À Rosselgène, comme dans les autres communes, on planta “l’arbre de la Liberté”.
Les contraintes liées à l’Etat de guerre à Saint-Avold / Rosselgène (1790 - 1796) (Partie 2).
par Noël Gabriel Extraits de l’article paru dans le numéro 7 du “Cahier du Pays Naborien”
Après avoir évoqué, dans la première partie de cette étude, les affaires militaires, nous nous intéresserons à présent à la vie à Saint-Avold pendant la période révolutionnaire.
L’État de guerre
Une ville d’étape
À la croisée des routes entre Paris-Metz et Francfort (c’est-à-dire entre l’arrière et le front), et de celles conduisant aux places fortifiées (Phalsbourg, Metz, Thionville, Luxembourg, Sarrelouis, Bitche,…), Saint-Avold était directement concernée par les événements militaires et leurs péripéties le long du Rhin, du Limbourg à l’Alsace.
Les conséquences sur la vie économique de la cité seront étudiées plus loin, car nous estimons qu’elles font partie d’un contexte plus général, avec les contraintes, réquisitions et mesures diverses imposées à la population et la situation de crise économique nationale.
En 1791, un dénommé Guillaume DE COURCELLE était préposé aux étapes et aux fourrages. En 1793-1795, c’était Philibert GENTILHOMME, résidant à Forbach qui était préposé pour le service des subsistances militaires - section des troupes en marche - pour les places de Forbach, Sarreguemines, Sarralbe (Sarrelibre), Puttelange et Saint-Avold. Il payait un préposé pour chacune de ces places, ainsi qu’un maître-ouvrier et deux journaliers (dépense journalière: 96 livres, outre les frais de magasin et de courses, tant pour pourvoir aux approvisionnements que pour faire mettre les bons de service en règle, et pour aller toucher à Metz les fonds nécessaires aux paiements à faire).
En août 1790, la municipalité avait demandé que la chaussée de Saint-Avold à Puttelange, qui avait été abandonnée en cours de travaux, soit achevée, ce qui raccourcirait le trajet Metz-Strasbourg. Les avantages pour le déplacement des troupes seraient : une seule “montagne” à franchir, celle de Longeville (au contraire de la route passant par Moyenvic), et plus de possibilités de logement.Avec la guerre proche des frontières, le trafic s’intensifiait. Tous les jours des convois, ou des voitures, ou des isolés de passage.
Certains problèmes se posèrent. On signalait des conducteurs ou charretiers qui, conduisant des chevaux et voitures de réforme, à leur passage dans des lieux de logement, excédés de fatigue, les laissaient n’importe où, parfois sans remplir aucune formalité. Ceci lésait les cultivateurs qui ne savaient où réclamer leur bien.
En germinal an II, deux vétérinaires examinèrent un boeuf étendu mort sur le pavé, qui conduisait des approvisionnements pour l’armée. Cause de la mort : travail forcé ayant provoqué une maladie inflammatoire.
Du 11 pluviôse an IV au 19 floréal an IV (soit trois mois), il y eut 550 passages d’isolés ou de petits groupes; du 20 floréal an IV au 17 pluviôse an VI, il y eut 1919 passages.
Il fallait nourrir les hommes et les chevaux. Dès 1792, des problèmes se posaient, à cause des assignats dont les gens se méfiaient et des soldes payées irrégulièrement par la République désargentée.
Des accords pouvaient intervenir avec les unités stationnées, comme celui conclu avec le colonel DEFROISSY, commandant le 3ème hussards, avant-garde de l’armée du Centre, cantonné temporairement dans la ville en août 1792, qui considérait “qu’il est essentiel de prévenir toute difficulté entre le citoyen et la troupe relativement aux assignats”. La viande sera payée en assignats; le vin, l’eau-de-vie et la bière en espèces sonnantes et le tiers en sus en assignats; la livre de clous à ferrer, 12 sols en espèces, 20 sols en assignats; sur les marchés, les légumes et denrées seront payés en espèces sonnantes.
En germinal an II, en raison de la famine causée par la consommation extraordinaire occasionnée par le passage continu des troupes, des charrois et des convois militaires, le district autorisa la municipalité à prendre 57 quintaux de farine dans le magasin militaire.
