Le quartier général du général Frossard à Saint-Avold
La guerre de 1870 à Saint-Avold et dans le pays naborien.
Extraits de l’article de Patrice Deschamps paru dans le Cahier du Pays Naborien numéro 22
Éclipsée par les événements des deux guerres mondiales du XXe siècle, la guerre franco-allemande de 1870-1871 et son histoire tombent peu à peu dans l’oubli. Dernière guerre d’uniformes chamarrés et de charges de cavalerie sabre au clair, dont les horreurs ont été masquées par la rareté des documents photographiques et les représentations héroïques des gravures de l’époque, elle a marqué durablement les relations entre les deux pays voisins et le sort des régions frontières de Lorraine et d’Alsace et représente une période importante de l’histoire du pays naborien.
Épargnée par les combats de l’été 1870, Saint-Avold ne figure pas, comme Spicheren, Gravelotte ou Saint Privat, dans la liste des nombreux champs de bataille lorrains. La ville a cependant joué un rôle important au cours du premier mois de cette guerre en servant de lieu de résidence à différents quartiers généraux des armées françaises puis allemandes, sensibles à la position stratégique du lieu et peut-être également à son charme.
Le camp de Saint-Avold : le second corps d’armée du général Frossard
Dès le 15 juillet 1870, le 2e corps d’armée, en manœuvre au camp de Châlons sous le commandement du général Frossard, a reçu l’ordre du ministre de la guerre de se mobiliser et de se porter vers la frontière en utilisant les voies ferrées. Il est prescrit au général Frossard de se masser en deçà de Saint-Avold, mais en s’éclairant jusqu’à la frontière. Sa mission est d’être l’œil de l’armée.
Le 17 juillet, le général arrive par train avec 430 hommes et 21 officiers du 3e bataillon de chasseurs à pied, sous les ordres du commandant Thomas, et installe son état-major en ville sur la place du marché. Des positions défensives sont rapidement mises en place pour couvrir l’arrivée progressive du reste des troupes.
À partir du 18, les trains débarquent les autres unités du corps, qui a pris l’appellation officielle de 2e corps de l’armée du Rhin. Les rues et la grand-place fourmillent de soldats et de cavaliers aux uniformes colorés où dominent le bleu et le rouge garance. Les officiers s’installent en ville, tandis que les hommes de troupe montent tentes et bivouacs aux alentours, occupant tous les emplacements possibles sur les hauteurs ou dans la vallée. Une grand-garde de chasseurs à pied a pris position dans le cimetière devant la chapelle Sainte-Croix avec les chassepots formés en faisceaux.
De nombreux correspondants de journaux ont également rejoint le camp de Saint-Avold. La présence en ville d’un bureau télégraphique permet l’envoi de dépêches pour tenir les lecteurs informés du déroulement de la guerre. Un article de l’envoyé américain du New York Times, en date du 20 juillet, décrit le camp :
« La position occupée par le camp de Saint-Avold est excellente vu qu’elle commande la vallée de la Sarre et est supportée par Metz sur sa gauche. Elle est proche de la frontière, la distance étant seulement de cinq kilomètres ou un peu plus de trois miles. Il y a un village, ou plutôt une ville, près du camp, dont les habitants parlent une sorte de patois allemand. Il y a une importante force à présent ici au camp, et le nombre augmente de jour en jour par l’arrivée de troupes fraîches de Châlons ou d’autres places. Le général Frossard a pris le commandement en chef avant-hier. Les troupes ont accueilli son arrivée avec grande satisfaction, car il a non seulement la réputation d’être un soldat capable, mais également d’un homme humain et aimable. […] Il y a un petit nombre de journalistes qui ont pris quartier en ville. Ils ont été pris pour des Prussiens par le patron de l’auberge où ils avaient fait halte et ont eu droit à une visite des autorités de la place pour contrôler leur nationalité. Bien sûr ils n’ont eu aucune difficulté pour établir la pureté de leur origine française. Je me demande si les respectables magistrats qui les ont examinés, et qui parlaient un jargon qui n’était ni de l’allemand ni du français, auraient pu se sortir aussi facilement de cette situation embarrassante […]. Il a été rapporté la nuit dernière que trois espions prussiens ont été arrêtés sur la route de Forbach. L’un d’entre eux était déguisé en femme et on dit qu’il a été tué ».
