Pour une réhabilitation : Joseph KOESTEL, un maire de carrière apprécié de ses concitoyens et injustement traité (1908-1918).

par Pascal Flaus Extraits de l’article paru dans le numéro 20 du “Cahier du Pays Naborien”

Le Reichsland Elsass-Lothringen : une nouvelle structure administrative dans le IIe Reich.

Après la défaite de Spicheren le 6 août 1870, les troupes prussiennes de la 2e Armée du prince Frédéric pénètrent le 9 août 1870 à Saint-Avold abandonnée dans la plus grande confusion par les Français du général Bazaine. Le grand état-major, sous la conduite de Guillaume Ier, roi de Prusse, de Molkte et de Bismarck, établit son premier quartier général sur le sol français. Le roi, futur empereur d’Allemagne, séjourne de l’après-midi du jeudi 11 août au 13 août 1870 dans l’immeuble aujourd’hui 1 rue de Gaulle, à l’époque l’Hôtel de la Poste, et sur lequel est posée une plaque commémorative le 3 mars 1890.

La ville est alors occupée jusqu’en 1878 par deux escadrons bavarois de chevau-légers. Entre-temps le roi de Prusse, en route vers Pont-à-Mousson, constitue un Gouvernement Général d’Alsace suivi, le 21 août, par la création du Gouvernement de la Lorraine. L’ordonnance du 26 août 1870 rattache les arrondissements de Château-Salins, Sarrebourg, Sarreguemines, Metz et Thionville au Gouvernement Général d’Alsace et de Lorraine allemande. Le traité de Francfort, signé le 10 mai 1871, consacre le transfert de souveraineté du IIe Reich sur l’Alsace et la Moselle.

En 1870, la ville de Saint-Avold est dirigée par un maire assisté de 23 conseillers, dont deux adjoints, élus pour une période de sept années par les hommes de plus de 25 ans inscrits sur les listes électorales et jouissant de leurs droits civiques. Le maire, pivot de l’administration, et ses adjoints sont désignés par ordonnance impériale parmi les membres élus du conseil municipal ou à l’extérieur de celui-ci. Le premier adjoint remplace le maire en cas d’absence ou d’indisponibilité. Les décisions sont prises à la majorité des membres lors des quatre séances ordinaires du conseil municipal, en février, mai, août et novembre, et de séances extraordinaires multiples. Le conseil vote le budget, achète, vend et aliène les biens mobiliers et immobiliers. Il fixe le tarif des places aux foires et marchés, les centimes additionnels affectés à l’entretien des chemins vicinaux. Il augmente et baisse les tarifs de l’octroi. Tout conseil peut être suspendu par le préfet ou même dissout par décret impérial jusqu’en 1879, puis par le Statthalter (gouverneur), nouvelle autorité de tutelle, après adoption d’une nouvelle constitution.

Après une vingtaine d’années, caractérisées par une difficile adaptation au nouveau régime, une autre génération accède au pouvoir. Il s’agit de fonctionnaires ou de représentants de professions libérales qui n’ont connu que l’école du Kaiser et une période au cours de laquelle l’Allemagne s’est hissée au rang de grande nation dynamique et sociale.

Une ère nouvelle : de Robert HEIN à Joseph KOESTEL (1894-1908).

Robert Hein entre en fonction à Saint-Avold le 26 septembre 1894. Il préside aux destinées de la ville de 1894 à 1908, en trois mandats successifs. Pour trouver une légitimité auprès des habitants, il se présente aux élections municipales des 15 et 22 juin 1902 qu’il gagne haut la main. Les années de mandat de Robert Hein sont marquées par un fort développement économique, une belle croissance favorisée par le nouveau cadre communal propre à l’Alsace-Lorraine. La loi municipale du 6 juin 1895 ou loi du Pays, c’est-à-dire spécifique à l’Alsace-Lorraine, constitue une réforme importante par ses apports techniques et par sa résonance politique durable.

