Mariage et Baptême à Saint-Avold au début du XXeme siècle
Souvenirs d’une Naborienne Extraits de l’article de Léonie Grimaud-Georgin paru dans le “Cahier Naborien” n° 8
Le mariage
On se mariait tard : il y avait l’apprentissage d’un métier qui prenait cinq ans, s’y ajoutait souvent le compagnonnage sans oublier sept ans de service militaire.
On connaissait le mariage de coeur, le mariage de tête, de raison, le mariage de remembrement et le mariage forcé. Les rencontres se faisaient à la chorale paroissiale, à la “Kirb”, aux feux de la Saint-Jean, lors des décès ou des mariages, ou encore par entremetteuse. Dans les familles juives, celle-ci touchait un pourcentage sur la dot.
Il fallait que la jeune fille sache “kochen, backen, bùchen” (faire la cuisine, faire le pain, faire la lessive). Les familles des futurs étaient réciproquement inspectées : il importait d’éviter le goître, le pied bot, l’albinos, le poitrinaire, les enfants avec “Wasserkopf” (hydrocéphalie), ceux qui bégayent.
Le jeune homme devait avoir fait son service militaire. Ne pas l’avoir effectué était une honte. Le jeune homme ne devait pas être roux et il devait avoir un métier. Le mariage consanguin était fréquent, mais il fallait une dispense de l’Eglise que l’évêque donnait contre paiement. Un mariage de ce type était célébré ailleurs que dans l’église paroissiale.
Après 1870, Saint-Avold, ville de garnison, connut une situation particulière. Souvent les parents refusaient d’accepter un Allemand comme gendre, d’autant plus que celui-ci était la plupart du temps protestant. Les enfants de ces couples étaient mal acceptés. La situation ne s’est régularisée que plus tard. Les mariages “mùss” (forcés) étaient célébrés discrètement en la chapelle des Saintes Douleurs.
Avant le mariage, les futurs époux devaient aller chez Monsieur le Curé pour y montrer leur connaissance du catéchisme, établir la promesse de mariage, les bans qui étaient publiés par trois fois. Le jeune homme recevait du curé “Der keùsche Jüngling”, la jeune fille “Die keùsche Jùngfrau”, livres préparatoires à la vie de couple.
La cérémonie du mariage religieux connaissait trois classes. La première classe, par exemple, déroulait un tapis rouge jusqu’à la route, devant l’église et la messe était dite à trois prêtres. Les parents bénissaient la future mariée qui, avant le mariage, déposait sur l’autel de la Vierge son ruban bleu et sa médaille d’enfant de Marie. Les dates privilégiées pour la cérémonie étaient le mardi de Pâques, le mardi avant la Saint-Martin (11 novembre) et surtout le mardi de la fête patronale, la “Forakirb”. On ne se mariait jamais durant le Carême ou l’Avent, et surtout pas en mai, mois consacré à la Vierge.
Le jour de la cérémonie, il fallait porter quelque chose de pieux, de vieux et d’emprunté. La jeune fille portait une couronne : la fleur d’oranger était l’apanage des Lorrains à sentiments français, la fleur d’aubépine était allemande. Le “Myrthenkranz” était porté par les jeunes filles germaniques, de même que l’anneau à la main droite.
C’était en calèche Bund qu’on se rendait à l’église ou à la basilique. M. Bund possédait une “Kùtsch” avec laquelle il se louait pour les mariages, les baptêmes. Parmi les invités, il fallait compter la sage-femme (en prévision…) tandis que le curé recevait gâteau et vin. Si la mère de la jeune mariée était décédée, celle-ci déposait son bouquet sur la tombe. On plantait un arbre pour marquer le jour de la cérémonie, on gravait la date au-dessus de la porte de la maison.
Le trousseau de l’épouse consistait en un coffre lorrain plein. Il fallait qu’il y ait en particulier une couverture crochetée. Un cadeau de prestige consistait en une horloge de chez Jaecklé ou Schuler. On offrait aussi une garniture de toilette (broc à eau et cuvette) ou encore huilier et vinaigrier. Dans les bijoux de famille, on comptait la croix de Lorraine donnée à l’aînée. On ne donnait jamais de verre comme cadeau de mariage car “Gück ùnd Glas, wie leicht bricht das” (« Le bonheur et le verre, tous deux se brisent facilement »).
