisch compare Guillaume II à Frédéric II. Son collègue Hubert Haas (1873-1933) n’est pas en reste : passionné d’histoire locale, il inscrit l’histoire naborienne dans la « prestigieuse histoire allemande ». Toutes ces cérémonies scolaires s’achèvent par la distribution de petits pains briochés ou Kaiserwecken. Cette tradition est instituée dès 1889. Les boulangers de la place, ravis de cette commande municipale, en fabriquent 300 en 1912.
La commune organise aussi une cérémonie officielle. Dès le début de l’année 1888, les autorités de tutelle du Bezirk poussent au culte impérial. Le 6 octobre 1888, le conseil municipal fait l’acquisition de deux bustes de Guillaume et de son épouse, puis, suite à une ordonnance du directeur du cercle du 21 novembre 1888, le conseil vote un crédit de 100 Marks pour l’achat de huit portraits supplémentaires du couple impérial. Enfin, le 9 octobre 1889, l’écusson de Saint-Avold, qui trône en salle du conseil municipal, est remplacé par le buste de l’empereur . Les cérémonies religieuses sont réglementées avec précision dès 1890. Elles se tiennent dans les trois lieux de culte de la ville (catholique, protestant, israélite).
La ville prend en charge, en plus des fêtes scolaires et du défilé du 26, le banquet annuel qui clôt les manifestations et qui se tient à tour de rôle dans l’un des bons restaurants de la ville : Hôtel de Paris, Hôtel de la Poste, Hôtel Bristol (illustration ci-contre : tableau de l’empereur à l’hôtel Bristol). Ces repas regroupent notables, élus et militaires ; environ 70 personnes en 1893 contre 120 en 1912. À cette occasion, les maires de carrière, Robert Hein (1894-1908) et Joseph Koestel (1908-1918), qui ont une réputation de bons orateurs, font des discours traitant d’affaires politiques du moment. En 1900, Hein insiste sur l’importance de la flotte de guerre pour l’Allemagne . En 1903, il évoque les qualités morales de l’empereur, prince de la paix. L’Alsacien Joseph Koestel célèbre, le 27 janvier 1914, la paix retrouvée après la guerre dans les Balkans, dans une Allemagne où se développe le progrès social. Sa nomination, en 1908, a entraîné quelques changements majeurs dans l’organisation des manifestations patriotiques. L’anniversaire prend un caractère encore plus populaire de symbiose entre l’armée et les habitants. La ville organise, en 1913-1914, la manifestation centrale à la salle Germania. En 1914, ces organisateurs refusent du monde. Quelques indices sur le taux de participation des civils nous sont donnés par des rapports officiels. Le 28 janvier 1893, le maire Merten, que l’on ne peut accuser de complicité avec les autorités, fait un rapport sans complaisance au Kreisdirektor A. Dieckmann. Il dit en conclusion : « die Betheiligung von allen war sehr groß ». Il ajoute que le très beau sermon de l’abbé Châtelain, pourtant membre du Souvenir Français, fera date . En 1903, le journal local affirme, avec une fierté à peine contenue : « Alle wetteiferten an Patriotismus » (« c’est à celui qui montrait le plus de patriotisme ») parmi les associations et la population. Les cérémonies militaires dépassent en faste les manifestations civiles. La traditionnelle retraite aux flambeaux du 26 au soir est maintenant organisée par l’armée. Le départ est fixé à 20 heures sonnantes devant la nouvelle église luthérienne inaugurée à Pâques 1889. Elle regroupe près de 500 personnes en 1900, dont 250 militaires des divers régiments de la garnison avec leurs trois batteries militaires, les anciens combattants, le conseil municipal, les instituteurs de l’école préparatoire et environ neuf associations dont la chorale des hommes Concordia, le club cycliste, les sapeurs-pompiers, le Civil Verein, la Croix Rouge. Sitôt formé, le cortège prend la direction de la rue du Couvent (rue de Gaulle), de la Place du Marché, de la rue de Longeville (rue Hirschauer), de la rue des Charrons (rue des Américains), puis de la rue de Hombourg (rue Poincaré) et enfin il s’en retourne place du Marché pour l’allocution et les discours du commandant de la garnison. À partir de 1900, le défilé est prolongé par un Zapfenstreich, cérémonie militaire particulière introduite en Prusse à l’occasion d’une visite du tsar à Berlin en 1834, avec passage en revue des troupes et serment de fidélité à l’empereur . À cette occasion, les rues sont illuminées, les cloches des églises sonnent à toute volée, chants et hymnes patriotiques retentissent. Le défilé impeccable des soldats, flambeaux à la main, confère à cette cérémonie un aspect solennel impressionnant. Parfois, la pluie et les tempêtes d’hiver empêchent la tenue de la manifestation, ainsi en 1900. En 1901, la cérémonie est annulée sur ordre du Kaiser suite au décès, le 22 janvier 1901, de la reine Victoria d’Angleterre (1834-1901), grand-mère de l’empereur, son petit-fils préféré. En 1902, le journal local parle de rues noires de monde malgré un froid sec et pénétrant.