Le second corps d’armée est constitué de 3 divisions d’infanterie, d’une division de cavalerie, de 15 batteries d’artillerie (3 par division et 6 batteries de réserve) et de troupes du génie, soit un effectif théorique de plus de 26 000 hommes et 4 800 chevaux.
De Saint-Avold, le général Frossard déploie les 2e et 3e divisions (divisions Bataille et de Laveaucoupet) et les régiments de chasseurs à cheval le long de la frontière jusqu’à Forbach et à Sarreguemines, ville marquant la limite ouest du secteur dévolu au 5e corps d’armée du général de Failly qui protège le pays jusqu’au Rhin. La 1ère division du général Vergé reste à Saint-Avold avec la brigade de dragons du général Bachelier, l’artillerie de réserve du corps et le génie.
Le 20 juillet, les derniers régiments de cavalerie quittent la ville pour rejoindre Forbach. Patrouilles de reconnaissance le long de la frontière et accrochages avec les vedettes prussiennes se succèdent pendant une semaine.
Le 26 juillet, le maréchal Bazaine, commandant du 3e corps d’armée, vient à Saint-Avold reconnaître les positions occupées par le général Frossard. Le 29 juillet, Napoléon III, arrivé la veille à Metz pour prendre la tête de l’armée du Rhin, se rend à Saint-Avold par le chemin de fer. Il vient tenir un conseil de guerre en présence du maréchal Bazaine et du maréchal Lebœuf, major général de l’armée française. Comme le décrit un reporter belge présent, ce n’est pas un général conquérant mais un empereur maladif, donnant une impression d’apathie et de désespoir, qui parcourt les rues de la ville en voiture découverte. Il semble si fragile, que ses aides de camp se penchent au dessus de lui pour le protéger des fleurs lancées du haut des balcons et fenêtres par les Naboriens enthousiastes.
Après avoir passé en revue quelques troupes du camp, Napoléon III prend le train pour rejoindre Metz. De retour dans cette ville, il donne l’ordre au général Frossard de se rapprocher de la frontière, en avançant la division Vergé vers Béning et Merlebach et en portant le quartier général du 2e corps de Saint-Avold à Forbach.
Le 30 juillet au soir, le départ des unités est prescrit pour le lendemain matin à 10 heures. À l’aube du 31, le général Frossard donne l’ordre d’avancer le départ à 8 heures, puis, devant les difficultés rencontrées, il le reporte à l’heure initialement prévue. Cette suite d’ordres et de contre-ordres provoque une extrême confusion en ville. Des têtes de colonnes et des convois de voitures débouchent simultanément sur la place de Saint-Avold, rendant toute circulation impossible et obligeant les officiers à faire avancer des unités entremêlées pour dégager les routes.
Dans un télégramme en date du 30 juillet, le maréchal Bazaine confirme l’indécision qui règne au niveau du haut commandement : « J’ai vu hier l’Empereur à Saint-Avold, rien n’est encore arrêté sur les opérations que doit entreprendre l’armée française ».
Uniformes de l’armée française en 1870
Le camp de Saint-Avold : le 3e corps d’armée du maréchal Bazaine
Le 3e corps du maréchal Bazaine, en position plus à l’ouest autour de Boulay avec 4 divisions d’infanterie, une division de dragons et une brigade de chasseurs à cheval, remplace le 2e corps d’armée dans le secteur de Saint-Avold. Le maréchal et son état-major s’installent en ville le 31 juillet tandis que son escadron d’escorte du 2e régiment de chasseurs à cheval prend ses quartiers dans la caserne Fabert.
La division de Castagny rejoint Saint-Avold en passant par Longeville et établit son campement sur les hauteurs de la ville et autour de la gare pour protéger la voie de chemin de fer et la liaison Metz-Forbach. Le 2e régiment de chasseurs à cheval, attaché à la division, occupe la ferme des Anabaptistes au Wenheck. La division de dragons de Clérambault s’installe près de l’étang d’Oderfang. Les autres divisions d’infanterie sont réparties autour de la ville. La division Metman prend position dans le secteur de Varsberg, les divisions Montaudon et Decaen s’installent à Hombourg-Haut et à Boucheporn.