Les officiers marchant isolément, en mission pour le service, se rendant dans les hôpitaux ou en sortant pour rejoindre leur corps avaient de plus en plus de difficultés pour se procurer des vivres en nature avec leur solde. Aussi le Comité de Salut Public arrêta, en l’an IV :
- qu’ils recevraient en route, jusqu’au 1er vendémiaire, uniquement les rations attribuées à leur grade par la loi du 2 thermidor, exceptés les officiers qui allaient en congé ou en revenaient;
- que les rations de vivres leur seraient délivrées dans chaque lieu de passage sur les bons donnés par les commissaires des guerres ou à défaut par les administrateurs de district ou les officiers municipaux (chaque fourniture étant indiquée sur un livret dont l’officier était porteur).
De même, le Comité de Salut Public avait statué le 13 vendémiaire an III, suite à des pétitions des charretiers, ouvriers et employés des transports militaires, en résidence dans les dépôts de ce service, sur les difficultés qu’ils éprouvaient à se procurer le pain et les denrées nécessaires à leur subsistance : “ - article I : les charretiers, ouvriers et employés des transports militaires, en résidence dans les dépôts affectés à ce service (Directeurs et Inspecteurs généraux exceptés), jouiront de la ration de pain sur le pied de 24 onces, pour chaque homme, par jour.
- article II : les districts et municipalités des lieux où sont situés les dépôts, feront délivrer aux employés désignés dans l’article I, la viande et les autres denrées nécessaires à leur subsistance… La ration de viande sera accordée seulement aux charretiers et ouvriers employés dans les dépôts…”
En bref, l’on peut dire que le problème se résumait ainsi : peu d’argent (surtout liquide); il valait mieux essayer de loger chez l’habitant. Ceci est révélé par une lettre du directeur de l’hôpital militaire, datée du 29 prairial an III : “des infirmiers venant de l’intérieur, destinés au service des hôpitaux de l’armée, prennent à leur passage à Saint-Avold des billets de logement, tandis que l’administration des dits hôpitaux pourvoit à leur subsistance et à leur logement dans tous les hospices de la ligne jusqu’à Mayence, ils y sont nourris et logés”.
Conclusion pessimiste datée de l’an VIII : “les troupes de passage à Saint-Avold ne peuvent y faire aucun bien, n’étant pas payées. Depuis plusieurs années, la ville est journellement surchargée de troupes marchant isolément qu’elle nourrissait et qui jamais ne s’arrêtent dans les communes de la campagne”.
Réquisitions en nature
En ce qui concerne les réquisitions et mesures d’exception, il s’agira essentiellement d’une énumération des mesures qui pèsent sur la population, mais aussi sur les autorités chargées de les faire appliquer et de les contrôler, avec les menaces plus ou moins latentes. Les réquisitions de tous ordres sont choses courantes à la guerre; les mesures d’exception s’en distinguent par leur caractère plus exigeant, voire menaçant. Il ne s’agit plus alors seulement de contraintes matérielles, les personnes mêmes peuvent alors être mises en cause, leur liberté éventuellement menacée.
Première mesure de réquisition, en août 1792 : le commandant de l’avant-garde de l’armée du Centre demande le bois nécessaire à la soupe de ses soldats; comme il n’y en a pas en ville, c’est le régisseur des forges de “la dame de Hayange”, à Hombourg, qui devra fournir ce bois “d’autant plus qu’il n’y en a pas ailleurs”.
Réquisitions de l’an II
Pour ravitailler les places de Metz, Longwy, Thionville, Sarrelibre (ex Sarralbe), Bitche, doivent être fournis :
- par le département : 300 000 quintaux de foin, 119 952 sacs d’avoine, 60 000 sacs de grains;
- par le district de Sarreguemines : froment : 9 626 sacs, foin : 48 999 quintaux, avoine: 19 747 sacs;
- par la ville de Saint-Avold : froment : 325 sacs, foin : 165 milliers (un millier = 500 kg, ou mille livres), avoine : 671 sacs.
En germinal, on réquisitionna les cendres des fours communaux et de ceux des boulangers. La commune devait fournir aux fourniers et boulangers qui porteraient leur cendre au dépôt, un bon du poids de chaque livraison, afin qu’ils soient payés. De même pour tous les autres citoyens qui devront faire la même démarche. Les cendres étaient destinées à en extraire la potasse.
Le même mois, réquisition de chevaux pour les transports militaires.