Il n’y avait pas de divorces à cette époque car les femmes ne travaillaient pas au-dehors, n’ayant pas de profession. De quoi auraient-elles vécu ? La jeune femme se devait de ne pas dormir avec son époux la nuit de noces. Dans la région de Bitche - Sarrebourg, cette interdiction durait six semaines, afin de savoir si elle n’était pas enceinte d’un autre. Le voyage de noces conduisait les jeunes mariés à Metz, à Strasbourg, à Paris (ce qui était considéré comme extraordinaire), à Lourdes ou à Trêves. Lorsque le plus jeune frère se mariait avant l’aîné, on offrait une chèvre ornée de fleurs à celui-ci.
La naissance
Demeurer stérile était pous les femmes de cette époque le pire des états. Pour échapper à cette malédiction, allant à l’encontre du prône qui parlait de “Kindersegen”, elles recouraient à tous les moyens : breuvages spéciaux à base de vin vieux capiteux, de miel et de thym, nourriture plus épicée avec force céleri, réputé aphrodisiaque, abstention de travaux trop fatigants… Prières aussi, à Sainte Anne, à Sainte Elisabeth, pèlerinages, voeu de consacrer l’enfant désiré à la Vierge ou à Saint Joseph. La femme désirant un enfant pouvait aussi apposer sa main sur le ventre d’une femme enceinte, geste doublé du désir ardent d’être féconde elle aussi. Tout devait concourir à la réalisation du voeu suprême : avoir un enfant ! La procréation, cependant, ne devait en aucun cas avoir lieu au mois de mai, consacré à Marie, la Vierge très pure. Nul n’aurait d’ailleurs convolé en justes noces en ce mois réputé de porter malheur à quiconque transgresserait cet usage.
Durant la grossesse, dite en allemand “gesegneter Zustand”, en dialecte “in ona Umstând” ou encore “en neù Schirz grehen”, la future maman ne devait regarder que de belles choses. Maintes effigies de la Vierge ou de Saint Jean étaient censées prêter leurs traits, de génération en génération. Par contre il fallait éviter la vision de becs de lièvre, de pieds bots, de toute difformité ou encore ne pas s’effrayer à la vue d’un animal quelconque. Les mois impairs de la grossesse étaient particulièrement réputés pour être porteurs d’accidents, aussi la future maman évitait-elle d’entreprendre des besognes pénibles, comme la grande lessive, l’étendage du linge, le lavage des vitres, l’enfournement du pain.
L’habillement de la future maman se composait d’un caraco très ample, d’un tablier à gros plis dit “neù Schirz”, d’une pèlerine tricotée ou crochetée qui descendait jusqu’à la taille, d’une jupe ample à cordons, d’un châle croisé sur la poitrine et d’une blouse à bride coulissante.
Le trousseau du futur enfant se transmettait de mère en fille. Les langes en tissu usagé qu’il ne fallait surtout pas repasser afin de ne pas resserrer les fils et obstruer l’aération, petites chemises cousues à la main car les piqûres à la machine étaient réputées trop dures, tricots faits main, “Kopftûcher”, triangles de tissu pour couvrir tête et poitrine, “Wickelschnui”, bande abdominale crochetée à la main, grands carré de flanelle dits “Wïckelticher”, molleton bordé de crochet rosé ou bleu. Petit matelas bourré, après la naissance, de balle d’avoine ou de feuilles de maïs. Le petit berceau consistait en une corbeille d’osier (panier à linge) garni de futaine (toujours après la naissance). Plus tard un solide berceau basculant, relié par une ficelle au lit des parents qui pouvaient ainsi le balancer, remplaça la corbeille. Pour la literie du berceau, on utilisait le “Bettzich” tandis que la corbeille d’osier était garnie de “DeibelstàrK”. La petite chaise haute, “hoher Kândstuhl”, meuble de famille que l’on montait ou descendait suivant l’usage, charrette en osier, tout ce mobilier, à toute épreuve, on se le repassait sauf en cas de décès du petit usager. Une place discrète, hors de la vue, le mettait alors loin du souvenir douloureux et l’empêchait de “reporter malheur”.