Campements du 2e corps autour de la ville. © Le monde illustré n°694, 30 juillet 1870.
Les opérations militaires du côté français
Journées du 2 au 5 août
Après de nombreux mouvements de troupes le long de la frontière, une opération d’envergure limitée est lancée le 2 août contre la ville de Sarrebruck en présence de l’Empereur et du prince héritier. Le 2e corps d’armée, en forte supériorité numérique, occupe la ville évacuée par les Prussiens mais ne franchit pas la Sarre et ne détruit ni les ponts ni les infrastructures ferroviaires.
Le quartier-général du maréchal Bazaine est maintenu à Saint-Avold. La division Metman quitte Varsberg, traverse Saint-Avold et avance jusqu’à Marienthal. La division de Castagny se porte en totalité sur Puttelange. Elle est remplacée sur les hauteurs de Saint-Avold par la division Decaen, en provenance de Téterchen, qui forme la réserve du 3e corps d’armée. Le 11e bataillon de chasseurs et les 44e et 60e régiments d’infanterie de ligne prennent position sur la route de Sarreguemines, le 80e de ligne et 3 batteries du 11e régiment d’artillerie occupent les hauteurs de la gare, et le 85e régiment d’infanterie de ligne s’installe à Moulin-Neuf. La division Montaudon reste à Sarreguemines.
Par un télégramme envoyé de Metz le 5 août à la dernière heure, l’empereur convoque les commandants de corps d’armée à une conférence pour le lendemain, à 13 heure 30 à Saint-Avold. Cette conférence est annulée le matin du 6 août, un télégramme ordonnant au général Frossard de rester à Forbach par crainte d’une attaque ennemie.
La bataille de Spicheren et ses conséquences
Le 6 août, malgré l’avantage de ses positions sur les hauteurs de Spicheren, et une vaillante résistance dans Stiring-Wendel et Forbach, le 2e corps d’armée doit reculer devant plus de 70 000 Prussiens. À la tombée de la nuit, le général Frossard ordonne la retraite. Exécutée d’abord avec méthode, ne laissant que peu de prises ou trophées aux Prussiens, elle va tourner dans la nuit au plus grand désordre, aggravé par la présence d’habitants des environs en fuite devant la menace d’invasion. Beaucoup de soldats s’étant échappés du champ de bataille dans toutes les directions ne rejoindront le gros des troupes que plusieurs jours après dans un état lamentable. Il en arrivera des bandes considérables à Saint-Avold.
Pendant la bataille, le maréchal Bazaine se refuse, par incompétence ou calculs d’ambition personnelle, à faire marcher le gros des troupes du 3e corps en renfort sur le champ de bataille, pourtant distant de moins de 25 kilomètres, pour y rétablir l’équilibre des forces. Au lieu de se porter sur le terrain pour évaluer l’importance de l’action ennemie, il reste à Saint-Avold et se contente d’échanges télégraphiques avec ses généraux de division. Quand, dans le milieu de l’après-midi, le maréchal se décide enfin à faire avancer de nouvelles troupes vers le champ de bataille, l’immobilisme puis les mouvements inutiles et le temps perdu ne permettront à aucune unité des divisions du 3e corps de prendre part au combat. De Saint-Avold, une brigade de dragons seulement (brigade de Juniac avec les 5e et 8e régiments) est envoyée en renfort. Elle ne jouera aucun rôle dans la bataille. Le 60e régiment d’infanterie envoyé tardivement par train ne pourra atteindre Forbach en raison de l’avancée allemande et des menaces de coupure de la voie ferrée. À 17 heures, Bazaine n’a toujours pas appréhendé la gravité de la situation alors que la bataille fait rage. Il télégraphie au général Frossard à Forbach : « Donnez-moi des nouvelles pour me tranquilliser ».