En pluviôse, l’agent national du district demanda que tous les citoyens de la commune soient réunis dans les vingt-quatre heures, sous l’arbre de la Liberté, pour leur lire le décret du 14 frimaire concernant la fabrication du salpêtre, “les persuader et les enthousiasmer pour la fabrication du salpêtre”. Un membre de l’administration du district visitera les communes pour surveiller l’exécution du décret.
Floréal : il faut faire des coupes de bois, réunir les bottes de bois pour les réduire en charbon qui sera envoyé à la fabrique de poudre à Metz. L’agent national du district demande des comptes, incite celui de la commune à stimuler ses collègues de l’arrondissement, à lui dénoncer ceux coupables “d’inertie, d’insouciance, ou d’involonté”.
En prairial, le même agent national écrivit que le Comité de Salut Public avait été informé que la loi relative à l’exploitation des salpêtres n’avait pas été exécutée partout. En conséquence, à compter du 20 prairial, chaque district sera tenu de fournir au moins un millier de salpêtre par décade. Toutes les communes qui dans les dix jours n’auront pas monté l’atelier de salpêtre seront dénoncées au Comité, ainsi que les ateliers déjà montés qui ne doubleront pas au moins leur travail.
Dans le même temps, le général HOUCHARD, commandant l’Armée de la Moselle, adressa au district une réquisition pour qu’il fournisse sur-le-champ 400 travailleurs qui devront aussitôt se rendre à Bitche, munis de pelles et de pioches. Étaient aussi par ailleurs réquisitionnés tous les ouvriers du canton capables de fabriquer des baïonnettes.
En thermidor il fut constaté, au niveau du département, que beaucoup de chevaux de la levée décrétée le 18 germinal avaient dû être réformés; les municipalités ne fournissaient en remplacement que des chevaux très âgés; on trouvait peu de chevaux de cinq ou six ans. Il faudrait donc autoriser la commission à recevoir des animaux de plus de quatre ans (en brumaire, 132 chevaux réformés seront vendus).
En brumaire également, ordre fut donné aux officiers municipaux de Rosselgène de demander aux municipalités de leur ville, de Valmont, Macheren, Folschviller, Altviller, Lachambre, de fournir pour le lendemain à cinq heures du matin 64 chevaux de trait pour conduire jusqu’à Courcelles des canons et obusiers “pris aux tyrans coalisés”.
Réquisitions de l’an III
Une lettre du district, datée du 22 brumaire, constatait la négligence apportée à la fourniture des “souliers décadaires”. “Il faut des souliers à nos frères d’armes qui versent leur sang pour la conservation de nos droits et de nos propriétés”. Nous “vous exhortons et vous requérons de prendre les mesures les plus efficaces pour effectuer exactement cette fourniture décadaire ; et de surveiller … les malveillances et les ouvriers qui par leur négligence pourraient la retarder. Nous vous prévenons aussi que si ces fournitures ne se font plus dorénavant avec l’activité qui est si souvent recommandée et prescrite, nous aurons la douleur de vous dénoncer au Comité de Salut Public”.
30 brumaire, autre lettre du district : d’après les ordres du Comité de Commerce et Approvisionnements de la République, mise en réquisition des laines du district pour les “Défenseurs de la République”. Rosselgène devra fournir 1985 livres pour le 7 frimaire.
Le 1er nivôse, lettre du district demandant l’état “exact” des fabricants de sabots du canton, ainsi que la consommation de sabots du canton. Réponse : il n’y a qu’un seul fabricant, M. DECKER à l’Hôpital; il peut fabriquer environ 30 paires par décade, ce qui est le quart de la consommation du canton.
Pluviôse : séance du district de Sarreguemines, suite à un arrêté du représentant du peuple pour les armées du Rhin et de la Moselle, destiné aux districts du département de la Moselle. Il faut réparer les bateaux endommagés par le dégel et en construire d’autres pour le transport de l’armée. D’où la réquisition de tous les ouvriers “travaillant au bois” (à l’exception des charrons et des endroits où il n’y a qu’un ouvrier dans la commune). Se munir de haches et de scies; une ration de pain et une de viande par jour; paie: 6 livres par jour. Une liste a été établie pour l’ensemble du canton : à Rosselgène il y a 12 menuisiers, 5 charpentiers, 5 charrons.
Pluviôse toujours : la commune de Rosselgène doit fournir 54 quintaux 81 livres de froment, idem en avoine, en foin, en paille.
