La mort à Saint-Avold au début du XXeme siècle

Souvenirs d’une Naborienne

Extraits de l’article de Léonie GRIMAUD paru dans le « Cahier Naborien » numéro 7

Ce que les Naboriens reconnaissaient comme indices de mort, comme signes précurseurs.

On pouvait constater chez le futur défunt :

  • la “Liescoul” (fossé aux poux) : creux dans la nuque
  • les oreilles qui se décollent
  • les “Klrchhofsblurnen” (fleurs de cimetière) : taches brunes sur les mains
  • les “schwarze Dodesputten” (taches ou grosseurs noires au front ou aux lèvres)
  • l’action de lisser le drap, le besoin de vouloir partir, un soudain appétit, l’évocation avec acuité des faits de la jeunesse (propre à la crise d’urémie), le désir de se voir dans la glace.

Les signes extérieurs.

  • le cri du hibou (Dodesvogel), une odeur spéciale, un bruit insolite dit “Zeichen” (l’ultime pensée du mourant qui se concrétise ainsi)
  • une taupinière sur la tombe de famille ou dans la rangée de tombes
  • une série de trois décès dans la famille ou dans le quartier
  • l’horloge de l’église qui sonne durant l’élévation (indice d’un décès dans la semaine).

Les craintes.

  • on n’aime pas “iwa Sundach uf Lich zu läen” (être sur le lit funéraire un dimanche)
  • on n’aime pas voir “s’Kritz Fritags durch de Stross gehn” (la croix des enterrements passer dans la rue un vendredi)
  • “Suntachs Lich mocht den Kirchhof rich” (un mort déposé le dimanche enrichit le cimetière).

La mort.

La mort s’approchait en silence, comme une “visiteuse” qui venait fatalement un jour.

La présentation d’une coupe de Champagne avant l’ultime confession informait le moribond sur son état, aussi bénissait-il ses enfants, demandait le notaire (si c’était nécessaire, car le Lorrain, prudent, réglait son bien à temps) et faisait venir le chien.

Avant l’arrivée du curé, les proches vaquaient aux préparatifs des derniers sacrements (Letchte Wegzehrung). Sur la table de nuit étaient déposés le crucifix dit “Sterbekreuz” encadré de deux bougies bénites, l’eau bénite, le buis, les tampons d’ouate pour la “Letchtölung”. Le prêtre arrivait, annoncé sur son parcours par une petite sonnette, agitée par l’enfant de chœur ou le chantre muni d’une lanterne.

Dès que l’agonie était perçue, on allumait le “Wachsstock”, cierge en forme de boule torsadée, posé dans une assiette creuse. L’aîné(e) de l’assistance commençait en sourdine la prière des morts.

Après le dernier soupir, tout le monde se taisait, mêmes les pleurs étaient refoulés. Pour le trépassé, c’était l’instant le plus grave et le plus solennel : il se trouvait face à son Juge suprême. Aussi nul ne lui fermait les paupières qu’après un profond et pathétique moment de recueillement. Est-ce peut-être cet usage qui a donné naissance à la “Minute de silence” ? Dernière précaution, un petit miroir était placé devant la bouche du mort, afin de se rendre compte que nulle haleine ne ternisse la surface. Puis les larmes avaient le droit de s’échapper…

Les bougies sont éteintes, la fenêtre est entrouverte afin que l’âme puisse s’envoler vers le ciel, l’horloge est arrêtée à la minute du décès, les glaces sont recouvertes d’un voile noir afin d’honorer le verset biblique “Vanité des vanités”, la cage du canari est également recouverte. Les animaux domestiques sont avisés de la mort survenue. Si c’est un apiculteur, les abeilles sont “ufgerudelt” (secouées) et la ruche cravatée de crêpe. Les persiennes de la maison sont toutes fermées, la sonnette de la porte d’entrée est arrêtée. Dans un temps plus lointain, une bougie allumée, posée sur le rebord de la fenêtre du logis mortuaire, informait du décès de son occupant (surtout dans les fermes ou maisons isolées).