La journée du 6 août à Saint-Avold
À Saint-Avold, on entend les canonnades de la bataille qui se déroule autour de Forbach. Dans l’incertitude, la division Decaen se prépare à l’arrivée des Prussiens. Le 11e bataillon de chasseurs se porte sur des hauteurs qui s’étendent entre les routes de Forbach et de Sarrelouis où le génie fait construire une tranchée abri. Une batterie est mise en position et le parc du génie est mis à l’abri en ville. À partir de midi, les régiments de cavalerie tiennent leurs chevaux bridés et sellés et les régiments d’infanterie restent l’arme au pied, dans l’attente d’un ordre de marche dans la direction des combats qui ne viendra pas. La réserve d’artillerie du corps prend position à Valmont en gardant ses batteries attelées et prêtes à marcher.
Bazaine, qui, sous l’escorte de chasseurs à cheval, s’est porté le matin au devant des lignes, essuie des coups de feu venant de dragons prussiens avancés. Il l’indique à l’Empereur dans un télégramme adressé à Metz à 12 heures 30 pour l’informer des mouvements de troupe : « Les reconnaissances de ce matin n’avaient rien signalé. Cependant ce matin vers 8 heures ½ quand je suis allé sur la route de Carling visiter les avant-postes du 85e, nous avons reçu quelques coups de fusil de vedettes de cavalerie ».
Cette escarmouche donne au maréchal la fausse impression que l’ennemi, en marche à partir de Sarrelouis, est proche, et qu’il doit renforcer ses positions. Il envoie vers Boucheporn son 2e régiment de chasseurs qui revient sans avoir vu de soldats prussiens. L’après-midi, les régiments de cavalerie (la brigade de Maubranches avec les 2e et 4e régiments de dragons, et les 2e et 3e régiments de chasseurs à cheval) sont envoyés faire des reconnaissances aux alentours de la ville. Ils rentrent à leurs campements sans avoir rencontré d’ennemis. À la nuit tombante, les bruits de la bataille venant de l’est cessent. Aux espoirs de victoire ont succédé des rumeurs de défaite, mais l’incertitude règne toujours sur le sort de la bataille.
Les nouvelles de la défaite du 2e corps d’armée à Spicheren arrivent à Metz tard dans la soirée du 6 août. Napoléon III envisage initialement de reprendre l’offensive après avoir regroupé ses troupes à Saint-Avold, en faisant avancer sur la ville le 4e corps d’armée qui se trouve dans le secteur de Boulay et la garde impériale en réserve à Courcelles. Bazaine envoie de Saint-Avold une dépêche au général de Ladmirault, commandant du 4e corps : « D’après les instructions de l’empereur, mettez en marche sur Saint-Avold, où elles recevront des ordres, les 3 divisions de votre corps d’armée, la première arrivant demain à Saint-Avold, et les 2 autres, ainsi que tous les services, se dirigeant vers Boucheporn. […] De votre personne, vous établirez votre quartier général à Saint-Avold ».
La division Grenier du 4e corps (brigades de Bellecourt et de Pradier) marche de nuit de Boucheporn vers Saint-Avold qu’elle atteint le matin du 7 après avoir coupé à Longeville l’avant-garde de la Garde impériale qui inversera ensuite sa marche, et croisé des convois du 2e corps en retraite. En raison de l’encombrement causé par les nombreuses troupes déjà présentes, la division Grenier évite le centre et va s’installer à l’est de la ville, sur les pentes du Kreutzberg dominant la chapelle Sainte-Croix, en mettant l’artillerie du 1er régiment en batterie. Le 5e bataillon de chasseurs va occuper le village de Petit-Ebersviller.
La journée du 7 août
Le 7 août à 4h du matin, l’Empereur se prépare à prendre le train de Metz pour Saint-Avold afin de se porter au milieu de ses troupes, mais, informé de la situation difficile des unités en retraite, il renonce à l’offensive et décide un repli sur la Moselle. Il envoie le maréchal Lebœuf et son aide de camp, le général Favé, tenir un conseil de guerre à Saint-Avold avec le maréchal Bazaine, le général Bourbaki, commandant de la garde impériale, et d’autres généraux afin d’organiser la retraite.
Aux cantonnements du 3e corps, les régiments de cavalerie ont levé le camp à l’aube pour aller reconnaître les routes menant à la ville. Les chasseurs à cheval du 2e régiment trouvent la route de Forbach encombrée par des convois français en retraite.
