Guenviller en 1950 (collection Denis Muller)
La vie dans nos villages dans les années 1950.
par Monique Becker
Que sont-elles devenues nos campagnes, et tous ces paysans du siècle dernier, partagés entre leur attachement viscéral aux traditions établies et un mode de vie en pleine mutation, plus individualiste, et confrontés à l’inexorable marche du progrès ? Sans succomber à la nostalgie, ceux qui ont connu les villages d’autrefois ne seront plus jamais les même, imprégnés à jamais de ces scènes villageoises bruyantes, réminiscences de beuglements d’animaux, de roulis d’essieux de charrettes, d’odeurs d’étables, de rituels ancestraux, de cris et de rires d’enfants, de paysages campagnards en perpétuel mouvement, saison après saison. “C’était le bon temps !” affirmeront certains, mais qui serait prêt aujourd’hui à vivre, comme dans les années 1950, sans eau courante, sans téléphone, sans télévision … et sans internet ? Cet article n’a pas d’autre but que d’évoquer quelques aspects de la vie dans nos villages dans les années 1950, sans prétendre à la moindre exhaustivité.
Le village et ses habitants.
Imaginons nos villages à la fin du XIXe siècle. Les contraintes collectives, enracinées depuis le XVIIIe siècle, avaient développé la vie communautaire dans ces sortes de longues cours collectives formées par les rues proprement dites et les usoirs. Hommes, animaux domestiques, volailles s’y rencontraient presque journellement. Pour aller aux champs, il fallait y passer en raison de l’absence de chemins derrière les maisons. Le berger y rassemblait le troupeau de porcs ou d’oies au son de la trompette. Au moment des pluies , la rue prenait l’aspect d’un bourbier : boue et excréments d’animaux abondaient.
En 1950, bien sûr, les choses avaient changé : les routes étaient goudronnées, l’aménagement de caniveaux permettait un meilleur écoulement des eaux usées mais les usoirs étaient toujours là et la rue était toujours animée alors qu’aujourd’hui les rues des villages sont désertes. L’usoir était encore un espace semi-public. Chaque maison avait le sien sans droit de clôture. De largeur inégale, en légère pente pour faciliter l’écoulement des eaux, il recevait le bois, les instruments aratoires, la brouette et surtout le fumier dont la hauteur mesurait, aux yeux de tous, la richesse du propriétaire. Il était l’objet de tous les soins. De vieux paysans disaient : « Fumier au carré , étable soignée ». Les poules y grattaient et picoraient en toute liberté. Les gens s’y rencontraient, parlaient de leurs bêtes, comparaient leurs récoltes. Souvent, un banc rustique leur permettait de se retrouver, après le travail, pendant la belle saison. Lavoirs à ciel ouvert ou couverts, abreuvoirs et fontaines constituent de nos jours des éléments décoratifs. Mais, dans les années 1950, quand on ne disposait pas d’un puits chez soi, on s’y retrouvait pour y puiser de l’eau. À Guenviller, par exemple, les habitants ne disposeront de l’eau courante qu’en 1962.
L’essor soudain et rapide du bassin houiller, consécutif à la nationalisation en 1946, fut le point de départ d’une ère nouvelle qui se traduisit principalement par l’abandon progressif de l’agriculture dans nos villages. En offrant des salaires élevés, la mine attira une grande majorité d’hommes. Ceux-ci, toutefois, ne renoncèrent pas brutalement à leurs activités précédentes et conservèrent leurs prés et leurs champs. 1950, c’était l’époque du “mineur-paysan “. Les hommes travaillaient à la mine mais conservaient des champs et des animaux : presque tous avaient une ou ou deux vaches laitières, des cochons, des lapins, des poules. En effet, la volaille, la saucisse, le lard et le jambon fumés constituaient la principale réserve de viande pour l’année . On n’achetait du bœuf que pour préparer le traditionnel “pot-au-feu” les dimanches et jours de fête.
L’esprit de corps s’était développé progressivement chez les mineurs, favorisé par le nombre et par la création, dans les villages, de “sociétés des mineurs “. En défilant, drapeaux en tête, ils pouvaient affirmer leur personnalité face aux autres habitants du village et témoigner de leur importance numérique à l’occasion des fêtes et des enterrements.
