Le marché de la fête patronale en 1898
Foires et Marchés à Saint-Avold du Moyen-Âge à nos jours
Extraits de l’article d’Eve Merlin paru dans le « Cahier Naborien » numéro 6
À partir du Moyen-Âge et jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, les foires ont constitué en Europe l’instrument vital du commerce intérieur et international. Réunissant les changeurs et les correspondants des firmes des grandes cités marchandes, elles attiraient des commerçants ambulants qui, en marge de grandes affaires, fournissaient à la population des villes, des marchandises de consommation courante. Ces forains, qui allaient de bourg en bourg produire leur étalage aux jours de marché, étaient souvent accompagnés de bateleurs, artistes ambulants qui, pour leur part, montaient sur des trétaux de véritables spectacles ou simplement amusaient les badauds par leurs tours.
L’élargissement des marchés (que suscitent l’augmentation de la population et le progrès des transports) a donc contribué à la croissance commerciale. Les marchands étaient cependant exposés à des difficultés de conjoncture, comme la guerre de Sept Ans ou la crise frumentaire de 1770, ou encore les invasions allemandes du XIXe siècle. Il est intéressant de se pencher sur l’activité commerciale que constituent les foires et les marchés dans la ville lorraine de Saint-Avold.
Des débuts prometteurs
La route menant de Metz à Mayence a connu, dès l’époque romaine, une grande importance stratégique et le Pays Naborien a été, dès le Moyen-Âge, un point de passage obligé dans le cadre des échanges est-ouest ou nord-sud.
Les échanges commerciaux portaient sur l’approvisionnement en biens de consommation courants tels que le sel, les métaux et produits métalliques. (La Sarre ainsi que de nombreuses contrées de la Moselle et du Palatinat occidental dépendaient des livraisons de sel en provenance de la Moselle et du Duché de Lorraine). Dans le cadre de ces échanges régionaux, la région de Metz fut appelée à jouer un rôle d’autant plus important qu’elle se situait en début de la zone de passage de Nassau-Sarrebrück. Le marché de Saint-Nabor a tiré le plus grand profit des ces échanges régionaux voire internationaux.
Se dotant du “Stadtrecht” c’est-à-dire de libertés municipales impulsant le commerce grâce à l’émergence d’une petite bourgeoisie, Saint-Avold avait, au milieu du XVIe siècle, atteint un niveau de développement tel qu’elle aurait pu concurrencer Sarrebrück.
Si l’on excepte les produits de consommation durable destinés aux grandes foires, il existait une forte demande constante de sel et produits alimentaires. En Lorraine, les ressources de sel sont nombreuses et le “pays salin” est caractérisé par la présence du “briquetage”, c’est-à-dire d’une masse énorme d’objets en terre cuite qui apparaissent généralement sous la forme de petits boudins, de bâtonnets, de plaquettes ou même de godets, sur ou dans lesquels on versait de l’eau salée tandis qu’on les chauffait pour obtenir l’évaporation de l’eau : à la fin de l’opération, seul restait le sel qui adhérait aux parois de l’argile cuite et que l’on pouvait ainsi facilement récupérer.
Sur le marché de Saint-Avold, vers le milieu du XVe siècle, le verre avait une très grande importance et on commença d’ailleurs, à cette époque, à exporter du verre produit en Lorraine ainsi que dans le Warndt vers les marchés rhénans et hollandais.
Le marché hebdomadaire vers 1898
Du Moyen-Âge au XIXe siècle
Les différentes foires
Dans la seigneurie de Hombourg, les autorités ducales avaient créé après 1581 deux foires à Hombourg et quatre à Saint-Avold :
- à Noël,
- à la Mi-Carême,
- à Quasimodo,
- et le lundi après la Saint Adelphe.
Très souvent, ces foires s’accompagnaient de pèlerinages comme à Saint Blaise, Saint Gangolf, Saint Gràfinthal. Outre les foires, les bourgades importantes et parfois même des villages avaient leurs marchés hebdomadaires où les paysans des villages voisins mettaient en vente des oeufs, des poules, des oies, du beurre, des légumes, des grains.
A la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, on trouvait ainsi des marchés hebdomadaires à Saint-Avold et à Hombourg. Un marché, appelé Kessmarkt, avait lieu en 1580 à Saint-Avold chaque lundi.