Le maréchal Bazaine va accueillir ses visiteurs à la gare vers 7 heures pour les conduire en ville. Une dépêche du général de Ladmirault arrive peu après, annonçant l’ordre reçu de l’Empereur de ramener son 4e corps sur Metz . Cette information, confirmée par le général Grenier qui a été rappelé par son chef à Boulay, impose la concentration des troupes françaises devant Metz. La réunion pour planifier les conditions de la retraite va durer une partie de la matinée.
Les troupes du 3e corps commencent le soir même leurs mouvements vers Faulquemont puis Metz, sur des routes encombrées de civils fuyant l’avance prussienne. La division de cavalerie de réserve du général Forton avance de Folschviller à Marienthal afin de couvrir la retraite des unités qui quittent Puttelange. Elle reviendra à son cantonnement en fin de journée. Pour éviter un engorgement des troupes, les divisions Montaudon et Metman qui doivent rejoindre Faulquemont à partir de Puttelange se sont vues attribuer une route qui passe au sud de Saint-Avold. Une colonne de voitures avec tous les bagages de la division Metman traverse cependant la ville en direction de Faulquemont, avec 1 200 hommes qui se sont trouvés isolés du reste de leur division.
Uhlan (à gauche) et chevau-léger
La journée du 8 août
Une reconnaissance de cavalerie faite au petit matin signale la présence d’avant-postes d’infanterie prussiens à 5 kilomètres de la ville. L’artillerie du corps quitte Valmont et prend la route de Faulquemont, tandis que la division de cavalerie de réserve Forton se dirige de Folschviller vers Pont-à-Mousson.
Les unités de la division de Castagny, venant de Guenviller, croisent en avant de Saint-Avold les troupes des divisions Grenier et Decaen qui ont commencé leur retraite dans la nuit. Les 3 divisions se suivent sur la route de Longeville.
Les régiments de dragons et de chasseurs à cheval, chargés de couvrir l’arrière-garde de la division Decaen, quittent la ville par des chemins de traverse pour éviter la grand-route de Metz encombrée de troupes. Ils vont s’échelonner par escadrons à l’ouest de la ville. La 1ère batterie à cheval du 17e régiment d’artillerie prend position en avant de la cavalerie pour protéger la retraite de l’infanterie et de l’artillerie de réserve qui s’exécute en bon ordre et sans qu’un coup de feu ne soit tiré par l’ennemi.
Les 2 régiments de dragons de la brigade de Juniac, qui avaient été envoyés le 6 août à Forbach en renfort du corps d’armée du général Frossard, reviennent à marches forcées sur Saint-Avold en début d’après-midi puis rejoignent leur division à l’ouest de la ville pour participer également à la protection de la retraite du 3e corps.
Alors que s’élèvent au dessus de la ville des nuages de fumées générés par l’incendie d’un magasin à fourrage où l’on avait regroupé les approvisionnements abandonnés par les troupes en retraite, les soldats du 11e bataillon de chasseurs à pied, constituant l’arrière garde de la 4e division, sont les derniers fantassins à partir dans l’après-midi, protégés des attaques des uhlans prussiens par les dragons et chasseurs à cheval.
À 16 heures, le maréchal Bazaine ordonne une halte à Zimming et déploie ses troupes en ordre de bataille. Après deux heures de repos, la marche des troupes du 3e corps reprend vers Bionville, tandis que le maréchal rejoint Faulquemont où il établit son quartier général. Trois dragons du 2e régiment, capturés par des uhlans, seront les premiers prisonniers français amenés à Saint-Avold. Ils seront rejoints en captivité par des soldats malades ou des traînards isolés du gros des troupes en retraite.
Les Allemands entrent à Saint-Avold
À la différence de l’armée française où les régiments de cavalerie ont été peu et mal utilisés durant les premières semaines de guerre, les unités de cavalerie allemandes vont jouer un grand rôle lors de l’avance en territoire ennemi. Le haut commandement leur a attribué un rôle de reconnaissance mais également de maintien d’une pression permanente sur l’ennemi en gardant le contact avec les unités en retraite.