Peu de femmes exerçaient une profession hors du village; elles étaient presque toutes “mères au foyer” et s’occupaient du ménage, des enfants mais aussi des animaux de l’étable. En été, elles participaient activement aux travaux des champs et leur tâche n’était pas la plus aisée. À l’époque de la moisson, les travaux voyaient se réunir et s’entraider plusieurs familles, tout un hameau, un village parfois, dans une convivialité non feinte. Au moment de la rentrée des foins et des céréales, on faisait appel à ses voisins pour décharger les charrettes. Il fallait être à quatre ou cinq personnes pour passer les gerbes, à l’aide d’une fourche, de la grange jusque sous le toit. La solidarité n’était pas un vain mot.
On travaillait dès l’âge de quatorze ans jusqu’à la retraite prise à soixante-cinq ans (cinquante-cinq ans pour les mineurs) et ce, au moins huit heures par jour, six jours sur sept. L’activité économique très soutenue de cette période d’après guerre faisait que le chômage n’existait pratiquement pas.
Chaque village avait son café, sa petite épicerie, parfois sa boulangerie, commerces qui contribuaient à l’animation des lieux et qui, pour la plupart, ont totalement disparu aujourd’hui.
Les travaux des champs (collection Denis Muller) La mécanisation s’accentue en cette période de rationalisation de l’agriculture. Peu à peu, la technique, la mécanique deviennent la chasse gardée des hommes laissant aux femmes les travaux les plus fastidieux et les plus pénibles. L’agriculteur propose souvent au “mineur-paysan” de faucher ses prés en échange de quoi sa femme devra travailler gratuitement dans ses champs.
Le curé et l’instituteur
Le curé et l’instituteur étaient incontestablement les personnages les plus influents et les plus respectés du village. Le premier promettait le bonheur dans l’au-delà. Le second donnait aux enfants les outils nécessaires pour réussir leur vie sur terre.
Le curé
Le calendrier grégorien, suivi exactement à la campagne définissait la part réservée au travail et celle due au Créateur; le repos dominical était sacré, les fêtes religieuses observées, la morale chrétienne nullement contestée. L’espérance d’une vie meilleure dans l’au-delà rendait supportables les vicissitudes de la vie, les agressions de la nature et celles des hommes. C’est pourquoi le curé bénéficiait encore à cette époque d’un prestige considérable. Bien qu’il soit censé vivre seul, il habitait le presbytère qui était souvent l’une des plus grandes maisons du village. Grâce au confessionnal, il savait tout ce qui se passait dans le village ou du moins tout ce que ses paroissiens voulaient bien lui dire.
Certains curés, jouant aux gendarmes, parcouraient les rues et les chemins du village à bicyclette afin de surveiller le comportement de leurs paroissiens et les tenues vestimentaires des jeunes filles. D’autres, plus proches des gens, jouaient aux cartes avec les hommes du village. Mais tous étaient respectés. Lorsque les écoliers croisaient le curé, ils enlevaient leur casquette et disaient : « Gelobt sei Jesus Christus ! » et le curé répondait : « In Ewigkeit. Amen ». Lorsqu’on tuait le cochon, on gardait toujours une part pour le curé et l’instituteur.
Il n’était pas question de manquer la messe du dimanche matin ou les vêpres de l’après-midi. À l’église, les hommes devaient se placer dans la rangée de droite et les femmes dans celle de gauche. Une fois par an, les places étaient vendues au plus offrant. En semaine, les enfants devaient obligatoirement assister à la messe de 7 h et suivre le catéchisme à 11 h. Tous étaient tenus de participer aux processions des Rogations et de la Fête-Dieu.
Au printemps, en début de la semaine précédant l’Ascension, les Rogations étaient l’occasion de processions hors du village.. Pendant trois jours, chaque matin, tous les paroissiens disponibles accompagnaient le prêtre, les servants de messe et la chorale qui se rendaient dans les champs. Pour ne pas empiéter sur la journée de travail et d’école, la procession se mettait en route dès l’aube. Le cheminement solennel durait plus d’une demi-heure. Pendant que le prêtre, la chorale et les hommes de l’assistance chantaient en latin la litanie des saints, les femmes, divisées en deux chœurs, égrenaient le rosaire en allemand. Leurs invocations demandaient à Dieu un climat favorable, de bonnes récoltes et la protection contre les calamités.
