L’ancienne église paroissiale Saints-Pierre-Et-Paul.

par Denis GUISARD Extraits de l’article paru dans le numéro 1994 - 2 des “Cahiers Lorrains”.

Le centre historique de Saint-Avold abrite un bâtiment imposant bien intégré au cœur de la cité. Après avoir fait l’inventaire des vestiges visibles à l’intérieur et à l’extérieur de cette maison, l’ancienne église paroissiale Saints-Pierre-et-Paul, Denis Metzger et Jacques Kunzler publièrent en 1982 une étude qui fit évoluer notablement la connaissance de l’histoire de cet édifice.

Construite en 1490, l’église paroissiale disparut du patrimoine naborien à la Révolution. La nef amputée de la tour-clocher et du chœur fut transformée en maison d’habitation, occupée jusqu’à nos jours. En 1987, lors de travaux portant sur la première et la deuxième travées, nous avons pu avancer dans la connaissance architecturale de cette église et, après restauration, essayer de lui redonner la place qu’elle avait dans le paysage naborien.

D’autre part, des fouilles dans le jardin et le sous-sol d’une partie du bâtiment ont apporté des éléments nouveaux pour l’histoire de la ville et constituent une première dans le domaine de l’archéologie médiévale du centre historique de Saint-Avold.

Découverte de nouveaux vestiges architecturaux

Les travaux ont permis de dégager tous les éléments architecturaux des deux premières travées, dissimulés lors de la transformation effectuée à la période révolutionnaire. Tous les éléments endommagés ont été restaurés.

Les sondages et essais de sol ont défini le niveau d’assise de la fondation de la façade à - 2,5 m par rapport au dallage de l’église et l’épaisseur de la base à 1,5 m. Ce point est certainement le plus profond : mesuré du côté de la Mertzelle, le sol dur y est en pente vers le ruisseau.

Les colonnes, d’un diamètre de 80 cm, sont constituées de deux demi-cylindres de 50 à 60 cm de haut maintenus par deux fers plats et scellés à la chaux. Chaque niveau repose sur une plaque d’ardoise soigneusement jointoyée. Le fût, cylindrique sur toute sa hauteur, ne comporte pas de chapiteau. Les moulures des grands arcs, des doubleaux et des formerets sont à pénétration directe. Le pilier repose sur une base octogonale plus large de 40 cm de côté et de 60 cm de haut. La jonction entre ces deux éléments se fait par une gorge arrondie et un tore inférieur bulbeux.

Deux colonnes identiques sont engagées dans le mur de façade de part et d’autre du vaisseau central. Celles engagées dans les murs collatéraux entre chaque travée sont différentes. D’un diamètre de 20 cm, elles reposent sur une base cylindrique de diamètre double et d’une hauteur de 30 cm. La jonction se fait par une gorge et un tore proportionnellement identiques à ceux des piliers. Contrairement aux colonnes de la nef, elles comportent un chapiteau sculpté à tailloir (h = 35 cm) sur lequel viennent mourir les différentes moulures. La finesse de la colonne par rapport à la hauteur des bas-côtés apporte une légèreté élégante à leur décor intérieur (voir coupe longitudinale, fig. 1).

La fenêtre à deux formes de chaque travée contribue à cet aspect. Sous chacune d’elles une double arcade en plein cintre est creusée dans une partie de l’épaisseur du mur. Ces niches avec une tablette à 60 cm du sol abritaient les autels dédiés aux saints patrons des différentes corporations de la ville.

En façade, chaque bas-côté a une structure identique mais à arcade simple d’une seule forme. Le vaisseau central possède lui aussi une arcade de ce type à côté du portail décentré à droite (voir coupe transversale, fig. 2).

Le portail est orné de trois gorges demi-circulaires encadrant deux moulures qui se croisent à la jonction de la partie verticale et de l’arc en accolade dont la clef de voûte est flamboyante. Ce croisement de moulures n’est pas sans rappeler celui des grandes arcades, confirmant ainsi une certaine unité de construction.

Outre ce portail décentré, la façade principale comporte une haute fenêtre axiale éclairant le vaisseau central aveugle de la nef et deux fenêtres latérales. Celle de gauche, murée bien avant la Révolution, a été totalement dégagée. Nous avons retrouvé le meneau intact d’une fenêtre ogivale formée de deux lancettes minces et hautes et surmontée d’une rosace quadrilobée d’une seule pièce.