Les dates des foires étaient établies bien à l’avance par les corps municipaux. Les règles étaient strictes mais elles apportaient néanmoins des avantages aux marchands. En effet, la concurrence était réduite; les jours de foire étaient répartis sur l’année ce qui permettait à chaque foire de chaque commune de profiter non seulement de la venue des habitants propres à la ville mais aussi des villes avoisinantes. Les risques de la concurrence étaient souvent étudiés. Ainsi, il avait été demandé qu’un marché puisse avoir lieu tous les mercredis à Hombourg, et bien que le marché hebdomadaire de St-Avold ne se déroule pas ce jour, la demande de Hombourg avait été rejetée lors de la séance du Conseil Municipal du 23 janvier 1852, ce marché pouvant faire ombrage à celui de Saint-Avold.
Dans une lettre datant du 29 août 1894, la commune de Boulay demandait l’accord du Conseil de Saint-Avold afin qu’elle puisse tenir un marché aux porcins le vendredi. Au cours de la séance extraordinaire du 14 septembre 1894, cet accord fut refusé car, là aussi, ce marché pouvait concurrencer celui de Saint-Avold.
Mais on surveillait aussi la concurrence entre les manifestations commerciales au sein d’une même commune. Ainsi, lors de la séance du 16 janvier 1833, le Conseil décida que la foire aux bestiaux qui se déroulait le premier lundi du mois d’août se déroulerait à l’avenir le premier lundi du mois d’avril. Les marchands considérèrent alors que cette nouvelle date était trop proche de celle de la Mi-Carême et que par conséquent la portée de la foire ne serait pas aussi importante et ils demandèrent donc que la première date soit conservée.
Très souvent des demandes d’installation de nouveaux marchés étaient faites. Ainsi, dans une lettre adressée au maire de la commune de Saint-Avold, un maître meunier, M. ALTMAYER, vante l’utilité et la réussite d’un marché à blé. En effet, nombreux seraient les habitants des villages avoisinants qui viendraient acheter leurs grains à Saint-Avold; ce marché faciliterait le transport de cette marchandise qu’ils devaient auparavant aller chercher beaucoup plus loin. (A cette époque, Saint-Avold était environné de trente-deux villages dont les plus éloignés étaient situés à douze kilomètres au maximum). De plus, ce qui est un très bon argument aux mains de M.ALTMAYER, la ville n’aurait pas de frais; le meunier ayant déjà une salle suffisamment grande. Le meunier met donc en valeur le fait qu’il serait facile d’installer ce marché à blé si utile et “d’intérêt général”.
Le meunier propose, si l’affaire se règle, de fournir chaque année trois cents kilogrammes de pain au profit des pauvres de la ville : cent cinquante kilogrammes le 30 décembre et cent cinquante kilogrammes l’avant veille de la Pentecôte. Et si le marché à grains n’avait pas le succès escompté, alors chaque souscripteur ne payerait que la moitié de la souscription. Le meunier proposait qu’au bout de trois ans, la ville pourrait soit louer, soit racheter son bâtiment pour continuer le marché; ceci bien entendu si les autorités “le pensaient convenable” c’est-à-dire si le meunier avait de graves difficultés. Le meunier obtint l’autorisation d’ouvrir ce marché à grains dans une lettre de la sous-préfecture de Sarreguemines au maire de Saint-Avold datant du 12 mars 1861.
Dans une lettre du 30 septembre 1861 adressée au maire de Saint-Avold, nous découvrons que le marché à grains n’a pas eu le succès escompté, que le meunier vient présenter la résiliation de son bail et qu’il demande à l’administration municipale d’accepter de payer trois cents francs de loyer et cent francs de dépenses personnelles.
Le Conseil avait accepté la proposition de l’installation du marché à grains; il pensait que cela pourrait redonner vie à la ville qui s’était vu déshéritée du chemin de fer et qui avait tellement besoin de ce nouveau mouvement commercial.
Le marché de la fête patronale en 1901
Des problèmes liés à la conjoncture : un difficile renouveau
C’est la guerre qui a pesé le plus lourd sur le destin de la région. La guerre “moderne”, celle de Trente Ans (1618-1648) raya de la carte plusieurs villages, détruisit papeteries et moulins établis sur la Rosselle et livra le pays aux hordes déchaînées des diverses armées en présence. Les conséquences politiques, économiques et sociologlques sont connues : départ des élites, retard des équipements, lenteur de la modernisation industrielle et concurrence sarroise. Saint-Avold a toujours été une ville commerçante mais elle a subi les différentes crises économiques.