Germinal : en exécution des arrêtés du Comité de Salut Public et des représentants du peuple près les armées de Rhin et Moselle : mise sur-le-champ en réquisition de tous les scieurs de long de plus de 60 ans, non infirmes et de deux charpentiers pour se rendre à Sarrelibre (Sarralbe) et y travailler à la construction de quarante bateaux à fabriquer en six semaines. Il faudra signaler ceux qui auront refusé “de se rendre au dit Sarrelibre avec leurs scies et haches” , afin qu’ils soient dénoncés aux représentants du peuple.
Réquisitions de l’an IV
En frimaire, le commissaire des guerres exigea 10 000 livres de pain, à fournir par le canton dans les vingt-quatre heures à la place de Bitche. Le garde-magasin fournira les quantités de farine nécessaires et mettra tous les ouvriers en activité pour accélérer cette confection, à laquelle les boulangers de la commune ont été “invités à participer”.
Le 9 frimaire, une pétition du commissaire des guerres concerne un détachement de cavalerie en garnison dans la cité, qui se trouve dépourvu de marmites, gamelles, bidons, et auquel le magasin militaire n’a pu en fournir. Il est rappelé que la loi du 30 thermidor an II (titre 6, art. 3 et 4) charge les autorités de pourvoir a cette fourniture, par voie de réquisition chez les citoyens aisés, ou chez les chaudronniers et boulangers, à charge pour les troupes d’en payer le loyer. Le citoyen Jacob NERENBOURGER est invité à remettre marmite, gamelle et cruche au brigadier, commandant le détachement, qui lui paiera le prix fixé par la municipalité.
En frimaire encore, il a fallu fournir du foin et de la paille (ainsi que les charrettes pour les livrer) à la place de Luxembourg; et en germinal, de l’avoine pour la place de Landau.
Mesures d’exception
Elles pouvaient toucher plus intimement les personnes que les réquisitions. Dans notre cité, elles concernèrent plus particulièrement le droit à détenir une arme.
Le 29 juillet 1792, la patrie était déclarée en danger, des affiches étaient placardées; un officier municipal et deux membres du conseil siègent en permanence. Tout citoyen est tenu de porter la cocarde aux couleurs nationales, y compris les prêtres.
Mesures concernant les armes individuelles (dès 1792)
Tous les citoyens furent tenus de déclarer les armes et munitions en leur possession. Nous apprenons ainsi que les Naboriens, s’étant soumis à cette obligation, ont déclaré : 43 fusils de chasse, 3 fusils de guerre, 3 carabines, 52 pistolets (le plus souvent paires de pistolets), 16 couteaux de chasse et coutelas, 24 épées et autant de sabres, une hallebarde et 3 piques.
Le maire, M. SPINGA, possédait : un fusil, un coutelas; son fils un petit fusil et un fusil du Royal-Allemand qui lui avait été remis par un habitant. Le procureur de la commune était bien équipé : un fusil, un sabre, une épée, un pistolet, un couteau de chasse, une vieille hallebarde, avec un baril de poudre (sans plomb). Le commandant de la garde nationale en avait un peu plus : deux fusils de chasse, cinq pistolets, deux piques, un sabre, deux épées, deux couteaux de chasse; poudre et plomb pour cent coups.
En août 1792, il fut interdit de se servir d’armes à feu, même pour la chasse. Cannes à sabre, à épées, dards ou poignards, ainsi que les bâtons ferrés ou plombés, sont interdits à la vente et à l’usage (des assassinats auraient été commis avec ce type d’armes). En octobre suivant, un commissaire fut nommé pour vérifier les déclarations faites par les citoyens de la ville, concernant les armes déclarées en leur possession.
En pluviôse an II, un décret de la Convention mit en réquisition, “pour le service de la République”, toutes les armes au calibre de guerre. Tout commerce en était défendu et tout citoyen détenant de telles armes a dû en faire la déclaration avant le 10 ventôse, sous peine de confiscation et de 300 livres d’amende. Tout militaire quittant son corps, même pour un congé, qui aurait emporté des armes à feu, et ne les remettrait pas dans les trois jours, encourait une peine de deux années de fer (peine de prison pour un militaire).
Mesures diverses
En août 1792, ordre fut donné de transporter à Metz les ornements des églises de la ville.