Robert Hein démissionne le 23 juin 1908, après 14 ans d’exercice. Pour lui témoigner sa gratitude, le conseil municipal lui octroie une pension annuelle de 800 M. Il quitte Saint-Avold avec son épouse pour se retirer dans sa Silésie natale. De grandioses cérémonies d’adieu sont organisées par la Ville à l’Hôtel de la Poste, trop petit pour accueillir la foule, en présence du sous-préfet et du commandant de la garnison. Le 24 septembre 1908, nous lisons dans le “Sankt Avolder Anzeiger” : « sous le mandat de notre maire, la ville s’est dotée d’une conduite d’eau et de gaz. Un nouvel hôpital municipal a été construit, doté des installations les plus modernes, de même qu’un nouvel abattoir. La garnison s’est agrandie. La ville a aussi construit une nouvelle école (il s’agit de l’école des garçons, actuelle école Pierre Frisch, inaugurée le 6 janvier 1909), une canalisation, une nouvelle classe d’enseignement secondaire ont été aménagées ».

Joseph KOESTEL, un maire de carrière apprècié

En fait, la démission du maire est préparée par l’administration. Dans une délibération du 27 juillet 1908, le conseil municipal crée une commission spéciale chargée, sous la présidence du maire et de son premier adjoint Pierre Collin, de mettre le poste à concours et de réceptionner les avis de candidatures. Jusqu’à la date du 21 août 1908, neuf candidats répondent aux différentes annonces parues dans les journaux locaux et nationaux. La commission retient deux candidats potentiels, le secrétaire d’État Joseph Koestel et le contrôleur des douanes Herbert de Rothau. Il s’agit là de deux jeunes hauts fonctionnaires alsaciens qui ont fait leur carrière dans la nouvelle administration du Reich. Afin de rendre le poste plus attractif, le conseil municipal fixe le traitement du maire à 5000 M, dans une délibération du 31 août 1908. Il se range à l’opinion du gouvernement et désigne Koestel au poste de maire. L’administration centrale réagit très vite puisque dès le 4 septembre 1908, le préfet demande au sous-secrétaire d’État à Strasbourg de délier Koestel de son emploi pour qu’il puisse rejoindre son poste à Saint-Avold au plus vite. Les frais de déplacement ne lui sont pas accordés. Par décret impérial, il est désigné maire de carrière de la ville le 10 septembre 1908. Comme son salaire est de 5000 M, l’intéressé renonce pendant toute la durée de son mandat à son salaire de fonctionnaire d’État et à sa pension militaire. Il est mis en congé de cette fonction publique et ne peut la réintégrer qu’après avoir renoncé au poste de maire. Le cumul des emplois n’a pas cours en Allemagne.

Joseph Koestel prête serment en présence du sous-préfet et du conseil municipal, le jeudi 1er octobre 1908 à 17 heures. Au cours de cette cérémonie, il remercie le conseil et le gouvernement pour la confiance témoignée. Il promet de remplir son devoir avec fidélité et confiance pour le bien et la prospérité de la ville de Saint-Avold. Une réception est ensuite organisée à l’Hotel zur Post en présence de tous les notables qui prennent contact avec le premier magistrat de la ville.

La famille Koestel dans son jardin.

Une ville en plein essor

Sous la pression des militaires et parfois avec leur aide, la ville se lance dans une politique de grands travaux avec le pavage de rues, l’aménagement de trottoirs et la construction du temple de la garnison. Joseph Koestel poursuit cette politique volontariste. Il achève les travaux de canalisation en 1909 et se lance dans l’électrification de la ville en 1913. Il inaugure le 6 janvier 1909 la nouvelle école des garçons de la Mertzelle réalisée par son prédécesseur. Sous son mandat, la société “Bergmann-Elektrizitätswerke Aktiengesellschaft” , de Brême, entreprend la construction d’une ligne de tramway électrique reliant la place du marché à la gare d’un coût total de 260 000 M. Afin de s’allier la population ctholique de la cité, il participe au financement des travaux de restauration de l’église abbatiale entrepris par l’archiprêtre Nicolas Dicop, en faisant voter par le conseil municipal une dotation de 12 000 M versés en trois annuités. Par un courrier de décembre 1910, Nicolas Dicop remercie chaleureusement le maire et l’ensemble du conseil municipal pour leur aide et leurs conseils dans la restauration de l’église paroissiale. Il répond aussi positivement à la demande de l’administration centrale en mettant à sa disposition plusieurs terrains pour la construction du nouveau tribunal cantonal, route de Sarrelouis, en 1913-1915.