L’ultime toilette du défunt était toujours faite par les proches. L’on sortait de l’armoire le “Sterberock”, paquet contenant linceul, sous-vêtements, préparés depuis toujours à cet effet. Le défunt ou la défunte étaient revêtus de leur costume de mariage. Les doigts étaient entourés du chapelet. Afin d’arriver au ciel sans souillure, le défunt était revêtu de bas et de pantoufles flambant neufs. Le “Wirtzwich”(bouquet bénit de 17 plantes) ainsi qu’un cierge bénit étaient déposés sous l’oreiller, quant au livre de Messe, il tenait souvent lieu de support au menton, avant d’être relégué dans l’armoire, où il prenait son rang, au-dessus de ceux des membres prédécédés.

Dodenwoch.

Dodenwoch : veillée des morts. Elle durait trois jours et trois nuits. Proches, voisins, domestiques se relayaient. L’on jetait de l’eau bénite, murmurait des prières, louangeait le mort, s’informait de son âge et s’il avait eu “en guda Dod, en longa, en bäsa Dod” (une bonne mort, une longue ou une pénible mort). Puis on passait dans la chambre voisine pour se réconforter, avec “Schnaps” et “Schwinskäs” (fromage de tête) en hiver, “Schinken” (jambon) en été.

À Saint-Avold, il était d’usage qu’une femme aux moyens modestes, la vieille Baylé, aille de porte en porte annoncer le décès, le jour et l’heure des funérailles. Une seconde pauvre veuve, la vieille Blaise, venait veiller et prier trois nuits. Comme rétribution, outre une obole plus ou moins généreuse, elle obtenait les draps du lit de mort et une partie des vêtements du disparu.

La parenté était informée par un membre de la famille en observant strictement le degré de parenté et le rang d’âge. Nos anciens étaient très pointilleux en ce qui concernait ce rituel. Quant aux faire-part, ils étaient réservés à la bourgeoisie aisée et, quoique sous domination allemande, rédigés en français.

Les couronnes mortuaires, d’un prix élevé, (fabriquées par un artisanat essentiellement féminin à Insming) étaient en perles blanches pour les célibataires, en perles noires, grises ou mauves pour les autres.

L’enterrement.

Le corbillard était équipé différemment selon les classes et le rang social :

  • 1ère classe : tentures noires avec larmes d’argent, lanternes allumées mais voilées; chevaux empanachés, couverts de draps noirs également brodés de larmes d’argent; porteurs de cordons; décorations sur un coussin.
  • 2ème classe : tentures simples, lanternes non voilées; chevaux recouverts d’un simple drap noir.
  • 3ème classe : corbillard nu.

À l’église, même discrimination : messe concélébrée avec trois prêtres, tentures, cierges, lanternes, robes noires des enfants de choeur, etc… Fastes heureusement disparus. Le repas, pris en commun après les obsèques, ne comprenait qu’une viande blanche, jamais de viande rouge et jamais deux viandes.

Décès d’un enfant très jeune.

La toilette funéraire de l’enfant décédé comportait une robe blanche, un bonnet des onctions, puis un bonnet neuf auquel les brides n’étaient pas coupées afin qu’il ne puisse servir une nouvelle fois. Les brides du bonnet neuf étaient fixées sur la poitrine par une broche représentant un ange qui pleure ou une broche ornée de douze pierres (symbole de l’unique année de vie). Un petit voile de tulle recouvrait le corps. Dans le cercueil, on déposait un cierge bénit et un morceau de pain… afin de retarder l’attaque des vers.

Avant le départ, une mèche de cheveux était coupée, en pieux et douloureux souvenir. D’après une antique croyance lorraine, le souvenir d’un défunt s’estompait avec la disparition du corps. Celui-ci réduit en cendres, le souvenir visuel était effacé.

Inhumation.

Suite à un manque d’information adéquat, de soins médicaux, de moyens de conservation de la nourriture, les jeunes enfants mouraient en grand nombre. Un registre d’inhumation, s’échelonnant sur 25 ans (1920 -1945) en est un bouleversant témoignage. Le cimetière d’enfants, situé à droite de l’entrée du vieux cimetière, comportait sept rangées de tombes. Alignées côte à côte, elles étaient maintes fois entourées d’un encadrement de bois qui symbolisait le berceau dans lequel ils attendaient la résurrection.

Les croix étaient blanches ainsi que les petites couronnes de perles. Une tombe était même ombragée par un cerisier afin de témoigner que sous son feuillage dormait un enfant mort d’avoir bu de l’eau après avoir mangé des fruits. Nulle maman ne manquait, en passant en ce lieu, de faire à ses enfants la recommandation qui s’imposait.