Toute personne absente un certain temps et dont on n’a pas de nouvelles, est portée sur la liste des émigrés. Il en fut ainsi de deux Naboriens qui, en nivôse et ventôse de l’an III, demandèrent leur radiation de cette liste : Jacques Louis BLIN et Pierre François Nicolas SPINGA (fils du maire précédent), qui en réalité servaient depuis de nombreux mois déjà au 17ème dragons !
En frimaire an III, la municipalité reçut une lettre comminatoire de l’agent national du district. Elle l’informait d’une délibération de la Commission du Commerce et des Approvisionnements du 27 brumaire, approuvée par le Comité de Salut Public : si les contingents en grains et en fourrage ne sont pas versés au complet le 20 du mois, dans les magasins militaires de la République, les maires et agents municipaux des communes en retard seront sur-le-champ mis en état d’arrestation, jusqu’à ce qu’ils aient justifié de leur diligence auprès des citoyens de leur commune qui devaient fournir les dits contingents et qui ne l’auraient pas fait. Ceux-ci, à leur tour, “seront poursuivis et traduits devant les tribunaux pour y être condamnés suivant la rigueur des lois”.
La contribution patriotique, un prélèvement en argent
Un décret de l’Assemblée Nationale du 6 octobre 1789 instaura une “contribution patriotique”, payable en tiers d’après une autre loi du 27 avril 1791, en 1790, 1791 et 1792. À Saint-Avold, 495 chefs de famille y souscrivirent; deux refusèrent ainsi que la maréchaussée. Les barons O’MORE, “seigneur de Valmont en partie” et D’ALHEN firent leur don, l’un à Valmont, l’autre à Boulay, bien que résidant tous deux habituellement à Saint-Avold. Les autres familles (ou habitants) furent estimés hors d’état d’y pourvoir. Le montant total de la somme escomptée s’élevait à 7 107 livres.
La liste des souscripteurs nous est connue. Les religieux participent, soit à titre individuel, soit communautairement.
- à titre individuel : Georges DIDIER et D.Léopold ROBERT, bénédictins à l’abbaye de Saint-Avold; D.P. SOLVER et Antoine KEPPELIN, bénédictins à l’abbaye de Longeville; Philippe RICHARD, curé de Saint-Avold, à son nom et à celui de ses deux soeurs; Michel KLEIN et Jean BASSE, respectivement vicaire et chapelain, contribuent pour 3 livres chacun;
- communautairement : Marie Victoire ALBERT, prieure, et Adélaïde COSTER, procureur du monastère, autorisées par le capitulaire de la communauté et déclarant un revenu annuel de 6 200 livres, contribuent pour 1 551 livres et 5 sols. Les prieur et procureur de l’abbaye déclarent ne pouvoir contribuer du fait des travaux effectués dans les bâtiments, entre autres la construction d’un manège pour la cavalerie cantonnée dans la ville, qui leur a coûté plus de 7 000 livres. L’on ne s’étonnera pas d’apprendre qu’il y eut des problèmes de recouvrement en ce qui concerne les religieux que l’on n’arrivait plus à retrouver…
Parmi les citoyens les plus aisés, l’on trouve :
- François Nicolas SPINGA, avocat au parlement, notaire royal, échevin de la ville, qui cotise pour 108 livres;
- Jean Gaspard GERARD, chirurgien major au régiment de Bercheny et son épouse résidant à Saint-Avold, déclarant 1 200 livres de revenu annuel, qui contribue pour 300 livres;
- Jean-Baptiste Joseph MOREAU, contrôleur général des fermes, cotise pour 130 livres;
- Claude HAROUARD d’AVRAINVILLE, capitaine au régiment de Forez, pour 600 livres;
- Georges BRAUN, tanneur, déclare 400 livres de rente, et contribue pour 100 livres.
Louis Hyacinthe GERARDY, avocat, maire royal et chef de la police de Saint-Avold, déclare que du fait de la suppression des offices à finances et des hautes justices, il perd tout à la fois son état et sa fortune, qu’il n’a d’autre bien qu’une petite maison et le prix de la finance de son office de maire royal, dont il ignore quand il en sera remboursé; en outre, ayant cinq enfants, il ne peut contribuer que pour 12 livres.