Le 8 août, les uhlans entrent dans Saint-Avold libre d’ennemis, sans qu’un coup de feu ne soit tiré. Les habitants qui n’ont pas fui la ville découvrent la silhouette caractéristique de ces cavaliers, qui sera souvent traitée par les peintres militaires, comme Alphonse de Neuville ou Édouard Detaille, dans leurs tableaux sur « l’année terrible », silhouette qui va devenir jusqu’à la première Guerre mondiale, pour les Français, l’image de l’ennemi prussien, mais, pour les Naboriens, l’image familière d’un régiment de leur garnison.
En plein centre-ville, le Rittmeister von dem Knesebeck a la surprise de tomber sur le major comte von Haeseler, de l’état-major de la 2e armée, qui, seul et son pistolet en main, vient d’entrer à Saint-Avold par la route du sud. Le colonel von Alvensleben, accompagné du comte Haeseler se rend chez le maire de la ville pour recueillir des informations et faire organiser le cantonnement de ses escadrons.
À 17 heures, le colonel von Alvensleben envoie à la division le message suivant : « L’ennemi a quitté Saint-Avold cet après-midi et se dirige vers Metz. Je le suis avec 3 escadrons. Ce soir je retourne à Saint-Avold avec 2 escadrons, le 3e reste au contact de l’ennemi. Un prisonnier du 4e régiment d’artillerie nous a dit qu’à Saint-Avold, il s’agissait du 3e corps de Bazaine, en particulier les régiments n° 81, 95, 62 et 51. Le Rittmeister von Leipziger du 3e régiment de uhlans nous informe de Biding que le lieu est inoccupé, de même que Puttelange que l’ennemi a quitté ce matin. Les traces de la retraite indiquent la direction de Metz ».
Position des armées le 8 août. On note l’imbrication du 3e corps d’armée allemand (qui constitue l’aile droite de la 2e armée) avec la 1ère armée autour de Forbach et le regroupement autour de Faulquemont des corps d’armée français talonnés par la cavalerie allemande de la 2e armée.
Le 9 août, comme à Sarreguemines, occupée sans combats la veille par le 17e régiment de hussards du Brunswick (5e division de cavalerie), puis par le 10e corps d’armée allemand, la Kommandantur diffuse en ville ses premières instructions : • Les habitants de la ville doivent livrer immédiatement les armes qu’ils possèdent. • Les habitants sont requis de donner de l’eau à boire aux troupes en marche traversant la ville. • Les fenêtres et portes des maisons, ainsi que toutes les boutiques et ateliers, doivent être immédiatement ouverts et leurs portes doivent le rester toute la nuit. • À partir de 9 heures du soir, la présence d’habitants de la ville dans les auberges n’est pas autorisée. • Les attroupements d’habitants dans les rues sont interdits. • îl doit être donné immédiatement suite aux exigences des patrouilles militaires. • Le ravitaillement des troupes en quartier en ville doit être assuré. Chaque homme doit recevoir par jour une livre de viande avec garniture, de la bière ou du vin, et du café le matin. Les contrevenants sont menacés de sanctions.
Un détachement du bataillon de pionniers est chargé de réquisitionner des voitures en ville, puis de rejoindre l’avant-garde à Longeville pour avancer sous l’escorte de dragons vers Faulquemont, en remettant en état la voie ferrée et les lignes télégraphiques.
L’état-major du 3e corps d’armée et les officiers et soldats du 20e régiment d’infanterie prennent leurs quartiers chez l’habitant, alors que la 12e brigade, avec les 24e et 64e régiments d’infanterie, bivouaque à l’est de la ville . Les unités de la 5e division se répartissent dans les villages de Hombourg, Macheren, Guenviller et Merlebach. À Hombourg-Haut, 2 officiers de l’état-major et une escouade de fusiliers du 8e régiment s’installent au presbytère, fraîchement accueillis par le curé du village. Le lendemain, 10 août, le prêtre refuse de mettre son église à disposition des soldats prussiens qui souhaitent y célébrer un office religieux, le temple protestant local n’étant qu’une simple salle. Ce n’est que sur présentation d’un ordre de réquisition écrit en français et en allemand que le prêtre accepte de remettre les clefs de l’édifice religieux où prennent place plus de 600 hommes de l’artillerie du corps d’armée.