L’accouchement était pratiqué à la maison par la sage-femme de famille. Les enfants étaient éloignés de la maman qui “s’était cassé la jambe” et la cigogne, attirée par les minuscules morceaux de sucre déposés sur le rebord de la fenêtre, était enfin venue. La future maman se devait de revêtir une chemise de nuit avec dentelle crochetée ou une chemise de jour à petites manches et patte sur le devant, un caraco en cretonne blanche ou flanelle rayée rouge ou bleue. Sa tête reposait sur quatre ou cinq oreillers longs, sous lesquels le “Wùrzwich”, bouquet bénit du 15 août, était glissé. Elle portait au cou une médaille et l’“Agnus Dei”, cire bénite enrobée de soie.
Durant l’accouchement, en cas de difficulté, l’absorption d’un verre d’eau savonneuse devait faciliter la délivrance ou on soulevait le ventre de la future maman, suivant la position de l’enfant, par un drap fixé au plafond. Le fameux schnaps réconfortait aussi bien la mère, la sage-femme que le père qui, habituellement, partait se terrer en un lieu isolé. La bouteille d’eau bénite voisinait souvent avec l’alcool, en prévision d’un décès prématuré toujours possible. Il fallait dans ce cas procéder à l’ondoiement, “Nottaùfe”, administré par la sage-femme.
On servait à l’accouchée un bouillon de poule pour la “remonter”, mais aussi de la bière destinée à favoriser la lactation, devoir sacré auquel elle ne se soustrayait pas. Les voisines, venues pour féliciter la maman et voir l’enfant, offraient du sucre ou, plus royalement, du café, très cher et même rare à cette époque. Ultime précaution, car en notre région superstition et foi se confondent, on faisait figurer au-dessus de la porte de la chambre où reposaient la mère et l’enfant, la si précieuse Image Sainte, “das glûckselige heilige Haùskreutz”. On avait aussi recours à toute la phalange des Saints exorciseurs, à saint Antoine, à saint Michel terrassant le diable, à saint Benoît. Derrière la porte, on disposait discrètement à l’envers un balai neuf en paille de riz qui devait interdire tout accès aux mauvaises gens, capables de jeter un sort. La naissance de l’enfant était inscrite sur les premières pages, réservées à cet usage, du livre “La Vie des Saints”, dénommé Gofîné. Les protestants avaient de très jolies images peintes dites “Taùfbild”.
Voici en vrac, quelques usages et dictons.
- Pour faire dormir l’enfant : mettre dans sa tétine un morceau de sucre trempé dans de l’eau bénite puis dans du schnaps (dans du vin au pays de Sierck) ou dans de la tisane de graines de pavot.
- Pour chasser le diable des intestins : mettre dans la tétine une image bénite (en papier genre buvard), ordinairement Saint-Nicolas. Le lait, en passant, dissolvait le papier du “Lùtschbild”.
- Ne pas couper les ongles du bébé, cela retarderait son apprentissage du langage.
- Ne pas promener le bébé par soleil de mars, “De Mârzensùnn hot schon mancha Froïihr schân Kând gehùnn”, le soleil de mars a ravi maint bel enfant à sa mère.
- Coupez les cheveux à la Sainte Madeleine, ils repousseront beaux et soyeux.
- Il faut mettre un collier d’ambre pour faciliter la percée des dents.
Le baptême
Une coutume sacro-sainte interdisait de sortir l’enfant “hors la maison” avant qu’il ne soit baptisé. Enfreindre ce principe, c’était l’exposer sans défense aux maléfices des mauvaises gens. (Les mauvaises gens, à Saint-Avold, c’était la “Old Grodel du Nonnenberg” ou la “Zwei Sorten Ojgen” - deux sortes d’yeux, stigmates certains de pouvoir magique).