Cette fenêtre murée et les traces d’un escalier d’angle à cet endroit, les trous de scellement de poutres dans les murs et les piliers à ce niveau au-dessus du portail, les dates et les initiales gravées sur la colonne gauche, à hauteur d’homme, témoignent de la présence d’une tribune dans cette première travée du vaisseau central de la nef.

Entre les deux contreforts, seulement interrompu par le portail, un talus de pierre court le long de la façade à 65 cm du sol pour un débord de 10 cm.

1. Coupe longitudinale : vue intérieure du mur collatéral est.

2. Coupe transversale : revers de la façade nord.

Les poutres que nous avons récupérées et qui constituaient les planchers de la maison d’habitation proviennent de la charpente de l’église; elles ont déjà été réutilisées une première fois, ce dont témoignent assemblages et trous.

À partir des mesures prises, il est permis d’établir la présence d’autres fenêtres dans le reste du bâtiment. À la cinquième travée de la façade ouest, à la quatrième de la façade est, de même qu’à l’extrémité du bas-côté du côté chœur, il existe des fenêtres intactes à l’intérieur desquelles ont été inscrites les fenêtres rectangulaires de la maison d’habitation, comme on peut le voir sur la façade est.

La découverte de ces éléments architecturaux apporte des éléments nouveaux et complémentaires à la connaissance de la structure de l’église Saints-Pierre-et-Paul mais pose aussi un certain nombre de questions. Les moulures intérieures des fenêtres de la première et de la deuxième travées sont différentes et invitent à se demander s’il y a eu agrandissement de l’église ou s’il s’agit simplement d’une alternance du décor. Le point serait à vérifier dans la partie non explorée de la nef.

D’autre part, à l’intérieur des angles est et ouest, côté façade, et compte tenu des arrachements de la colonne d’angle et des arcs des fenêtres aveugles au même niveau, nous supposons la présence d’un chapiteau à tailloir. Ce point serait aussi à vérifier dans les deux autres angles opposés de la nef, côté chœur.

Ci-dessus : la façade nord de l’ancienne église Saints-Pierre-et-Paul avant les travaux de restauration.

Ci-contre : dessin de Jean Morette montrant l’église avec sa tour-clocher.

Les fouilles dans le jardin

La surélévation de ce jardin en plein centre ville de 1,40 m par rapport aux niveaux de la rue et des propriétés voisines n’avait jamais posé de problème à quiconque. Et pourtant la tranchée pratiquée pour établir une stratigraphie du site, dans une zone qui a priori pouvait ne pas être perturbée, a tout de suite révélé la présence d’ossements et de murs. Les ossements trouvés se répartissent sur deux niveaux :

  • le premier est un enchevêtrement d’ossements à 1,50 m de profondeur sur une hauteur de 2 m, une largeur de 4 m et une longueur de 6 m,
  • le second, beaucoup plus ancien, est un niveau d’inhumations non perturbées au niveau - 4 m (crânes intacts, corps allongés) en pleine terre.

Les fouilles mirent aussi au jour un ensemble de structures maçonnées. La plus intéressante est assurément constituée par les murs arasés de l’ossuaire. Celui-ci se présente comme un rectangle de 7,48 m sur 7,98 m. Les murs de blocage ont une épaisseur de 0,88 m. La largeur est la berge de la Mertzelle à l’est, grossièrement parallèle aux façades latérales de l’église. À l’opposé, un contrefort droit, dans l’axe du mur nord, se prolonge vers l’église par un mur moins fondé et continu qui borde le chemin du cimetière et passe devant la façade de l’édifice. En effet, du côté nord nous n’avons retrouvé aucun ossement. Au sud, se trouve un contrefort d’angle de type gothique. Les murs extérieurs - côté nord (chemin du cimetière) et côté est (bord de la Mertzelle) - ne présentent pas d’ouvertures. En revanche les deux autres ont une porte de pierre taillée à pans coupés vers l’extérieur ouvrant sur le cimetière. Ces murs ont une fondation profonde de plus de 2,50 m par rapport au niveau de la rue actuelle. Une ouverture, côté sud, était murée notamment par des éléments de croix sculptées dont l’une est particulièrement intéressante avec la graphie en patois de la ville, SANTERFOHR.

À l’intérieur de ces murs, le dallage a été supprimé et une couche dense d’une épaisseur de 80 cm d’ossements en vrac, de pierres tombales endommagées et de morceaux de poteries confirme l’arasement de l’ossuaire. Aux quatre angles, une colonne cylindrique est engagée dans une maçonnerie appareillée et d’un seul tenant.