François LOUIS et Georges François BIDAULT, avocats, versent chacun 12 livres; CHRISTOPHE, “exécuteur de la haute justice”, 6 livres; Jean-Pierre HARTER, cordonnier, contribue pour 9 livres en son nom, et pour la même somme au nom de sa mère, Claudine HENRY, veuve, dont il est le fondé de pouvoir.
Parmi les plus modestes dons patriotiques, relevons les noms de : Marie THOLE, couturière, qui verse 54 sous; Joseph STEIN, journalier, 36 sous; Nicolas WEBER et Georges BARBIER, mineurs, 24 sous chacun; les veuves de Martin LEFEUVRE et de Jacques QUINT, 18 sous chacune; Alexandre SPIDEL, chamoiseur, 36 sols; Mathis SCHARINGER, lissier, 15 sols; Barbe DOUR, Anne BRAYER, Angélique LAUER, veuves, 12 sols chacune, ainsi que Françoise URBAIN et Rose LAUER, femmes seules; Catherine JUNG.veuve et Jean Nicolas LEJEUNE, “garçon majeur”, 9 sols chacun.
Ainsi était l’élan patriotique à l’époque.
Une situation économique difficile due à l’état de guerre
La ville de Saint-Avold était déjà endettée en 1789, année où une révolte provoquée par la famine dut être réduite par l’intervention de la troupe.
En temps normal, le cantonnement d’une troupe, surtout de cavalerie, est un apport précieux pour la vie économique d’une cité. Mais les troupes républicaines ne sont pas soldées régulièrement, et elles veulent payer avec des assignats dont personne ne veut. Le logement des militaires de passage, les réquisitions de toutes sortes, les obligations pour les artisans de travailler pour l’industrie de guerre, et pour les ouvriers de prêter leurs bras et leurs outils pour les travaux guerriers, tout ceci à la longue appauvrit le citoyen. Le prix des denrées, de la nourriture, augmente, les salariés réclament des augmentations. Le prix des transports suit la même courbe ascendante. Et ceci dura jusqu’à l’époque du Consulat.
Construit en 1723, l’ancien Hôtel de la Poste aux chevaux a vu défiler les troupes et notamment les régiments de hussards.
En 1788, la ville, surchargée financièrement en raison des dépenses militaires, s’adressa à l’Intendant de la Lorraine et du Barrois pour le supplier de faire supporter une partie de ces dépenses par les communautés avoisinantes, qui “profitent des bénéfices que des troupes procurent dans les environs de leurs quartiers”. L’Intendant a dressé un état des dépenses et les a réparties sur les communautés en fonction de leurs possibilités (impositions directes). Il a chargé M. BIDAULT d’en faire le recouvrement, ce qu’il a fait deux années de suite. Comme ces sommes ne suffisaient pas, sur l’avis du district de Boulay, un autre mode de répartition a été décidé par l’Intendant, dont copie a été donnée au receveur de cette ville qui s’est chargé d’en faire la recette gratuitement.
En octobre 1790, le conseil municipal considérait “que la troupe de ligne fait un grand bien dans un pays”, mais qu’il n’en est pas moins vrai que “le logement en est fort incommode et fort coûteux, et que l’avantage retiré est bien contrebalancé par les inconvénients qui en résultent. La ville de Saint-Avold, qui par sa salubrité et l’abondance de ses eaux, et la proximité des meilleurs fourrages ainsi que tous les comestibles à meilleur prix que partout ailleurs, en un des bons quartiers du département de la Moselle, en a fait et en fait encore l’expérience. La troupe fait augmenter le prix des fourrages et des comestibles, et quoiqu’à plus bas compte que dans d’autres endroits, l’habitant n’en est pas moins surchargé par cette augmentation”.
Le 12 septembre 1791, le même conseil décida que, “comme par la suppression des octrois il n’y a pas d’argent dans les caisses de la ville,… il sera procédé lundi prochain à la vente des boiseries et tableaux de l’abbaye pour payer les ouvriers” chargés d’aménager et réparer les cantonnements destinés au 6ème hussards. “Comme le produit de la vente ne suffira pas, il a été décidé de demander que les meubles et effets du couvent des religieuses, sauf les plus précieux, soient vendus”.
Le 11 août 1792, M. DUPERRE, commissaire des guerres de l’Armée du Nord, estimant qu’il est impossible de se procurer de la viande au prix de 7 sols comme elle avait été taxée lors de la délibération du 7, fixa ce prix à 8 sols la livre, payable en assignats.