Fin 1894, les bâtiments de l’Infanterie-Kaserne sont achevés. Ils accueillent le 9e régiment d’infanterie lorrain n°173, créé par ordre du cabinet impérial le 31 mars 1893. Celui-ci fait une entrée triomphale à Saint-Avold le 1er juin 1897 . Le traditionnel défilé militaire des divers régiments de la place le jour de l’anniversaire, qui se déroule depuis 1887 dans la cour de la caserne des Uhlans, est transféré en 1899 dans la cour bien plus grande de la caserne d’Infanterie capable d’accueillir aussi les écoliers, le conseil municipal et les civils. Le défilé, qui se déroule à 12 heures précises, accueille, en 1905, plus de 1000 curieux. Devant ce succès, il est transféré en 1913 au centre-ville, en accord avec la municipalité qui installe des estrades sur la place du marché. Le défilé se termine par le discours traditionnel du commandant, les 101 coups de canon, et l’hymne impérial. Les manifestations sont alors filmées par l’équipe du nouveau cinéma Eden, inauguré en octobre 1910. Ces films, malheureusement disparus aujourd’hui, sont projetés durant une semaine tous les soirs au cinéma à 20 heures. Devant leur succès, la direction décide de prolonger les représentations d’une semaine supplémentaire.
Le défilé des troupes est encore amplifié, grâce au zèle de Koestel et de son conseil, par l’arrivée solennelle le 14 octobre 1913, du régiment des chasseurs à cheval n°12, installé provisoirement dans les baraquements en bois à la Jäger-Kaserne (quartier de Brack) dont le corps de caserne est achevé fin 1914.
Sitôt le défilé terminé, le commandant invite à sa table des officiers de la ville. Puis, se succèdent, sur une dizaine de jours, un grand nombre de soirées, 13 en 1914, organisées par les associations et les différentes compagnies des régiments de la place largement ouvertes aux civils et aux militaires. Il s’agit de soirées récréatives à connotation patriotique où se mêlent chants, poèmes, pièces de théâtre burlesques, vaudevilles joués et présentés par les militaires. Elles se déroulent dans les auberges de la ville qui ont des salles adéquates. Les clubs sportifs naboriens, tel le Turnverein, y font des prestations attendues et remarquées. L’incontournable chorale Concordia, spécialisée dans la diffusion du chant profane allemand, y présente ses meilleurs morceaux. Un bal clôt souvent ces soirées où la bière coule à flot, le plus souvent jusqu’à l’aube. La bonne ambiance y règne, les bagarres entre civils et militaires sont rares à ces occasions.
Revue des troupes à la caserne Ardant-du-Picq en 1913
La guerre 1914-1918
La rapidité et l’enchaînement dramatique des événements de 1914 surprennent la population déjà plongée dans les torpeurs d’un début d’été très chaud. La situation internationale se dégrade rapidement après l’assassinat du meilleur ami du Kaiser, l’archiduc Ferdinand, successeur au trône d’Autriche-Hongrie, et de son épouse Sophie, par un terroriste Serbe à Sarajevo, le 28 juin 1914. Les événements se succèdent rapidement, la Triple Alliance et la Triple Entente s’affrontent en deux blocs antagonistes. L’état de siège est proclamé et la guerre déclarée à la France le 4 août. Les régiments quittent la garnison pour se rendre sur le front à Morhange, dans une euphorie toute relative . L’immense majorité des jeunes Naboriens sert fidèlement l’armée et la marine impériales . Très vite, le blocus continental, l’économie de guerre, l’introduction de cartes de rationnement affectent civils et militaires. La Belle Époque est bien terminée. Elle s’achève sur une horrible tuerie. Les écoles fêtent les victoires allemandes par une dizaine de jours de congés. L’aménagement, dès février 1915, d’une nécropole militaire pour 212 militaires tombés au champ d’honneur rappelle la proximité des combats. De nombreux Naboriens tombent sur les fronts ouest et est.
Ces quatre années très dures marquent un arrêt des festivités ostentatoires du culte impérial. Les autorités ne le célèbrent que d’une manière discrète et très dépouillée. D’après la Forbacher Bürgerzeitung du 28 janvier 1915, les cérémonies se réduisent à leur plus simple expression avec en général le maintien de la fête scolaire et les célébrations religieuses où l’on prie pour les soldats et les familles éprouvées par la perte d’un être cher . L’empereur aux discours belliqueux d’avant 1914 joue un rôle très effacé, se bornant à distribuer avec le Kronprinz des médailles aux soldats. Le Grand État-Major, dirigé par les généraux Hindenburg et Luddendorff, prend de fait le pouvoir. La circulaire impériale du 11 janvier 1918, à l’occasion de l’anniversaire de l’empereur, n’ordonne que la tenue de cérémonies religieuses.
Le 20 septembre 1918, à 10 heures du matin, l’empereur fait un arrêt rapide à Saint-Avold. Accompagné par le comte Félix von Bothmer (1852-1937), général du 19e corps d’armée depuis le 4 février 1918, il se rend de la gare à la caserne d’artillerie pour y conférer avec les officiers du Grand État-Major. Il profite de la circonstance pour rendre visite aux blessés transférés à l’hôpital militaire. À cette occasion, les écoles sont à nouveau mobilisées. Elles se tiennent sur son passage et font une haie d’honneur de la Klosterstraße, l’actuelle rue de Gaulle, à la place du Marché, pour acclamer Guillaume II. La population est très nombreuse, mais l’ambiance générale est morose. La guerre, aux yeux du Grand État-Major, semble perdue depuis août. L’empereur quitte Saint-Avold à 11 heures du matin. Les enfants sont libérés l’après-midi. Début octobre, les écoles sont fermées à cause de la grippe espagnole . Deux mois plus tard, contraint à abdiquer par la révolution, Guillaume II fuit en Hollande.
Le 21 novembre 1918, la ville accueille les troupes françaises du général Grégoire dans une euphorie très mesurée. La guerre et les privations sont terminées. La difficile réintégration du Bezirk Lothringen commence. La germanisation fait place à une francisation menée à la hussarde, avec expulsions et état de guerre. La légalité républicaine ne sera rétablie qu’en 1919, après la signature du traité de Versailles, l’épuration des conseils municipaux et de nouvelles élections municipales.