De l’ossuaire nous savions seulement par les textes qu’il était « très ancien et de goût gothique » et que l’inscription au-dessus de la porte était datée de 1413. À la Révolution, avant sa destruction, il renfermait plus de mille squelettes, lesquels ont été effectivement retrouvés éparpillés dans le jardin. Tous ces ossements ont été transférés dans une tombe commune au cimetière de la ville.

Les autres murs retrouvés dans le jardin, parallèles ou perpendiculaires à la façade latérale de l’église, ont tous été relevés et ne peuvent être interprétés qu’en relation avec les vestiges retrouvés à l’intérieur, bien que certains d’entre eux, peu fondés, puissent correspondre à des maisons proches de l’église primitive, qu’il aurait fallu démolir pour la construction de l’église (explication des traces d’occupation domestique). Les niveaux archéologiques restés en place ont été scellés par un revêtement tandis qu’un pavage reproduit en surface l’emplacement des murs de l’ossuaire.

Les informations recueillies par la fouille montrent une stratigraphie complexe dont l’exploitation est rendue délicate par l’absence de matériel typique, à l’exception des tessons qui correspondent à la seconde phase d’occupation. Parmi ceux-ci, deux tessons proviennent de céramiques rainurées grises à l’aspect légèrement métallescent, comparables à celles de la collection datée du XIe siècle découverte dans la mine du Bleiberg à Saint-Avold. Des tessons de carreaux de poêle de faïence émaillée découverts dans les remblais peuvent être datés des XVIe et XVIIe siècles. Le dernier remblai contient des inhumations des XVIIe et XVIIIe siècles.

Les structures construites sont constituées de pierres de calcaire dur appareillées en blocs de 15 à 35 cm en assemblage assisé et liées au mortier maigre à la chaux de couleur jaune. Les structures de fondation telles que hérisson ou empierrement sont absentes. La maçonnerie de ces structures (sauf l’ossuaire) se trouve à quelques centimètres du paléosol alors que la proximité de la Mertzelle et son débit capricieux auraient exigé des normes plus adaptées. Cette observation nous conduit à soulever le problème de ces fondations. Étaient-elles destinées à supporter une élévation importante ou, au contraire, une architecture légère ?

Les informations recueillies grâce aux sondages révèlent une occupation longue à caractère domestique s’étendant probablement sur tout le Moyen Åge et cela depuis une très haute époque. Le caractère sacré de cette partie du site ne semble débuter qu’avec la construction de l’ossuaire et la formation du cimetière (XIe-XIIIe siècles).

Ci-dessus : l’un des sarcophages découverts “in ecclesia”.

Ci-contre : croix datée 1677 On notera la graphie SANTERFOHR à ajouter à la longue liste des différentes façons de nommer notre ville au cours des siècles.

Les ossements découverts ont été réinhumés au cimetière du Felsberg.

Fouilles du sous-sol de l’église Saints-Pierre-et-Paul

Les terrassements effectués à l’intérieur du bâtiment ont nécessité une seconde intervention. Celle-ci a permis la découverte d’un premier niveau d’inhumations “in ecclesia” répertoriées, de fondations dont certaines prolongent celles mises au jour dans le jardin, d’un second niveau d’inhumations.

La première couche d’inhumation correspond aux inhumations “in ecclesia” qui eurent lieu jusqu’en 1764. L’église Saints-Pierre-et-Paul n’avait pas de crypte. Par contre la maison d’habitation avait deux caves. Dans le second niveau d’inhumation on distingue trois modes d’inhumation : en sarcophage, en pleine terre et sous pierre tombale.

À titre d’exemple, décrivons quatre tombes mises au jour côté sud :

  • deux sarcophages trapézoïdaux à couvercles bombés en calcaire, tous deux de type bourguignon-champenois, comparables à ceux découverts sur la butte de Mousson où ils sont datés du VIle siècle. Les ossements reposant dans les cuves appartiennent à des sujets adultes. Le mobilier funéraire est absent. Le sujet d’une sépulture est de grande taille et de forte corpulence, le bassin trop large a obligé à une dépose du corps en biais, le bras droit allongé sous le corps. Le déplacement du crâne s’explique par plusieurs montées d’eau dont les traces sont très nettes sur les parois du sarcophage. Dans l’autre sépulture, plusieurs anomalies ont été relevées : à l’intérieur du sarcophage, deux fémurs surnuméraires et la présence de terre, à l’extérieur, des os de bassin et de membres supérieurs; le long de la paroi sud, deux crânes à l’est et deux tibias verticaux à l’angle nord-est;
  • un petit sarcophage trapézoïdal en grès contenait les ossements très dégradés d’un enfant. Le couvercle était effondré et les fragments désagrégés;
  • une sépulture en pleine terre. Sous les ossements une empreinte noire signale la présence de bois qui correspond soit à un cercueil, soit à une simple planche. Un tesson provenant du remblai de la fosse permet une hypothèse : ce type de céramique (pâte noire feuilletée contenant un gros dégraissant de quartz, d’aspect granuleux et légèrement craquelée en surface), fréquent au VIle siècle, a été produit jusqu’au XIe siècle. La ville étant très tôt un centre urbain et un lieu de passage, il semble logique de retenir la première date.

