L’hôtel de Paris en 1815
Que sont devenues les enseignes d’antan ?
Extraits de l’article d’Yvette MARTAN paru dans le « Cahier du Pays Naborien » numéro 18
De tous temps les routes de notre pays ont été jalonnées de tavernes et d’auberges où le voyageur a pu trouver gîte et couvert.
Afin d’attirer le client, les « tabernae » romaines signalent déjà leur présence par une couronne de verdure. C’est donc tout naturellement que les taverniers désignent leur échoppe par un signe distinctif en fixant au-dessus de leur porte un bouquet de feuilles vertes composé de lierre ou de feuilles de vigne, le tout attaché à un long bâton ou à un clou.
La multiplication des auberges dans les villes oblige vite les tenanciers à se différencier les uns des autres et c’est ainsi que le clou où est attaché le bouquet s’allonge et se termine par un crochet permettant d’y fixer un objet tel une couronne, une étoile, un bock ou un animal.
Lieux de vie intense, les tavernes où les classes populaires passent, s’entassent, discutent, refont le monde, sont un maillon commercial pour une rue, mais jouent également un rôle social important. Prestigieux, humbles ou mal fréquentés, ces établissements jalonnent rues et ruelles de la cité naborienne.
Dans le but d’attirer la clientèle, nos aïeux imaginent de tous temps des enseignes aux dénominations pittoresques ou pleines d’humour et notre cité en compte un bon nombre. En voici quelques unes :
Hostellerie de l’Aigle ou de l’Aigle d’Or : en 1718 on y vend 106 mesures de bière ; « l’hostellerie » est exploitée par Jean Scherrer dit « Brettnach », puis en 1767 par Pierre Davrange, capitaine des invalides.
Hostellerie de l’Ange, tenue en 1722 par Charles Hector, boulanger et « hostellain », natif de Forbach.
Hostellerie « Au Bel Enseigne » ou « Au Portenseigne », dont l’hostelain est Balthazar Bock (1626-1630).
« Herberge Zum Bock », qui appartient début 1600 à Valentin Reiff.
Le menu de la fête patronale de 1428 tel que le présente “Le grand Almanach de Saint-Avold” (“Da Grossa Fora Colenna”) en 1891
Soupe de grenouilles du « Roderisse » Ecrevisse de la Misse Rôti de chevreuil du Walenberg Jambon de sanglier du Steinberg Choux de la « Homburgerwiese » Cochon de lait de Diesen Salade de mâche aux œufs durs Carpes de l’étang d’Oderfang
Dessert « Kirwenrambon » du Felsberg Poires du Geckenberg Fromage paysan d’Altviller Petits pains au lait et aux mûres Noisettes de la forêt de Saint-Avold Gâteau au miel du « vieux Jean »
Crus Vins rouge et blanc du Hepsstaberg Bière aux céréales du Kritzberg Vin de pommes de « Ostalich » Nectar au miel de la « Blomilchen »
La Carpe d’Or, dont le tenancier en 1769 est Pierre Nerenbourger, également boulanger et receveur de la Confrérie du Saint Sacrement.
Hostellerie de la Charrue : « séparée de l’hostellerie du Grand Cerf par une écurie et une forge », elle se trouve sur le « Kornmarkt », actuellement avenue Clémenceau à la hauteur du débit de tabac. Cet établissement est tenu de 1695 à 1709 par Jean Georges Metzinger, puis à partir de 1716 par Joachim Wahl.
Hostellerie de la Couronne dont « l’hostellain » est, en 1707, Didier Laurent qui meurt « noyé dans l’étang des bénédictines le 1er février 1732 ».
Hostellerie du Cheval Blanc – « Zum Weisen Ross » : située dans le faubourg de la ville (actuelle rue Foch – Garage Epin), appelée plus tard « Point du Jour », tenue en 1719 par Dominique Pratt.
Auberge de la Clef d’Or : de 1745 à 1758, l’auberge est tenue par Nicolas Casidanius.
