Les contraintes liées à l’Etat de guerre à Saint-Avold / Rosselgène (1790 - 1796).

par Noël Gabriel Extraits de l’article paru dans le numéro 7 du “Cahier du Pays Naborien”

Cet article propose un aperçu de la vie à Saint-Avold rebaptisée Rosselgène à l’époque révolutionnaire en ce qui concerne les conséquences de l’état de guerre pour une cité à la fois proche de la zone des combats, ville d’étape, également ville de garnison et cependant soumise à toutes les charges et mesures d’exception diverses auxquelles était soumis l’ensemble du territoire français à l’époque.

Affaires militaires diverses

Recrutement, engagements volontaires

II y eut plusieurs vagues de recrutement ou d’enrôlements, suivant l’évolution de la situation militaire du pays, plus ou moins préoccupante durant ces années délicates. Des Naboriens s’engagèrent également dans les armées de la République.

Le 11 novembre 1791, le conseil municipal de Saint-Avold est informé que le conseil d’administration du 99ème Régiment d’Infanterie cantonné à Metz a autorisé le 3 du même mois “le sieur HUMBERT, capitaine au dit régiment”, à recruter des hommes “pour parvenir plus promptement à porter le régiment au complet”, en se conformant aux règles établies par l’ordonnance du 25 mars 1791 (c’est-à-dire en faisant appel à des volontaires issus de la garde nationale).

Le 9 mars 1792, c’est le conseil d’administration du 7ème bataillon de chasseurs qui, de Lauterbourg (Alsace), écrit à Saint-Avold pour informer qu’il a autorisé M. BOISEILLER, adjudant major, à recruter pour le compte de l’unité.

Le 12 août 1792, une proclamation du roi a été lue, après les vêpres, sur la place Saint-Nabor. Puis une table fut mise pour inscrire les citoyens qui voudraient rejoindre volontairement l’armée. Table tenue par les sieurs SCHON, officier municipal, assisté de COLBUS et Christophe NICOLAY, notables, avec une traduction en allemand par le sieur PESCH de l’appel au volontariat. Il n’y eut aucune inscription ce jour-là.

Le conseil d’administration du bataillon de la garde nationale de Sarreguemines autorise, en pluviôse an II, le citoyen Jean-Baptiste Théodore PERNET à s’engager au 17ème dragons, et en informe la municipalité naborienne, étant donné qu’il est né à Saint-Avold.

D’autres Naboriens s’engagèrent pour servir dans le même régiment : Jean METZINGER (le 27 germinal an II), le fils de l’ancien maire SPINGA, François Léonard (le 11 mars 1793), François GRIMONT (30 germinal an II), Jean-louis BLIN (le 16 avril 1793). Dans les archives municipales figure le certificat d’engagement, le 21 juin an II, d’un dénommé Jean TACHE, natif de La Carrière, canton de Saint-Avold. Le dépôt du 17ème dragons était à Saverne.

Lors de la “levée des 300 000”, début 1793, a été dressée une liste des jeunes hommes âgés de 16 et 21 ans de chaque commune du canton. Il y avait 4 jeunes de 21 ans (dont 3 à Saint-Avold), et 219 de 16 ans (dont 52 à Saint-Avold).

Nous n’avons guère d’information plus précise concernant le nombre de Naboriens enrôlés ou engagés. Il dut cependant y en avoir un certain nombre, car une vérification des secours distribués aux “parents des défenseurs de la patrie”, effectuée le 11 vendémiaire an III et arrêtée au 1er messidor, indique qu’il y eut 17 735 livres 2 sous 10 deniers distribués en secours annuels, dont 366 d’acompte, et qu’il était prévu, pour le trimestre suivant, d’accorder 3 860 livres, plus 1 420 livres en complément d’indemnités.

Une lettre du district de Sarreguemines, datée du 13 vendémiaire an III, accompagne un mandat de 23 035 livres pour “les canton et commune de Rosselgène, à titre de secours pour les défenseurs de la patrie”.