Tenue de deuil en usage dans la région de Saint-Avold.

La tenue de Grand-Deuil, dite “Gross-Trùr”, dérive du costume de la “Bourgeoise en deuil”, de Jacques Callot. “L’enterrement” par le peintre Friant évoque les chapeaux de deuil qui sont proches de ceux en usage en notre région. Les nôtres cependant, sont plus sobres et le voile plus enveloppant et plus strict.

Le costume de Grand-Deuil se composait d’un costume noir ou robe noire recouverte d’un immense châle en fin lainage noir plié, d’un chapeau rond, en crêpe anglais dit “Toquet-Hùt”, d’un long voile noir en crêpe identique. Ce voile, confectionné sur mesure, descendait à l’avant jusqu’au genou et était de 10 cm plus long dans le dos. Il se portait rabattu sur le visage durant six semaines, puis rejeté sur l’arrière jusqu’à l’office anniversaire. Le port du voile était une véritable torture, surtout en été, ce crêpe ne laissant passer l’air que parcimonieusement. Le “tout noir” se portait pendant deux ans, puis une troisième année, avec une légère touche blanche. Tout accessoire, tel que gant ou collier était mat.

La personne de conviction royaliste portait le chapeau de deuil avec du crêpe anglais blanc. Seul cas connu à Saint-Avold, celui de Madame Joséphine Walter Orth, lors des obsèques de sa mère, vers 1925.

Le châle fut abandonné vers 1920; quant au voile, confectionné en un crêpe plus léger et plus transparent, moins long, il a survécu jusque vers 1940. Il existait même des mouchoirs de deuil, à encadrement noir ou à pois noirs, d’un format supérieur au normes courantes (“extra zùm hillen Hilsnasticha” : mouchoirs à pleurer).

Durant le deuil (3 ans) aucune participation à une réjouissance quelconque n’était permise. Petit détail qui témoigne de l’esprit d’économie de la Naborienne : le chapeau “Toquet-Hùt” de deuil de la dame âgée comportait à l’intérieur une coulisse qu’un étroit ruban permettait de resserrer suivant le volume de cheveux de la propriétaire sujette à la perte capillaire.

Le cimetière du Felsberg.

Le cimetière de Saint-Avoîd est la cité-dortoir de ses habitants. Jusque dans l’ultime sommeil, chacun a voulu garder son rang et son milieu propre. L’allée centrale, telle sa rue principale, abrite les commerçants et riches bourgeois. Une grande croix, due au ciseau du réputé Poncelet, projette son ombre sur le carré des prêtres et des religieuses. Plus loin, à l’écart, le quartier des humbles, puis des artisans. Les rues des morts sont semblables à celles des vivants.

Le premier étage, avec la chapelle gothique Laity, abrite les nobles, de Horn, de Brêm, de Donder, les riches tanneurs Zimmermann, Walter, les militaires de renom, Altmeyer, Armand, les vieux noms Lebrun, Nassoy, Dessesard, Hayer, le réputé docteur Stock.

L’étage supérieur était recherché pour sa solitude, par les sentimentaux, ceux qui désiraient être seuls en leur peine…

Des monuments, véritables dentelles de pierre, la statue de la jeune Reder morte à 8 ans (photo en haut de page), oeuvres des Steinmetz de Bambiderstroff et Laudrefrang, des stèles brisées en leur milieu pour symboliser une jeune vie fauchée à la fleur de l’âge, des croix ciselées en fer des célèbres Bildeger d’Offenbourg : tout un patrimoine d’art populaire que nul ne songe à préserver ou à recenser… Combien sont détruits et remplacés par d’affreux blocs modernes à l’unique inscription : “Famille X”… Le cimetière est un 1ivre d’histoire. Le patriotisme d’après 1870 est traduit presque en chaque pierre en termes uniquement français. Les Allemands en étaient bien conscients en se groupant à part, près des protestants, “bannis” vers le fond, par l’étroitesse d’esprit d’alors.

À la Toussaint, le cimetière a l’aspect d’un immense parterre de fleurs et, la nuit venue, toutes les tombes sont illuminées par autant de bougies qu’il y a de familiers défunts. Par contre, de jeunes têtes folles plaçaient sur les murs d’enceinte des citrouilles creusées, avec yeux et bouche, éclairées de l’intérieur par une bougie. Spectacle de spectres aujourd’hui révolu.