De Longeville, la 6e division d’infanterie envoie des patrouilles du 2e régiment de dragons qui lui est attaché vers Boulay, Fouligny et Faulquemont. En questionnant les habitants de Faulquemont, les cavaliers obtiennent des informations intéressantes sur les mouvements des troupes françaises qui ont quitté la ville dans la journée du 9 et sur la visite dans la matinée de Napoléon III, venu par le train rencontrer le maréchal Bazaine.
Au soir du 9 août, les 1ère et 2e armées allemandes réunies reçoivent enfin l’ordre d’avancer vers Metz, la route de Sarrebruck à Nomény par Saint-Avold représentant la limite entre les 2 armées. La 1ère armée avec les 1er, 7e et 8e corps d’armée doit occuper Creutzwald et Carling avant d’avancer sur Boulay, Boucheporn et Marange. L’axe Saint-Avold-Faulquemont-Herny est dévolu aux unités de la 2e armée allemande du prince Frédéric-Charles.
Le soir même, la 1ère armée fait avancer sa cavalerie, soutenue par de l’avant-garde, afin de permettre le rassemblement des armées allemandes. L’occupation de la ville de Saint-Avold est annoncée dans la 12e dépêche de guerre du grand quartier général, rédigée à Sarrebruck à 23 heures 45.
Le 11 août, peu après midi, le roi de Prusse Guillaume Ier quitte Sarrebruck, après le départ d’une grande partie de son état-major. Il franchit la frontière à Forbach. Dans Saint-Avold, les habitants qui n’ont pas fui font la haie le long des rues de la ville et se découvrent au passage de la calèche découverte dans laquelle a pris place le roi.
À l’arrivée à son nouveau quartier général de Saint-Avold qui se trouve devant la poste, sa majesté est accueillie par une compagnie du 8e régiment de grenadiers du Brandebourg avec le drapeau du 1er bataillon et la musique du régiment comme garde d’honneur. Comme l’avait fait avant lui le maréchal Blücher en janvier 1814, le roi de Prusse établit son premier quartier général en territoire ennemi du 11 au 13 août à l’hôtel de la Poste. Cet événement fut rappelé pendant la période de l’annexion par une plaque commémorative apposée en 1890 sur la façade de l’hôtel (illustration ci-contre). Les autres unités du 3e corps ayant quitté la ville, le régiment de grenadiers assurera la garde du roi et du grand quartier général pendant leur séjour à Saint-Avold.
Le correspondant d’un journal allemand est témoin de l’arrivée du souverain en ville : « Lors de l’arrivée du roi de Prusse, passe dans la même rue un convoi de prisonniers français, encadrés par des grenadiers du régiment, qui se dirigent vers la gare pour être envoyés en captivité dans des forteresses d’Allemagne. La population qui se presse autour d’eux semble porter une grande attention à ses compatriotes prisonniers. Le combat de Forbach ne s’est pas étendu à Saint-Avold, et la retraite du corps de Frossard s’est faite au nord de la ville, qui a donc été préservée des horreurs de la guerre. Les habitants français de la ville, qui n’ont lu et entendu parler par les troupes qui étaient concentrées ici que d’inévitables victoires, ne peuvent pas encore saisir la réalité. Leur déception est donc pardonnable. Elle sera encore plus grande à Nancy, Metz ou Thionville et s’exprimera en découragement, surtout quand les journaux parisiens parleront de la défense des défilés des Vosges, alors que la retraite sur Châlons était certaine ».
Si Guillaume Ier a le commandement suprême des armées allemandes, le véritable commandement en chef est assuré par le général von Moltke, secondé par le général von Podbielski, quartier maître général. Le ministre de la guerre von Roon et le chancelier de Prusse Otto von Bismarck accompagnent le roi. De nombreux officiers et personnages de haut rang sont présents au grand quartier général. Celui-ci comprend le cabinet militaire du roi et sa maison militaire, les bureaux de l’état-major général, de l’inspection générale de l’artillerie, du génie et de l’intendance, la commission des transports par chemin de fer, le commandement du quartier général, l’escorte du roi, la direction de la télégraphie militaire, du service des vivres de campagne, des postes de campagne, et des délégations du ministère de la guerre et de la chancellerie.