La Fête-Dieu était célébrée un dimanche de mai ou de juin, soixante jours après Pâques. C’était la manifestation religieuse la plus spectaculaire de l’année ; ses préparatifs duraient plusieurs jours. Dès le milieu de la semaine, les enfants étaient sur la brèche pour remplir des pleins paniers de fleurs des champs. Ils n’en cueillaient que les têtes, qu’ils arrachaient en peignant les herbes avec leurs doigts écartés. Après l’école, des groupes issus de chaque quartier se rendaient dans les recoins humides de la forêt pour se fournir en plaques de mousse qu’ils prélevaient délicatement sur les pierres. Le vendredi soir, les hommes se retrouvaient pour dresser les reposoirs où la procession ferait halte. À l’aide de tréteaux, de chevrons et de planches tenus en réserve d’une année à l’autre, ils édifiaient un autel provisoire à plusieurs gradins que de jeunes sapins, disposés sur les côtés et à l’arrière, enserraient de verdure. Le samedi, les femmes camouflaient le bois brut à l’aide de tapis et de nappes. Une abondance de fleurs s’ajoutait à la mousse ramassée par les enfants pour créer un décor champêtre. Enfin, elles y déposaient en dernière minute statues, icônes, chandeliers, cierges et tout objet de piété que le voisinage pouvait fournir. Événement majeur de la vie du village, la procession du dimanche était suivie par tous les villageois et s’achevait par le célèbre cantique : « Grosser Gott wir loben dich ».
Les Noëls d’antan étaient bien différents de ceux d’aujourd’hui et Noël n’était pas la fête commerciale que l’on connaît de nos jours. On jeûnait avant la messe de minuit pour pouvoir communier. La messe de minuit était sans doute la plus belle de l’année : la liturgie se voulait solennelle et chaleureuse. Les chants traditionnels invitaient à l’allégresse, à la réjouissance, à la félicité. Après la messe, les enfants ravis découvraient les “cadeaux” déposés par le “Christkindche” : un pain d’épice sur lequel était collée une image de Saint Nicolas, quelques biscuits, des noix, une mandarine et des pommes. Avant de se coucher, enfants et adultes buvaient un peu de vin chaud et mangeaient de la brioche. Le lendemain, à 10 h, on retournait à l’église pour une nouvelle messe solennelle.
À l’Épiphanie ou “Dreikönigsfest”, les enfants, déguisés en Rois Mages, allaient de maison en maison et récoltaient beignets, gâteaux ou menue monnaie qui étaient ensuite partagés par le curé de la paroisse. Du vendredi saint au samedi saint, les enfants de chœur parcouraient les rues en agitant leurs crécelles parce que les cloches “étaient parties à Rome”.
Pas de procession sans les “Suisses” aux uniformes chamarrés (collection Denis Muller). En référence aux gardes suisses du Vatican, s’est établie, à partir du XVIIe siècle, la coutume de voir un “Suisse” veiller au bon déroulement des cérémonies religieuses et rendre les honneurs au célébrant.
L’instituteur
Figure incontournable de la vie villageoise, l’instituteur exerçait un métier difficile qui consistait à accueillir et à élever (d’où le nom d’élèves) tous les enfants de la commune âgés de six à quatorze ans. Le curé s’occupait des âmes, l’instituteur des esprits et dans un cas comme dans l’autre c’était un véritable sacerdoce même si les convictions différaient parfois. Il y avait, comme dans le poème d’Aragon, “celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas”, mais on n’était plus au temps des hussards noirs de la IIIe république et les deux hommes se respectaient mutuellement.
L’instituteur devait faire des cinquante à soixante élèves réunis dans une classe unique rassemblant tous les cours de futurs citoyens instruits et brillants. Tâche d’autant plus ardue que les petits entrant au CP ne parlaient que le “plöttditch”, leur langue maternelle et que, dans la vie quotidienne, personne n’utilisait le français même pas le curé dans son sermon du dimanche. « Mission impossible » diraient les enseignants d’aujourd’hui, mais dont les instituteurs de nos villages s’acquittaient naturellement.
L’instituteur n’était pas seulement le “maître d’école”, mais aussi le secrétaire de mairie et l’animateur culturel du village. Il organisait des séances de cinéma ou des représentations théâtrales. Sa femme donnait bénévolement , un après-midi par semaine, des cours de cuisine et de couture aux filles.
