Un ancien élève de l’École Primaire Supérieure de Saint-Avold témoigne :

Souvenirs de Jean MORETTE.

Jean Morette (1911 – 2002), instituteur, a enseigné de 1938 à 1968 à l’école de Pierrevillers - dont il est devenu directeur - tout en dessinant régulièrement dans les colonnes du “Républicain Lorrain”. Il connut ensuite une retraite particulièrement active dans la maison familiale de Batilly. Utilisant le bois gravé et la lithographie, Jean Morette a publié une soixantaine d’albums sur la Lorraine.

Dans “La Lorraine du charbon”, il écrit : « J’ai commencé mes études ici, à l’École Primaire Supérieure de Saint-Avold. Je garde un souvenir ému d’heures studieuses, de professeurs de valeur, d’une ville pittoresque et charmante profondément française que j’ai véritablement aimée. »

Il nous livre ici quelques uns de ses souvenirs.

« J’ai passé deux années à l’École Primaire Supérieure de Saint-Avold, de 1926 à 1928. Pendant deux ans j’ai porté la casquette bleu marine achetée chez Mlle Notton. Entre deux rameaux de laurier, les lettres “E.P.S.” étaient brodées en fil doré. La casquette était obligatoire. Nous la portions légèrement sur l’oreille, ce qui nous donnait un air désinvolte et nous pliions la visière, ce qui nous donnait une allure martiale.

Pour moi qui venait d’un centre industriel, Saint-Avold avait le pittoresque de la petite ville de l’Ami Fritz : de belles maisons en grès rose, des fontaines qui chantaient sur la place et aux angles des rues, un vieux tram qui venait de la gare en tintinnabulant, des paysannes qui poussaient des charrettes en osier et les imposants et débonnaires clochers de l’église abbatiale qui dominaient la cité dont je goûtais le charme du temps passé.

Une rue étroite et pavée passait devant l’école. On franchissait un portail sévère et monumental. La porte se refermait à grand bruit et on se trouvait dans une cour en demi-cercle qui précédait le bâtiment.

Au rez-de-chaussée, à droite, le réfectoire voûté et sombre, avec son passe-plats dont la tablette tournait sur un axe. Deux coups frappés… et la trappe s’ouvrait, laissant apparaître la partie supérieure d’une sœur cuisinière sur un fond de nuées odorantes.

Je pensais, malgré moi, aux personnages des jeux de cartes dont on ne connaît que les bustes. L’alimentation était saine et abondante. On nous servait souvent des purées de toutes les couleurs : blanches, saumon, rouges ou vertes, selon que la pomme de terre, le chou-rave, la carotte ou l’épinard entrait dans leur composition.

Le dortoir était immense et occupait toute la longueur du bâtiment. De grandes fenêtres s’ouvraient sur la cour et le jardin. Les lits étaient disposés dans un désordre ordonné comme les pièces d’un jeu de dominos, car les cheminées, en traversant le deuxième étage, interdisaient toute disposition rectiligne. Les lits portaient, fichée au milieu de leur pied, une sorte de fourche aux extrémités recourbées. Le jour, on croyait voir les cornes d’un immense troupeau de bovins qui se bousculaient en désordre comme dans une scène de western. La nuit, à la faible lumière des veilleuses, lorsque les fourches étaient chargées des vêtements des dormeurs, des spectres menaient leur sabbat sur l’horizontalité des lits.

Dans les lavabos, proches du dortoir, s’alignaient des cuvettes en faïence. On les remplissait d’eau le soir. Certaines nuits d’hiver, l’eau gelait… et la toilette était réduite à sa plus simple expression.

Nous travaillions beaucoup et avec plaisir. La discipline était douce. M. Frisch, le Directeur, était un homme bon qui portait une barbiche Napoléon III. Il fleurait le tabac, parlait lentement en s’accompagnant de gestes de la main. Son épouse confisquait les ballons qui tombaient sur son balcon. À part cela, elle avait un cœur de mère. L’équipe des professeurs était jeune et de valeur.

M. Richbourg nous enseignait le Français. Il était sévère et il nous fit aimer l’Avare, le Cid et Cyrano de Bergerac. M. Zimmermann, en blouse blanche, nous inculquait. imperturbable et concis, les premiers rudiments de chimie et de physique. Il fut pour moi le modèle du pédagogue. M. Lemoine, grand et maigre, s’animait devant le plan d’Austerlitz dessiné au tableau noir et nous avions l’impression d’avoir participé à la bataille. M. Beck était la conscience même. Il nous apprenait l’Allemand. Dieu sait ce que l’on tirait des quatre tableaux représentant les saisons, montés sur toile et hérités de l’annexion. M. Faivre nous initiait au travail du bois et du fer. Je pense à lui lorsque je manie une scie: “Pour réaliser un tenon, sciez toujours du côté qui s’en va !” Quand une pièce n’était pas réussie, on l’envoyait voguer en cachette au fil de la Rosselle qui longeait l’atelier. M. Thielen était un artiste. Il jouait admirablement du violon et du violoncelle. Il nous apprit l’art de l’aquarelle et je lui dois beaucoup.

Deux événements exceptionnels marquèrent mon séjour à l’école. Le Président Raymond Poincaré vint visiter l’école accompagné des notoriétés départementales. C’était le 4 octobre 1926.

Et puis, c’est à Saint-Avold que j’entendis pour la première fois la T.S.F. M. Faivre avait apporté un énorme poste hérissé de self, couvert de boutons. Une antenne immense avait été tendue de la salle d’étude à la cime du plus haut cerisier du jardin des sœurs. Après un concert de miaulements discordants du haut-parleur. on entendit, ô miracle ! parler et chanter… la tour Eiffel ! Paris connaissait le chemin de Saint-Avold !

Mon souvenir aussi prend souvent le même chemin. un souvenir ému et reconnaissant ! »

Saint-Avold dessiné par Jean Morette

Saint-Avold sous la neige et la cour de l’E.P.S. (aujourd’hui Hôtel de Ville)

L’ancienne église Saints-Pierre-et-Paul

La fontaine Sainte-Marie, rue Poincaré