“Le départ du volontaire” par Watteau de Lille. L’homme porte déjà sur le visage toute la gravité des instants qu’il va désormais vivre auprès de ses compagnons d’armes.

Congés et absences des soldats enrôlés

En ce qui concerne les congés, il semblerait qu’un certain nombre de soldats n’étaient pas pressés de retourner à la guerre, et que celle-ci commençait à peser dès 1794.

Ainsi le 6 ventôse an II, l’agent national près le district de Sarreguemines, écrivit à l’agent national de la commune de Saint-Avold, pour l’informer que le représentant du peuple MALLARME annulait l’arrêté du département de la Moselle du 11 octobre an II, autorisant le conseil d’administration du bataillon de la première réquisition (en 1792) à donner des congés absolus à des fils d’agriculteurs (cet arrêté étant contraire aux dispositions de la loi du 23 août 1793).

Le 8 fructidor an III, une lettre adressée aux officiers municipaux de la commune, les informait que des dragons du 17ème régiment y résidaient sans titre de permission (parmi lesquels un dont la permission était échue depuis deux jours).

Le 6 frimaire an III, une lettre du district annonça qu’une loi du 2 thermidor supprimait les “rations, comestibles et subsistances” à compter du 1er vendémiaire, aux militaires ayant quitté leur corps pour blessure ou maladie avant cette date. Sauf demande de nouveau congé, avec certificat de médecin ou chirurgien à l’appui, “dont la véracité sera attestée par quatre citoyens ni parents ni alliés”, et visé par la municipalité et le comité de surveillance révolutionnaire.

Désertions

Elles eurent essentiellement deux causes : les déplorables conditions de vie du soldat révolutionnaire en campagne (mauvais vêtements, solde impayée ou versée avec des mois de retard), et la guerre qui s’éternisait loin de la famille et du pays natal.

Le 10 pluviôse an II, le district de Sarreguemines décida que les fuyards de la première réquisition du bataillon de Sarreguemines seraient désormais reconduits à leur unité par la gendarmerie nationale, aux frais de leurs parents (6 livres par gendarme).

Le 2 frimaire an IV, un arrêté départemental décida que les militaires fugitifs seraient désormais transférés sur Landau. Dans un arrêté du 18 brumaire étaient également concernés “les hommes de la première réquisition rejoignant en retard”. Un arrêté du 25 obligeait les administrations municipales et les agents nationaux à se faire présenter, par les militaires voyageant isolément, leurs ordre de route ou leurs congés.

Les archives municipales ne font apparaître que deux cas de désertion, l’un en 1793, l’autre en 1794. Mais les cas ont dû se multiplier en 1795, car le département fit éditer trois affiches, en brumaire an IV, à ce sujet. Le 14 vendémiaire, un courrier, daté de Metz, signale que des soldats obtenaient des permissions pour retourner dans leurs familles, passaient par la Suisse, et s’engageaient dans l’armée des émigrés. À notre avis, cet engagement était peu vraisemblable.

Administration militaire

Dans le pays en guerre, notre ville n’était qu’un petit rouage de la grande machine animée depuis Paris. L’organisation centralisée se mettait en place, et localement les municipalités étaient chargées d’impulser, de contrôler et de rendre compte. Pour faire face à la pluie de textes de lois, elles se réunissaient tous les jours, mobilisées elles aussi “en permanence”.

En fait, durant l’époque qui nous intéresse, il s’est plutôt agi de répondre au mieux aux demandes impératives concernant les charges, réquisitions et mesures diverses qui ont pesé sur la population, surtout pendant la période que l’Histoire retint sous le nom de la Terreur. La principale cause de l’instauration de ce régime, fut “la nécessité de gouverner énergiquement le pays en l’absence de moyens légaux efficaces et en présence des menaces de l’invasion étrangère”.

À ce propos, il convient de reconnaître que le maire HAROUARD fit effectivement régner la crainte à Rosselgène, et la suspicion (encouragée par la loi dite des “suspects”), à un point tel que, par exemple, l’ancien maire, François SPINGA, dut demander la radiation de la liste des émigrés de son fils Pierre François… qui était soldat au 17ème dragons.