Les enfants allaient à l’école de l’âge de six ans à quatorze ans. La journée d’école était de sept heures du lundi au samedi, le jour hebdomadaire de congé étant le jeudi. Les vacances scolaires étaient plus courtes qu’aujourd’hui. Les vacances d’été (les grandes vacances) débutaient le 14 juillet et la rentrée se faisait début septembre. Il y avait en outre une semaine de vacances à Noël et à Pâques. Très peu d’écoliers poursuivaient leurs études après quatorze ans. Quelques uns passaient le Concours d’entrée en Sixième après le CM2, mais la plupart passaient à quatorze ans le Certificat d’études primaires qui était à l’époque un véritable sésame pour trouver un emploi.
Les enfants se rendaient d’abord à l’église pour assister à la messe de 7 heures, puis à l’école, de 8 h à 11 h et au catéchisme, de 11 h à midi. L’après-midi, les cours reprenaient de 13 h à 16 h. À Guenviller, ils partaient ensuite dans les champs pour y travailler avec leur mère ou se lançaient à la recherche des escargots qu’ils ramenaient le lendemain à l’école. Leur coopérative avait, en effet, passé un accord avec l’entreprise Ugma de Strasbourg qui lui rachetait les escargots. L’argent ainsi recueilli servait à financer l’excursion de fin d’année. Parfois, les parents les envoyaient dans les champs de pommes de terre où ils étaient chargés d’attraper les doryphores (pas de pesticides à l’époque !) ou les hannetons qu’ils donnaient ensuite aux poules. En été, les enfants étaient chargés de garder les vaches pour les empêcher d’aller dans les champs cultivés. On s’amusait bien alors et l’on faisait de petits feux pour cuire quelques pommes de terre ramassées dans les champs. Parfois, le curé du village, surgissait sur son vélo, en tournée d’inspection, pour vérifier que tout se passait bien et qu’aucune jeune fille ne déviait du droit chemin en lisant en cachette une revue prohibée comme “Nous Deux” !
Il y avait à l’époque des cours de morale qui permettaient d’apprendre la politesse et ses devoirs envers sa famille, ses camarades, la patrie et la société.. L’instituteur, face à cinquante ou soixante élèves, devait savoir s’imposer et manier la baguette en cas de besoin. Dans la classe unique, les plus grands aidaient souvent les plus petits et les faisaient lire pendant que le “maître” s’occupait des autres cours.
L’instituteur conduisait parfois sa petite troupe hors de l’école pour des “leçons de choses”. À une époque où le fameux “principe de précaution” ne bloquait pas toutes les initiatives, l’instituteur de Guenviller n’hésitait pas à emmener toute sa classe se baigner à l’étang de la Papiermühle à Hombourg-Haut ou à faire du nettoyage en forêt autour de la tombe du soldat russe fusillé pendant la seconde guerre mondiale et qu’un habitant du village, sous la menace d’un soldat allemand, avait dû enterrer sur place.
La classe unique de Guenviller en 1950 (collection Denis Muller)
La vie quotidienne
En 1950, les maisons n’offraient pas, bien sûr, le confort des maisons d’aujourd’hui. En l’absence d’eau courante, il n’y avait pas de chauffage central, ni de salle de bain ou de toilettes. Les W.C. étaient à l’extérieur (“la cabane au fond du jardin” chantée par Francis Cabrel). Il n’y avait souvent qu’un fourneau ou un poêle pour chauffer toute la maison et il n’était pas rare, en hiver, de voir les fenêtres des chambres se couvrir de glace. D’où l’utilité de la brique chaude emballée dans du papier journal que l’on glissait dans son lit au moment de se coucher. Par contre, on accordait une grande importance à la salle à manger où se trouvaient les plus beaux meubles, pièce que l’on était fier de montrer aux visiteurs mais que l’on n’utilisait que très rarement.
En 1950, dans les villages, c’est aussi la période de la reconstruction, mais l’on ne fait guère appel aux entreprises extérieures. Pour limiter les frais, on fait soi`même les travaux de terrassement, on fabrique les parpaings, on construit avec l’aide d’amis, chacun dans sa spécialité. À côté du “mineur-paysan” il y a désormais le “mineur-maçon”.