Dans une lettre écrite en 1720 et adressée au Duc Léopold nous apprenons qu’il y avait avant cette date cinq foires à Saint-Avold :
- la première le lundi d’après la quatorzième journée du mois de Janvier
- la deuxième le lundi d’après la Mi-Carême
- la troisième le lundi d’après la Quasimodo
- la quatrième le lundi d’après la Pentecôte
- et la cinquième le jour de la décollation de Saint Jean-Baptiste La guerre de Trente Ans a provoqué la disparition de quatre de ces foires et l’auteur de cette lettre demande qu’elles soient rétablies.
Le XVIIIe siècle fut le théâtre des échecs de la politique extérieure de la monarchie et de la Lorraine qui perdit son indépendance en 1766. Il y eut la guerre de Sept Ans, la perte de l’Inde et du Canada qui firent sentir la nécessité de réformes.
Dès le début du règne de Louis XVI, naît une crise financière, politique et sociale (d’où sortira la Révolution de 1789).
De plus, même la grande route du sel qui favorisait tellement Saint-Avold au Moyen-Âge va être concurrencée. Aux environs de la moitié du XVIIIe siècle, les passages vosgiens sont progressivement aménagés au nord d’abord, au sud après 1750, où la Ferme impose l’ouverture de nouvelles routes du sel par les cols du Bonhomme et de Bussang pour compléter l’axe Dieuze - Saint-Avold - Sarrelouis.
Droits et devoirs. des marchands
Déjà au début du XVIIe siècle il existait une réglementation stricte des foires et des marchés. Des taxes étaient levées sur les marchandises vendues. On percevait aussi des droits d’étalage. Dans quelques villes comme Sierck, Bitche, Sarralbe, une partie de ces taxes revenait à la communauté pour l’entretien des murailles et de la voirie. Certaines foires étaient franches (on ne payait pas de taxes); à Saint-Avold, la foire du lundi après la Saint Adelphe était franche.
La réglementation des foires et des marchés était stricte. La vente des marchandises ne pouvait se faire avant l’heure fixée par les autorités. En général, le début de la vente était indiqué par l’enlèvement d’un drapeau ou d’une main de fer. Vers 1769, les marchés commençaient, à Saint-Avold, à cinq heures en été (et ce à partir du mois d’avril) et à huit heures en hiver, à partir du mois d’octobre. Il était interdit aux coquetiers de vendre leurs marchandises avant dix heures du matin en été et onze heures en hiver sous peine de payer vingt-cinq francs d’amende et de se faire confisquer ses denrées.
A Saint-Avold, tant que les deux mains de fer étaient suspendues aux halles et au marché, les étrangers ne pouvaient acheter de la marchandise. Si l’étranger enlevait les mains, il était passible d’une amende. Une surveillance particulière était exercée sur les mesures utilisées aux marchés et aux foires; à Saint-Avold, le maître des merciers et la Justice veillaient à la conversion des poids et mesures. Pour la vente des produits alimentaires et des animaux, des précautions d’hygiène étaient recommandées aux marchands. Il était interdit de vendre des herbes qui n’avaient pas été vérifiées par un médecin.
La réglementation comportait encore des dispositions relatives aux conditions de vente et de paiement. Elle autorisait la liberté des prix sauf pour le pain et la viande qui étaient taxés, mais elle interdisait la vente à crédit.
Depuis au moins le XVe siècle, il y avait à Saint-Avold une confrérie érigée à la gloire de Dieu et en l’honneur de Saint Nicolas. Après maintes délibérations du conseil et suite aux demandes effectuées par les marchands de la ville de Saint-Avold (membres de cette confrérie), un certain nombre d’articles fut octroyé. Il était permis aux marchands membres de la confrérie d’élire chaque année un maître qui était nommé après avoir prêté serment de fidélité et qui était tenu de rapporter les problèmes. Il devait se trouver à toutes les foires se déroulant à Saint-Avold afin de vérifier si chacun occupait bien la place qui lui était attibuée. Lorsque la pluie empêchait les marchands d’étaler sur la place, ceux-ci étaient prévenus de l’endroit qui leur était attribué pour étaler leurs marchandises. Le maître devait aux jours de foires et marchés également vérifier les marchandises exposées en vente et faisait rapport de celles qui étaient mauvaises et défectueuses aux gens de justice de Saint-Avold. Le marchand ayant exposé ces marchandises était alors puni et l’amende qu’il versait était partagée entre l’Evêque et les confrères.