Toilette du bambin : un petit tricot fait main dit “Mitzchen” en laine ou coton, une “Wickelschnùr” qui entourait le ventre, puis le molleton et une seconde “Wickelschnùr”. Enfin l’enfant était glissé dans un coussin blanc à dentelles portatif dit “Tragkissen”. La tête était coiffée d’un premier bonnet en flanelle, destiné à recueillir le Saint Chrême. Ce bonnet n’était jamais lavé et resservait aux ondoiements futurs. Un second bonnet, plus façonné et garni de dentelle, recouvrait le premier. L’enfant était revêtu d’une longue robe blanche dite “Taùfrock”, en fin linon pour l’été, en flanelle pour l’hiver. Un joli voile en tulle ou fine dentelle blanche parachevait , en toute saison, la première toilette de sortie. Selon que l’enfant, fille ou garçon, était voué à la Vierge ou à Saint-Joseph, un joli noeud en satin bleu ou blanc ornait bonnet et robe. Bonnet et robe de baptême se transmettaient en famille.
Le baptême devait être administré rigoureusement dans les dix jours suivant la naissance. Ce délai passé, il était interdit de sonner les cloches lors de la cérémonie. Qui comptera les stratagèmes utilisés pour contrecarrer ce refus ?
Parrains et marraines étaient choisis avec soin. Ne prétendait-on pas que les personnes désignées transmettaient leurs qualités ou leurs défauts propres à leur filleul ? Maintes fois, en vue d’un héritage ou d’une parcelle de terre, tel oncle ou telle tante étaient désignés. Après 1870, la parenté émigrée à Paris était particulièrement recherchée. N’avait-elle pas laissé biens et terres, souvent non partagés, en Alsace-Lorraine ? Autant que possible, elle assistait au baptême, en apportant même des dragées de Verdun. Le douanier compréhensif fermait toujours l’oeil. A la sortie de l’église, toute la jeunesse guettait la pluie de dragées dont quelques unes étaient soigneusement mises de côté pour orner, dans l’avenir, la table de Première Communion, surtout les dragées dont l’intérieur était bleu, blanc, rouge. Le parrain qui participait trop parcimonieusement aux frais ou était avare de cadeaux était surnommé “Strohpotf”.
En général, on attribuait à l’enfant le prénom du père ou de la mère. En vogue sous Napoléon III, Marie, Nicolas, Jean, Etienne, Barbe, Hortense, Eugène. Après 1870, une avalanche de prénoms français remplissait les registres et témoignait du patriotisme de leur porteur. Jamais on ne redonnait le prénom d’un enfant décédé : cela portait malheur. Un garçon né le 31 décembre n’était inscrit que le 2 janvier, afin d’échapper pour un an à l’enrôlement militaire.
Le repas de baptême s’appelait “Schlùmp”. Les relevailles : “sich ùssàhnen lossen”. Aucune maman n’aurait manqué à cet usage. A Saint-Avold, l’autel propre à ce rite se trouvait à l’emplacement de l’actuelle “mise au tombeau”. Les statues de Sainte Anne avec la Vierge, de Saint Jean, provenant de l’ancienne église Saints Pierre et Paul, l’ornaient. Pour sa première sortie, la maman allait présenter son enfant à la Vierge de la Basilique.
La croyance en la présence et la protection de l’Ange gardien (“Schùtzengel”) était très profonde et répandue. L’image classique de l’Ange gardien protégeant un petit garçon ou une petite fille sur un pont surplombant un ravin figurait dans chaque chambre d’enfant. Le bénitier usuel affectait aussi très souvent la forme d’un ange. On connaissait également l’ange du berceau (“Kînderengel”), petite tête auréolée de boucles, brunes pour un garçon, blondes pour une fille.
Les articles publiés sur ce site restent la propriété de leurs auteurs et de la Société d’Histoire du Pays Naborien. Pour toute reproduction, adresser une demande préalable au Président de la S.H.P.N. 28 rue des Américains 57500 SAINT-AVOLD