Tout cet effectif qui s’élève à environ 900 personnes doit donc être logé en ville, avec, pour certains hauts personnages, en particulier pour les représentants de maisons régnantes d’Allemagne (le prince Charles de Prusse, le grand-duc de Saxe-Weimar-Eisenach, le prince Luitpold de Bavière, le grand-duc de Mecklenburg-Schwerin) les égards dus à leur rang . Le général von Moltke est logé à l’hôtel de Paris, un seul soldat assis dans le couloir assurant la garde de la porte de sa chambre pendant la nuit.
Dans la matinée du 12 août, le roi assiste à un défilé militaire sur la grand-place de Saint-Avold. Un journaliste anglais du Daily News qui suit l’avance des troupes prussiennes décrit la scène : « Pendant plus de deux heures, le roi est resté debout sur la place du marché, près de la route qui la partage par le milieu. A son côté était von Moltke, le visage émacié et les cheveux hirsutes, mince et nerveux. Juste derrière lui se tenait Bismarck semblant prêt à combattre. Quelques officiers généraux étaient autour de lui, mais sans donner l’apparence d’un état-major, d’une garde ou d’une escorte. (…) Pendant les deux heures durant lesquelles le roi se tint sur cette place du marché, passa devant lui un flot incessant de troupes de l’armée dont il était le chef. D’abord ce fut un régiment de cuirassiers à la tenue blanche et à la poitrine protégée par une cuirasse, le sol vibrant sous les pas de leurs grands chevaux et l’air vibrant des puissants hourras lancés à pleine poitrine. Ensuite vint un régiment d’infanterie, fort de 3 bataillons, chacun avec sa fanfare jouant en tête, les hommes par rangs de 8 déjà marqués par la marche et les bivouacs et semblant prêts à tout et à aller n’importe où… ».
L’après-midi, à partir de Saint-Avold, le roi va visiter le champ de bataille de Spicheren et les hôpitaux aux alentours, remerciant et félicitant les soldats rencontrés . Le 13 août vers 14 heures, le grand quartier général quitte la ville et rejoint Faulquemont et Herny par une route encombrée de convois d’ambulances et d’artillerie et de colonnes d’infanterie du 9e corps en marche (84e et 36e régiments) , pour suivre l’avance sur Metz des deux armées allemandes. Il est remplacé par des unités du 2e corps d’armée allemand, corps de réserve de la 2e armée, qui atteint à son tour le secteur de Saint-Avold.
La fin de la guerre
Avec les défaites des armées impériales autour de la ville de Metz, puis la capitulation de la ville fin octobre après un long siège, toute la Lorraine, à l’exception de la citadelle de Bitche assiégée qui résistera jusqu’à la fin des hostilités, est occupée pendant que la guerre se déplace vers l’intérieur du pays.
Saint-Avold sera une ville étape pour de nombreuses unités en marche vers la France, pour combattre, puis pour occuper le pays. Au début de 1871, un détachement du 5e régiment de grenadiers (4e de Prusse Orientale) est présent en ville, en raison des difficultés de casernement dans la ville de Metz, submergée de troupes diverses .
Le 10 mai 1871, le traité de Francfort, signé entre la France vaincue, la Prusse et les états allemands, marque la fin officielle des hostilités et confirme la cession de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, avec création d’un “Reichsland Elsass-Lothringen” rattaché au tout nouvel empire allemand.
Commémoration de la bataille de Spicheren
En collaboration avec le 30e régiment d’infanterie Graf Werder de Sarrelouis, le 67e régiment d’infanterie de l’association historique des hauteurs de Spicheren remet régulièrement en scène la bataille du 6 août 1870 et permet de découvrir la vie au camp des soldats français ou prussiens. La Société allemande des uniformes historiques “Deutsche Gesellschaft für Historische Uniformen” s’associe à ces reconstitutions. La dernière en date s’est déroulée le dimanche 10 juin 2012.