Par ailleurs, la municipalité avait à “gérer” les troupes de passage, ainsi que les questions d’intendance, d’approvisionnements et de parcs qui incombent à une cité proche de la zone des combats, et celles concernant les bâtiments à destination militaire. Le tout sous la surveillance plus ou moins tatillonne des commissaires aux armées et des chargés de mission divers diligentés par le Comité de Salut Public.

Intendance : approvisionnements, magasins et parcs

L’on ignore la capacité exacte de stockage des magasins de la ville. On pourra s’en faire une idée approximative à la lecture des mouvements d’approvisionnement indiqués dans ce chapitre, et de ceux signalés dans les suivants traitant des réquisitions et des mesures d’exception.

Il y eut également des parcs de réparation du matériel et des locaux pour les chevaux et les boeufs des charrois de passage. C’est ainsi que, le 21 nivôse an II, le district de Sarreguemines ordonnait de prendre, dans le magasin militaire de Morhange, 134 quintaux de froment pour le canton de Saint-Avold.

Le 8 floréal an III. le directeur des subsistances générales, section des troupes en marche, écrivit de Metz pour indiquer les quantités de denrées que le préposé au magasin de Saint-Avold devra avoir en permanence en stock pour quatre mois : 114 quintaux de froment, 38 de seigle ou d’orge, 2 300 boisseaux d’avoine, 396 quintaux de foin, 132 de paille.

Un décret du 15 fructidor an III supprima la commission des approvisionnements, chargeant “les autorités constituées de veiller provisoirement à l’approvisionnement des troupes en garnison, cantonnement et détachement”. Mais déjà, un an auparavant, deux officiers municipaux, accompagnés de deux boulangers choisis comme experts, avaient dû, à la demande du garde-magasin des vivres, comparer la qualité de la farine fournie par deux meuniers différents.

L’on sait que le préposé aux subsistances militaires pour les magasins des fourrages était un dénommé PERNET Jean-Baptiste, que le garde-magasin s’appelait BEAUVALLET, le préposé à la garde et l’entretien des lits militaires JIROVASKA, que la munitionnaire était la citoyenne Veuve RIPLINGER, ceci pour la période 1794-1796.

Le personnel affecté aux magasins des vivres, fourrages et liquides, touché lui aussi par la crise économique, réclama une augmentation de salaire, en vendémiaire puis ventôse an IV. Le pain, qui était auparavant fourni aux ouvriers, leur avait été supprimé, et ils estimaient ne plus pouvoir vivre avec leur modique traitement. Les commissaires des guerres, en accord avec les officiers municipaux, fixèrent comme suit les salaires et indemnités en vendémiaire :

  • 50 livres pour les ouvriers principaux, 45 pour les journaliers ordinaires;
  • 5 livres au citoyen JIROVASKA par paire de draps blanchis II ne semble pas qu’il ait été fait droit à la réclamation de ventôse.

Le 2 frimaire an III, autre augmentation, cette fois-ci pour les conducteurs-charretiers employés pour faire rentrer le contingent de chaque commune en grains, farine et autres objets de réquisition, dans les magasins militaires de l’Armée de Moselle. Ils recevront désormais comme salaire, par quintal transporté :

  • 7 sols au lieu de 4 sols 6 deniers auparavant, pour les transports sur grandes routes;
  • 8 sols au lieu de 5 pour les transports sur chemin de traverse;
  • en-dessous de cinq lieues, ils recevront 20 sols par quintal pour les transports sur grande route, et 25 sols pour les transports sur les chemins de traverse.

Les parcs établis à Saint-Avold semblent avoir été pendant quelque temps relativement importants. L’on apprend en effet, qu’en thermidor an II, l’abbaye des bénédictins et son jardin étaient entièrement occupés par les ouvriers des divers ateliers, du parc des vivres, des charrois et des transports militaires. L’année suivante, le parc était supprimé. Il existait depuis germinal an II. Il y avait, entre autres, trois forges avec douze maréchaux.