Dès son entrée en fonction, le nouveau maire prend conscience de l’étroitesse des bâtiments de l’Hôtel de ville situé rue des Charrons. En 1910, il acquiert la maison Hayer au 65 de la rue de Longeville pour en faire un nouvel Hôtel de ville. Après quelques retards dus à des problèmes avec l’armée, les services municipaux intègrent le bâtiment rénové début 1917. Dans le domaine des finances, il augmente les recettes de la commune par l’acquisition de biens et notamment par l’achat de la ferme du Wenheck le 23 décembre 1908. Il augmente les recettes de la commune qui passent de 78 000 M en 1903 à 200 000 M en 1913. A cette date, les finances de la ville sont assainies.

Accueil du Régiment de chasseurs à cheval.

Une ville de garnison frontalière en 1914-1918 : L’armée s’empare du pouvoir.

Dans une ville de garnison comme Saint-Avold cohabitent avec plus ou moins de bonheur deux sociétés : les militaires de la garnison, exclus du droit de vote, repliés sur eux-mêmes et dont les relations complexes avec la population civile sont dictées par l’intérêt réciproque, et le petit commerce local qui vit mieux, car certains habitants trouvent du travail à l’intendance militaire ou dans les ateliers régimentaires. Le dimanche, dans les cafés de la ville, les militaires à la recherche de distractions s’adonnent à la danse. Les Naboriens de vieille souche appellent ces bals « les combats de taureaux ». Les jeunes gens de la ville n’apprécient pas de voir les militaires danser avec de jeunes Naboriennes. Il en résulte de nombreuses bagarres, comme dans beaucoup de villes de garnison. Mais par ailleurs les relations au sein de la population entre civils allemands et autochtones semblent avoir été bonnes. La germanisation fait des progrès rapides au début du siècle.

L’été 1914 s’annonce doux et chaud quand brusquement la situation internationale se dégrade avec l’assassinat de l’archiduc Ferdinand à Sarajevo le 28 juin 1914. Le 31 juillet, Guillaume II proclame « l’état de danger de guerre » (Kriegsgefahrzustand) qui place le pouvoir civil sous le contrôle des autorités militaires. L’état de siège est instauré. Le 1er août l’ordre de mobilisation parvient à l’Hôtel de ville de Saint-Avold à 18 heures. Il fait du maire un auxiliaire du commandant de la garnison qui doit appliquer ses directives. La proximité du front accentue la pression avec les cantonnements, la mobilisation générale, la mise en place d’une économie de guerre.

Dès le mois d’août, la situation se tend entre Joseph Koestel et le commandant de la place. Ce dernier ordonne au maire de se rendre en mairie de 8h du matin à 18h pour fixer le prix des denrées. Il accuse le maire de ne pas porter de brassard noir et rouge. Le maire réplique qu’investi du pouvoir de police, il n’a pas à le faire. L’officier envoie deux soldats consigner le maire le 15 août 1914. L’autorité supérieure pense à le suspendre en l’accusant de francophilie. Le sous-préfet tente de le défendre en affirmant, ce qui est vrai, qu’il a toujours été en bons termes avec l’armée. Le 2 septembre 1914 Koestel menace de démissionner. Le sous-préfet, après une ultime entrevue, le persuade de rester.

Après ces difficultés, le couple Koestel s’efforce d’alléger le poids de la guerre et ses souffrances. La ville organise des collectes à grande échelle. Le concert de musique classique, patronné par la Ville, donné à l’église paroissiale le 29 novembre 1914 au profit des blessés, connaît un succès important. La section naborienne de l’association de secours aux veuves et orphelins de guerre patronnée par l’Impératrice est dirigée par Madame Koestel et se dépense sans compter : elle fait un don annuel de 400 M au profit des orphelins et reverse chaque année à chaque orphelin de moins de 18 ans 168 M collectés par la Croix-Rouge locale. L’association des femmes patriotes dirigée par les épouses de militaires collecte des vêtements chauds et des fonds : par exemple, 1000 caleçons et 9200 M en 1916. Néanmoins la situation se dégrade en 1917, le blocus allié se fait sentir, les rationnements sont de plus en plus drastiques. Les jeunes de la ville payent un lourd tribut à la guerre puisque, sur 300 incorporés, 80 décèdent dans les combats.

Joseph Koestel remercié par les autorités françaises.