Auberge au Cœur d’Argent tenue, en 1791, par Etienne Roeckel.
Hostellerie du Cygne : de 1706 à 1723, on y trouve Jean Glad, boucher et hostellain. Le 16 janvier1723 il est « renversé sous son cheval et tué malheureusement de la chute ».
Auberge du Dauphin Couronné ou du Dauphin, située sur la route de Sarrelouis (avenue Clémenceau – maison Goldité). En 1755 elle est tenue par Jean Quirin, également marchand de fer et charretier.
Hostellerie de L’Etoile, tenue de 1701 à 1704 par Jean Glad, qui semble avoir repris ensuite l’Hostellerie du Cygne ; à moins qu’il n’ait tout simplement changé d’enseigne.
Auberge de la Fleur d’Or, située au faubourg et tenue, en 1755, par Claude Lapierre qui rencontre des problèmes de voisinage avec Georges Porte, cabaretier du Faubourg à l’enseigne des Trois Rois : « l’un déposant des décombres et du sable, l’autre déversant du fumier sur la chaussée et fermant ainsi les écoulements d’eau provenant de Valmont… » !
Hostellerie du Grand Cerf, sise à l’intersection de la rue de Longeville et du Kornmarkt (avenue Clémenceau, actuellement café du Commerce), « Deux têtes de cerf étaient sculptées au dessus du linteau de la porte ». Le nom de cette enseigne est déjà mentionné en 1522. En 1694, elle est tenue par Valentin Gout, dit l’érudit « Feldengut », échevin d’église.
Hostellerie du Mouton d’Or, située 42 rue Hirschauer. « La clé de voute de la porte est datée de 1718 ». Les initiales CK – AB (Christmann Knoepfler - Appolinie Becker) y figurent ainsi qu’une « ancre gravée ».
Hostellerie à l’enseigne de Saint Nicolas : en 1631, c’est Sieur André Royer qui en est l’hostellain.
Hostellerie de l’Ours ou « de l’Ours Noir », tenue en 1721 par Jean Georges Schiltz, boulanger et hostellain. En 1753 on y trouve Jean Nicolas Sirker, puis, de 1754 à 1758, François Robert.
Hôtel de la Reine de France, actuellement hôtel de Paris. Situé au 45, rue du général Hirschauer, c’est une ancienne maison franche dans laquelle on peut encore admirer la chapelle « des Comtes de Créhange ». Cette chapelle aurait été construite vers 1575 en l’honneur de Pierre Ernest de Créhange et de son épouse la Comtesse de Mansfeld, dont les armoiries et le chiffre E (initiale de Ernest) couronné, figurent sur les clefs de voûte.
Hostellerie des Trois Rois, située au faubourg de la ville.
Hostellerie de la Ville de Rome, tenue vers 1690 – 1706 par André Spittel.
Le “Luxhof” au début du XXe siècle
Au XXe siècle
Le « Adressbuch der Stadt Saint-Avold » datant de 1909 nous permet de citer quelques hôtels, auberges et cafés naboriens de l’époque. Comme nous pouvons le constater, les enseignes y sont moins poétiques.
Sur la place de la Victoire (Marktplatz) où le tissu social est riche et dense on dénombre :
« Metzerhof » (Hôtel de Metz), qui vers 1920, est tenu par Th. Fleisch qui offre au client « pension – chambres pour voyageurs – garage – bains – billard et une salle pour fêtes ».
« Zur Gutten Quelle » (A la Bonne Source).
Luxhof, construit en 1898, baptisé successivement « Hôtel Central » en 1931, puis « Terminus » au moment où le tramway s’arrête place du Marché, et actuellement « Queen’s Café ».