Il était interdit d’exposer les dimanches et jours de fête. À chaque fois qu’un marchand était pris en train de commettre ce délit, il devait payer une amende. Les foires et marchés dont les jours coïncidaient avec les dimanches et jours de fête étaient transférés au premier jour ouvrable et aux premiers jours ouvrables suivants et consécutifs lorsque les manifestations commerciales devaient durer plusieurs jours de suite. Les marchands pouvaient toutefois exposer les jours prohibés et mettre en vente des images, des chapelets, des médailles et autres petits meubles de dévotion.
En 1360, un marchand devait verser une obole (c’est-à-dire la moitié d’un denier) pour pouvoir étaler ses marchandises chaque jour de marché. En 1587, il devait verser le double. Il paye pour le terrain qu’il occupe sur la place ou dans la rue ainsi que pour l’étal qu’il construit. Le 18 juillet 1774, un marchand a été condamné par sentence de l’Hôtel de Ville au payement d’une amende parce qu’il refusait de payer sous prétexte qu’il avait étalé ses marchandises chez un aubergiste. Depuis longtemps donc, les marchands devaient payer pour la place qu’ils occupaient et pour la place que leurs marchandises occupaient. Mais pendant de nombreuses décennies, le prélèvement des droits de location ainsi que le tarif étaient pratiqués sans qu’il y ait eu régularisation.
Le marché hebdomadaire en 1907
Foires et Marchés d’aujourd’hui
Aujourd’hui, il y a deux foires annuelles à Saint-Avold au cours desquelles les étals sont installés dans les rues de la ville et chaque semaine sont tenus deux marchés : l’un le mardi matin, c’est un marché aux légumes (cependant on peut y trouver des étals de marchandises diverses), l’autre le vendredi matin.
La société de consommation dans laquelle nous vivons a contribué à la disparition de certains artisans que l’on trouvait habituellement sur les marchés et dont on ne pouvait se passer aux XVIIIe et XIXe siècles. Ainsi, les chaudronniers ont disparu des marchés. Ils sont d’une part concurrencés par les usines et d’autre part même leur fonction de réparateur n’a plus d’intérêt ; les gens préférant souvent acheter un objet neuf plutôt que de faire réparer un objet cassé. Mais avec la disparition de certains biens et services, d’autres sont apparus. On a vu apparaître sur les marchés de nouveaux biens de consommation; autorisations ont été faites d’y mettre en vente de nouvelles marchandises. Ainsi vers 1930, le conseil a accordé, sur demande de l’association des commerçants, que les marchandises suivantes : biscuits secs en paquets, confiseries emballées, émail, souliers, verrerie, porcelaine, nouveautés, mercerie, vannerie, articles de bazar, puissent être vendues lors des marchés hebdomadaires.
Le mauvais temps est souvent cause de graves problèmes pour les marchands. Dans une région où la pluie, le froid et le vent couvrent une grande partie de l’année, les acheteurs se font de plus en plus rares sur les places des marchés. Ils préfèrent souvent se ravitailler dans les grandes surfaces où ils seront à l’abri des intempéries. De plus, ces grandes surfaces sont mieux adaptées aux besoins de la vie actuelle; tout est sur place, se fait plus rapidement, il y a un parking pour garer la voiture … et les prix pratiqués dans ces centres ne sont pas beaucoup plus élevés que sur les marchés.
Le commerce a toujours été très important à Saint-Avold. Les foires et les marchés ont eu pendant longtemps un grand succès même si des problèmes ont provoqué la disparition de certaines de ces manifestations commerciales. Ce sont en fait des phénomènes de la période actuelle tels que la mode, une concurrence très importante qui contribuent le plus au déclin des foires et des marchés.
Les articles publiés sur ce site restent la propriété de leurs auteurs et de la Société d’Histoire du Pays Naborien. Pour toute reproduction, adresser une demande préalable au Président de la S.H.P.N. 28 rue des Américains 57500 SAINT-AVOLD