Pour communiquer avec ses administrés, le maire confiait au garde-champêtre le soin de transmettre les informations aux villageois. “Galing… Galing…”, en agitant sa clochette, celui-ci passait dans les rues et, en haussant la voix, annonçait les nouvelles.
Les voitures étaient encore très rares dans les rues de nos villages. Le curé, l’instituteur comme la très grande majorité des habitants se déplaçaient à bicyclette. Un jour par semaine, on prenait le bus pour aller au marché à Saint-Avold, ou Merlebach pour acheter ce qu’on ne trouvait pas dans la petite épicerie du village. Les premières automobiles achetées par les villageois les plus aisés étaient considérées comme un signe extérieur de richesse.
Comment occupait-on les soirées ? En 1950, dès la dernière bouchée avalée après le repas du soir, toute la famille ne se retrouvait pas agglutinée devant le poste de télévision, et ceci pour une simple raison : la “télé” ne commencera à se développer dans nos campagnes qu’à la fin de la décennie. Bien qu’expérimentée dès 1931, la transmission régulière d’images télévisées en France par la RTF ne commencera qu’à la fin de 1948. Pendant ses premières années d’existence, la télévision restera cantonnée dans quelques grandes villes. S’il n’y avait pas de télévision, il y avait la radio, encore appelée TSF à cette époque. Chaque foyer disposait d’un imposant récepteur à lampes qui trônait dans la pièce principale. Lorsque la température était clémente, on se rendait visite entre famille et amis. On ne prévenait évidemment pas par téléphone de son arrivée, car il n’y avait pas plus de téléphone que de poste de télévision, mais il aurait été de la plus grande grossièreté de ne pas ouvrir sa porte à qui se présentait à l’improviste. La soirée se passait autour d’un verre ou d’un café, avec d’interminables discussions pour parler de tout et de rien. Pendant ce temps, les enfants jouaient à cache-cache dans les rues du village animées par leurs cris et leurs rires.
Il y avait dans toutes les maisons, souvent dans l’armoire de la chambre à coucher, une ou plusieurs bouteilles de “schnaps”. Le terme désigne une eau-de-vie transparente, distillée à partir de fruits, en particulier de cerises, de pommes, de poires, de prunes ou de mirabelles et dont le taux d’alcool varie de 40 à 55 %. Il était d’usage d’offrir un petit verre de “schnaps” au facteur ou à tout visiteur se présentant au domicile. Un individu qui aurait refusé le breuvage était considéré comme “n’étant pas un homme” ! On prêtait au “schnaps” des vertus médicinales et on le disait efficace contre toutes sortes de maux. Pour soigner les bronchites, par exemple, on étalait sur sa poitrine un mélange de “schnaps” et d’huile chaude. En ce temps-là, les gens consultaient beaucoup moins les médecins qu’aujourd’hui !
Sauf événement majeur, du lundi au samedi la vie quotidienne s’écoulait selon un rythme bien établi, ne laissant que peu de place à l’imprévu. Mais comment occupait-on les dimanches ? Le matin, on avait droit à une tranche de brioche achetée la veille. Il était quasiment obligatoire pour tous d’assister à la messe. On mettait pour l’occasion ses “habits du dimanche”. À Pâques, qu’il fasse beau, qu’il pleuve ou qu’il neige, les femmes devaient porter leur nouveau tailleur. Après la messe, les hommes se retrouvaient au café du village pour y prendre l’apéritif tandis que les femmes rentraient préparer le repas un peu plus copieux qu’en semaine. L’après-midi, les sociétés de mineurs organisaient parfois des bals en plein air ou dans la grande salle du café. Quand il n’y en avait pas au village, les jeunes gens n’hésitaient pas à faire des kilomètres à pied, parfois à travers champs, pour aller au bal dans un village voisin. “Il n’y a rien de plus normal que de vouloir vivre sa vie” chantera plus tard Jean Ferrat.
Les conscrits avec la “fille de l’année” (collection Dénis Muller). Avec la création de la conscription est apparue un peu partout en France une tradition selon laquelle les jeunes gens de chaque commune se réunissaient et faisaient la fête, avant de partir à l’armée. Cette tradition marquait en quelque sorte l’entrée dans le monde adulte.