Par contre, les munitionnaires des vivres de l’Armée de Moselle, dans le cadre d’un échelonnement de dépôts de Metz à Bliescastel, demandent, par une lettre du 17 frimaire an II, un local pour abriter jusqu’à 300 boeufs ainsi que les fourrages pour leur subsistance.

Une patrouille en l’an III. Seuls le fusil, la pique ou le sabre suspendu au baudrier donnent à ces six hommes dépourvus d’uniforme une apparence quelque peu militaire. Cependant ils marchent avec entrain derrière l’officier placé à leur tête.

L’hôpital militaire

Le couvent des bénédictines devint un hôpital militaire de 1792 à 1798. Le bâtiment était conséquent; il y eut de nombreux soldats qui y furent hospitalisés, dont certains y décédèrent, surtout entre 1793 et 1795. Les hôpitaux militaires fixes et les hôpitaux ambulants ne suivant point les armées étaient régis par des comités de surveillance (loi du 19 ventôse an III). En exécution de cette loi, furent nommés, le 18 germinal an III, Laurent STOCKLOUSER et François COLBUS. Le directeur de l’hôpital était un dénommé CHARPENTIER.

En consultant des états de situation de l’an III, on peut avoir quelques indications sur le personnel de l’hôpital, ainsi que sur le nombre de soldats hospitalisés.

Le nombre des hospitalisés comptabilisés comme étant “fiévreux” peut laisser penser que ceux-ci étaient surtout des soldats laissés par les troupes de passage.

Les infirmiers ne pouvant payer un remplaçant étaient, au début, obligés d’effectuer personnellement leur service dans la garde nationale, la loi relative à ce service ne souffrant pas d’exception (il s’agissait donc là d’hommes domiciliés à Saint-Avold). Ceci nuisait évidemment au service des malades et avait été signalé par plusieurs commissaires des guerres. En brumaire an II, le Ministère de la Guerre décidait qu’ils seraient remplacés pour les services de garde et que, étant donné la modicité de leur traitement, il appartiendrait à la direction de leur hôpital de payer leur remplaçant.

Nous avons également un état des dépenses de l’hôpital, ou plutôt des sommes impayées, pour les quatre mois de novembre 1792 à février 1793. L’on y constate que le personnel n’était pas toujours payé régulièrement (il était dû 120 journées à un infirmier, 59 à un autre), qu’ il devait parfois avancer de l’argent (179 livres 10 sols dus à l’économe) ou des fournitures (88 livres dues à ce titre à un infirmier). Les principales sommes dues sont : 452 livres pour des médicaments; 578 livres 14 sols pour 1286 livres de viande; 184 livres 15 sols pour 944 livres de pain; 220 livres pour 10 cordes de bois; l’on doit aussi 14 livres au fossoyeur, pour l’inhumation de 7 soldats décédés. Total des sommes dues : 2517 livres 12 sols.

Nous avons dit que l’on mourait dans cet hôpital. Le 23 pluviôse an II, la municipalité répondait au directeur de l’hôpital, qui attirait son attention sur les risques pouvant être provoqués par l’inhumation en fosse commune de nombreux cadavres. Il fut décidé un enterrement en cercueil “à 5 pieds de profondeur”, dans le “jardin national situé vis-à-vis la grande porte du jardin” de l’hôpital.

Le même mois était dressé un état des effets ayant appartenu aux morts et déposés le 23 germinal précédent à la maison commune (mairie de l’époque). Il a été dénombré entre autres 80 fusils, 39 gibernes, 6 sabres, 24 baïonnettes, 7 ceinturons, 89 habits (dont 41 en mauvais état), 86 vestes (dont 36 en mauvais état), 72 culottes (dont 39 en mauvais état), 82 chemises d’état médiocre, 47 paires de souliers en mauvais état, 106 casques et chapeaux en mauvais état, 52 pantalons et 56 sacs à dos dans un état similaire.

L’on peut ainsi se faire une idée de la misère du soldat républicain.

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