Le 27 novembre 1792, considérant que le transport des graines conduites aux magasins pour la fourniture de l’armée, ainsi que les passages considérables de troupes, avaient provoqué une augmentation sensible des denrées et particulièrement du blé, il fut arrêté que la livre de pain serait taxée à 3 sols 6 deniers, le pain bis blanc à 21 sols, et le pain blanc à 4 sols. Les boulangers devront tenir l’affiche des prix apparente.
En fructidor an III, il fut constaté que depuis l’arrêté du 11 floréal réglant le prix des transports des vivres et fourrages, des magasins de l’intérieur à ceux des armées, ceux des comestibles s’étaient considérablement accrus, “à cause de la baisse et du discrédit des assignats”, au point que dans la région les frais de transport accordés aux voituriers ne suffisaient pas à payer le quart de leur dépense.
Il y avait journellement des plaintes des cultivateurs et des voituriers sur la disproportion des prix accordés par cet arrêté, par rapport à ceux accordés aux administrés des districts voisins (jusqu’au triple); cette disproportion obligeait à augmenter les salaires.
Le 7 germinal an II, le conseil municipal estima que la commune était “dans la plus grande détresse relativement aux subsistances”. La pénurie en grains avait pour cause la consommation excessive occasionnée par le passage continuel des troupes et des charrois et convois militaires. Le citoyen MAIRE, qui s’était rendu à Metz pour solliciter des secours auprès du représentant du peuple MALLARME, et pour que la municipalité soit autorisée à prendre, dans les magasins militaires, les grains indispensables pour l’alimentation des citoyens, avait été verbalement renvoyé vers l’administration du district de Sarreguemines. Le 15 germinal, celui-ci autorisa enfin la municipalité à prélever 57 quintaux de grains dans le magasin.
État d’esprit de la population
L’époque révolutionnaire avait débuté dans l’enthousiasme du peuple.
Certains mouvements de mécontentement (apparemment d’ordre plutôt politique) ont commencé à se faire sentir en août 1791. Un “cabinet littéraire” (ou club) fut fondé par MM. NAYROD et D’AVRAINVILLE, respectivement lieutenant-colonel et colonel de la garde nationale locale, qui tentèrent d’exciter la population contre la municipalité. Ils demandèrent à un dénommé BUTTELINGER de fabriquer des fourches, des piques et des crochets. Le bruit qu’il fît en les façonnant alerta des voisins. La municipalité lui interdit cette confection, fit fermer le club et demanda à la gendarmerie nationale, à la garde nationale et aux troupes de ligne cantonnées dans la ville d’interdire et de disperser tout rassemblement.
À l’origine de cet événement, l’agression de M. AMLON, capitaine des invalides de la 1ère classe, attaqué chez lui par plusieurs jeunes qui l’ont jeté dans le bassin de la fontaine de Saint-Nabor, tentant de l’y noyer. Il avait été secouru par deux hussards du 6ème régiment logés chez lui et par un voisin. Les membres du club voulaient apparemment utiliser ce fait divers pour développer un sentiment d’insécurité dans la population.
Les registres municipaux ne font mention d’aucune autre manifestation de révolte ou d’agitation populaire. Mais il est sûr que la vie devenait de plus en plus pénible avec les restrictions, le cortège de mesures plus ou moins arbitraires de l’époque de la Terreur, la si bien nommée, et les problèmes économiques, sans oublier les époux et fils guerroyant, dont les bras auraient été bien utiles à leur famille avec des outils à la place d’armes.
Mais ce qui pesait le plus (surtout pour la vie quotidienne), c’était ce va-et-vient incessant de troupes, de soldats isolés, de convois et charrois.
En octobre 1790, le conseil municipal considérait que “la troupe de ligne fait un grand bien dans un pays”. À la date du 18 messidor an VIII, il est noté dans le registre municipal que “les troupes de passage à Saint-Avold ne peuvent y faire aucun bien, n’étant pas payées”.
Ces deux phrases, écrites à sept ans et demi d’intervalle, résument à notre avis l’évolution des esprits durant ce laps de temps.
Par-delà toutes ces vicissitudes, c’est ainsi que Saint-Avold, française depuis 1766 seulement, s’intégrait, de façon accélérée du fait des événements, à la communauté qui était en train de devenir la nation française.