La “kirb” ou “kirw” selon les lieux, c’est-à-dire la fête du village , était un événement majeur. À Guenviller, elle avait lieu en septembre, à la Saint Lambert, patron de la paroisse. C’était, en même temps, la “fête des quetsches” puisque c’était le moment de la récolte de ces fruits qu’on utilisait beaucoup sur les tartes ou pour faire des confitures. En l’absence de sauce tomate, on mettait souvent, à cette époque, de la confiture de quetsches sur les pâtes.
À cette occasion, on tuait le cochon qu’on avait engraissé les mois précédents. L’effervescence de ce jour particulier était palpable dès la veille. Le boucher itinérant, souvent un agriculteur du village, avait acquis son savoir-faire sur le tas, initié par son père qui, lui, avait tout appris du grand-père. Circulant dans le village, de maison en maison, il était apprécié pour l’excellence des boudins et des charcuteries qu’il réalisait. Une fois tué, le cochon était suspendu et, le lendemain, le boucher revenait pour le découper.
La fête du village était précédée par un grand nettoyage et commençait à la maison par un repas le dimanche à midi où l’on invitait parents ou amis, repas amélioré par rapport à l’ordinaire, avec les incontournables et nombreuses tartes maison au dessert. Même dans les petits villages des baraques foraines étaient installées sur la place, et selon la taille de la commune, il pouvait y avoir un ou plusieurs manèges pour les enfants. En milieu d’après-midi, la quasi-totalité de la population y convergeait. Tout le monde restait à la fête jusqu’en fin d’après-midi, après avoir dépensé un peu d’argent chez les forains, à la buvette montée sur la place.
On rentrait à la maison vers 19 heures pour manger les restes du repas de midi, et dès 21 heures, les jeunes – et quelquefois les moins jeunes – se précipitaient au bal. Celui-ci se déroulait le plus près possible de la fête foraine afin que manèges et buvette puissent continuer d’attirer des clients. Le bal était animé par un orchestre de quelques musiciens, souvent des amateurs qui arrondissaient par ce biais leurs fins de mois. Le bal se terminait vers deux heures du matin, mais cela ne voulait pas dire que tout le monde rentrait immédiatement se coucher. On bavardait, on prenait un dernier verre et les jeunes gens raccompagnaient les jeunes filles chez elles avant de retourner à la maison.
Il y avait, dans presque tous les villages, une “sorcière”. On prêtait à cette femme des pouvoirs maléfiques et, lorsqu’on la croisait dans la rue, il fallait surtout éviter de la regarder dans les yeux ! Malgré l’omniprésence de la religion, les gens restaient superstitieux.
La nuit du 30 avril au 1er mai, c’était la “Hexenacht”. Dans la mythologie germanique, c’est pendant cette nuit que les sorcières se rassemblaient et organisaient une grande fête (le sabbat) au cours de laquelle elles dansaient et rencontraient le démon. En souvenir de cette croyance, les enfants sortaient la nuit et déplaçaient tout ce que les gens avaient pu laisser près de chez eux : pots de fleurs, brouettes, charrettes et le cachaient dans les environs. On se souvient encore, à Guenviller, de cette “nuit des sorcières” au cours de laquelle des jeunes gens avaient entièrement démonté une charrette et l’avaient remontée sur le toit ! Malgré certains abus, cette tradition ne se perd pas.. Et malgré le nettoyage que cela impose le 1er mai au matin, les gens prennent encore avec beaucoup d’humour cette tradition originale. Le 1er mai, jour férié, c’était aussi traditionnellement dans nos villages, le jour des longues balades à pied ou à vélo pour saluer le retour des beaux jours.
Les jeunes gens d’aujourd’hui ont beaucoup de mal à imaginer que leurs grands-parents aient pu vivre heureux dans les années 1950 sans télévision, sans consoles de jeux, sans smartphones mais les quelques exemples de cette page montrent qu’on savait aussi s’amuser à cette époque malgré les difficultés de la vie quotidienne, que les villages étaient beaucoup plus animés qu’aujourd’hui et qu’il existait entre les habitants une solidarité qu’on ne trouve plus guère de nos jours.
Comme aujourd’hui, chaque village avait son équipe de football … et certains avaient même une équipe féminine ! (collection Denis Muller)