Dans une ambiance de fin de règne et de morosité générale, Joseph Koestel reçoit l’Empereur Guillaume II le 20 septembre 1918. Celui-ci fait une visite éclair de quelques heures à des blessés de la garnison. La situation sur le front ouest est préoccupante. L’Allemagne est quasiment acculée à la reddition. Lorsqu’éclate la Révolution en Allemagne, un marin du nom de Später, en permission à Saint-Avold, provoque un incident le samedi 9 novembre. Sous prétexte que la guerre a assez duré, il refuse de saluer un officier qui le fait consigner par quatre soldats. Mais ceux-ci s’emparent de l’officier qu’ils enferment à la caserne…et c’est le début d’une révolution. Le dimanche 10 novembre, officiers en tête, des militaires, sans épaulettes ni boutons, défilent à travers la ville ; ils portent les mitrailleuses sur les épaules. Après le départ de l’armée allemande, Koestel tente de veiller au maintien de l’ordre. Il crée une milice communale, la “Bürgerwehr”, dirigée par son ami Heinrich Lohr, conseiller municipal.

Non loin du front sud, l’armée allemande a installé des vivres au “Proviantamt”. Les samedi 18 et dimanche 19, une population poussée à bout par les privations pille ce dépôt principal, la caserne d’infanterie et le magasin d’habillement. La milice aurait ouvert le feu et fait quatre morts. Le maire permet à Théodore Paqué de constituer un comité d’accueil pour préparer l’entrée des troupes françaises le 21 novembre 1918. Celui-ci prononce le discours d’accueil. La loi martiale est instaurée, la population désarmée.

Discours du maire à l’occasion de l’accueil des troupes françaises le 21 novembre 1918

Le conseil municipal confirme le maire dans une délibération du 30 novembre 1918. Rappelons que celui-ci est élu, en vertu de la loi de 1895, jusqu’au 30 septembre 1920. Il est néanmoins démis de ses fonctions le 2 décembre 1918. Les quatre autres membres allemands du conseil, qualifiés de renégats, sont expulsés et remplacés par cinq personnes extérieures, en application des mesures transitoires du gouvernement français.

Théodore Paqué est élu maire par un conseil municipal recomposé. Joseph Koestel, démis de sa fonction, n’est pas banni de Saint-Avold car, alsacien, il est réintégré de plein droit dans la nationalité française à l’armistice en vertu du Traité de Versailles. Le conseil lui supprime ses émoluments.

En fait, l’administration française refuse son intégration dans la fonction publique. Elle justifie son refus par les sentiments pro-allemands de l’intéressé et par les agissements d’un de ses fils, Walter, dans le mouvement autonomiste. Finalement l’administration décide de lui verser un secours non rétroactif de 4000 F par an à partir d’avril 1921. Celui-ci est suspendu en 1922, puis ramené à 1500 F en 1923, puis totalement supprimé. En butte à de nombreuses difficultés, calomnié, accusé de s’être enrichi pendant la guerre en achetant la tuilerie de Téting, il perd le procès intenté à la Ville et liquide ses biens qu’il vend à son associé Charles Farigoule. Entre temps, Joseph Koestel a demandé la nationalité allemande par la voie de la réintégration, et l’a obtenue le 14 mars 1923. Il quitte la ville le 24 mars 1924 pour Stuttgart, où sa famille est déjà installée depuis 1922. Une nouvelle vie commence.

Conclusion

Les maires de carrière comme Joseph Koestel ont fait la preuve de leur efficacité. Fonctionnaires consciencieux issus de l’armée puis de la haute fonction publique du Land, extérieurs à la ville, ils gèrent la cité en bons pères de familles, soucieux de l’intérêt public. L’éviction de Joseph Koestel dans les conditions relatées ici n’est pas digne d’un État de droit qui se targue d’être le berceau des droits de l’homme. Elle présage un difficile retour de l’Alsace-Lorraine dans le giron de la mère patrie et concourt au malaise de la région et au développement de l’autonomisme. Dans cet extrait du contrôle postal à Metz, daté du 30 novembre 1918, il est dit : « On a mis notre maire sur le pavé, on l’a calomnié et certes il a fait beaucoup pour les habitants de la ville et les a protégés contre le militarisme. Aucun de ceux-là n’ont été mis de l’autre côté du Rhin et 23 étaient sur la liste noire. Je croyais l’esprit français plus large que cela et on verra trop tard qu’une faute aura été commise ».