Rue du Général Hirschauer (Lubelnerstrasse – rue de Longeville) on peut consommer :
Au Café Parisot; à l’Hôtel National avec une terrasse verdoyante ; au Pariser Hof (Hôtel de Paris, anciennement Hôtel de la Reine de France); au Münchener Kind’l (l’Enfant de Munich) situé au N°69, actuellement Crédit Mutuel. Cette auberge possède une enseigne en fer forgé qui porte l’effigie d’un enfant ; au Café Lazar, actuellement Biller Serrier.
Rue du Président Poincaré (Homburgerstrasse),
on peut s’arrêter à l’Hôtel Restaurant « Zur Sonne » (Au Soleil) qui possède une belle enseigne en fer forgé à l’effigie du soleil et qui peut accueillir outre ses clients, soixante chevaux dans ses écuries jouxtant son hôtel ; au Café Muller actuellement « aux Ducs d’Alsace » ainsi qu’à l’hôtel Zum Lothringer Hof (le café de l’Hôtel de Lorraine) situé au N°73.
Par ailleurs, il faut encore citer les hôtels ou auberges suivantes :
« Hôtel Zur Post » situé rue du Général de Gaulle.
« Kaiserhalle » installée en face des corps de garde de la « Kerzerrath Kaserne » recevant les Uhlans qui se sentent chez eux.
Hôtel Bristol, avec sa terrasse, situé à l’angle de l’ancienne rue Houllé et de la rue du Roi Albert (actuellement place du Marché) tenu par Antoine Moisy, chef réputé, ancien chef cuisinier du Kensington Palace à Londres qui a obtenu de nombreuses médailles. En 1915, l’enseigne se transforme en « Fürstenhof » et devient le siège du « Kaiserlicher Automobil Club » et du « Deutscher Colonialverein ». Le bâtiment est malheureusement rasé en 1980.
L’hôtel Bristol rebaptisé “Fürstenhof” en 1915
O 20 100 O (Au vin sans eau) situé rue Altmayer à proximité de l’ancien abattoir ; il a été rasé il y a une quarantaine d’années pour l’aménagement du parking du supermarché Record.
L’Hôtel d’Oderfang, qui se trouve, comme l’indique son nom, près de l’étang d’Oderfang, disparaît vers les années 1956-1959 et actuellement sert de centre aéré.
Le « Cambrinus », situé avenue Patton, actuellement pizzéria.
Au début du XXe siècle, Saint-Avold est une petite ville de garnison d’environ 6500 âmes dont 2500 militaires. Mme Léonie Grimaud raconte que « durant la période des manœuvres et particulièrement lors de « Kaisermanöver » les militaires affluaient vers la ville et, les casernements ne suffisant plus, les soldats étaient logés par l’habitant. A l’époque, chaque officier se devait de donner une soirée dite « Bierabend » où la bière coulait à flot. La « Sankt Naborbraü était très bonne grâce à l’excellence qualité de l’eau qui servait à sa fabrication. Une trentaine de cafés et restaurants accueillaient toute cette clientèle ».
Nous savons qu’au Moyen Age les enseignes ont servi de point de repère à la clientèle de passage ou aux clients qui ne savaient ni lire ni écrire : au fil du temps les noms des auberges ont évolué, tantôt poétiques, humoristiques ou pittoresques. Les enseignes ont été les premières manifestations publicitaires et ont agrémenté les rues de notre cité. De par leur variété, elles n’ont pu que favoriser le travail des forgerons et des peintres appelés à confectionner ces ferronneries d’art aujourd’hui remplacées par des néons éclairant des enseignes à consonance américaine. La poésie a disparu, tout comme l’atmosphère de bonhomie et la douce quiétude d’autrefois. Ces ferronneries d’art pourraient aider au développement du tourisme et être une particularité locale qui, sans être une publicité franche, offriraient tout simplement un regard sur le passé.
Victor Hugo a dit « … pour qui sait visiter une ville les enseignes ont un grand sens ! ». C’est donc avec nostalgie qu’on peut se demander aujourd’hui où sont passées nos enseignes d’antan.
La brasserie de Saint-Avold construite en 1895. Elle ferme ses portes et disparaît en 1920.