En conclusion

En conclusion, les recherches archéologiques et études stratigraphiques entreprises lors des travaux de réaménagement constituent à la fois un bel exemple de coopération et une première dans l’archéologie médiévale du centre historique de Saint-Avold. Les résultats sont à la mesure de la confiance réciproque que les services de la Direction régionale des Affaires culturelles de Lorraine et le propriétaire ont montré dans le déroulement coordonné des recherches et des travaux.

La fouille a d’abord permis de déterminer avec précision la structure intérieure de l’église puisque tous les éléments architecturaux remis en évidence ont été restaurés (arcades, fenêtres, portail, façade). Cité dans les archives de la ville, l’ossuaire du XVe siècle, dont les fondations ont été découvertes dans le jardin, a été dégagé, étudié et relevé, puis protégé par un dallage. L’information enregistrée dans les deux secteurs explorés, à l’intérieur et à l’extérieur du bâtiment, montre une occupation dense et mouvementée qui va sûrement du VIIe au XVIe siècle, et certainement même plus tôt.

En plus de ces observations, la fouille a également apporté les premiers éléments de réponse au problème posé par l’édifice antérieur à l’église Saints-Pierre-et-Paul brièvement mentionnée dans les archives communales.

Les indices relevés suggèrent deux hypothèses :

  • soit il s’agit d’une église paléochrétienne ayant subi tardivement des remaniements de style roman,
  • soit il s’agit d’un édifice roman ayant succédé à un premier bâtiment paléochrétien. On aurait dans ce cas - et c’est ce qui nous paraît le plus probable - une succession de trois églises différentes sur un site unique.

Quelle que soit l’hypothèse qui devrait être confirmée ultérieurement, les deux églises précédentes étaient orientées nord-sud.

Un certain nombre de pierres provenant de la destruction de l’église Saints-Pierre-et-Paul, ou de l’église précédente, ont été conservées et seront étudiées pour apporter des renseignements architecturaux complémentaires. Elles sont mises à l’abri dans la crypte de l’abbatiale Saint-Nabor avec les sarcophages qui attendent leur restauration. Quant aux pierres tombales et aux croix sculptées trouvées lors des fouilles, elles justifieraient la création d’une collection lapidaire municipale.

Des renseignements importants restent à découvrir dans les trois autres travées de la nef formant la propriété voisine. Il serait dommage pour l’histoire de Saint-Avold de laisser perdre ces précieux indices. C’est dans cette partie que se trouvent superposés les chœurs des trois églises et les sépultures les plus intéressantes. Une fouille archéologique complète et systématique avec une étude stratigraphique fine du sous-sol à cet endroit doit être entreprise par les services concernés avant tout aménagement. Cela relève d’abord de la volonté mais aussi de la responsabilité des édiles municipaux dans une prise de conscience collective de l’intérêt de la connaissance du patrimoine de notre ville.

La restauration effectuée dans cette première partie de la nef de l’ancienne église paroissiale Saints-Pierre-et-Paul est une contribution privée importante à l’amélioration du centre ville. Elle a restitué aux Naboriens une partie disparue de leur patrimoine et un petit morceau de leur histoire, mais la suite est encore à écrire.

Retable de la Vierge - © Photo André Pichler Provenant de l’ancienne église paroissiale Saints-Pierre-et-Paul où il ornait l’autel de la Vierge , il se trouve aujourd’hui encastré dans le mur occidental de la nef nord de l’actuelle église paroissiale, ancienne abbatiale.

Mise au tombeau - © Photo André Pichler Ce groupe sculpté provient également de l’ancienne église Saints-Pierre-et-Paul, où il était placé « dans une chapelle prattiquée dans le mur à l’orient de la nef ».